Société

Islam et citoyenneté européenne, une identité à construire

Rédigé par Élise Séaume | Mercredi 8 Septembre 2010 à 11:12

Douze millions de musulmans en Europe, dont plus de six millions en France : l’islam est bel et bien une religion incontournable des sociétés occidentales. Malgré les liens très forts qui unissent les musulmans à l’Europe, la question du vivre-ensemble n’est toujours pas réglée. Identité musulmane et citoyenneté européenne sont-elles compatibles ? Une question ambitieuse, à laquelle ont tenté de répondre six personnalités, lors du débat organisé lundi soir à l’Institut des cultures d’islam, dans le cadre des Veillées du ramadan.



De g. à dr. : Ghaleb Bencheikh, Françoise Duthu, Hamou Bouakkaz, Tareq Oubrou, Dounia Bouzar, Pierre Joxe. Débat animé par Frédéric Taddéi.
L’Europe a une mémoire sélective : la présence musulmane ne date pas de l’immigration. Musulmans d’Andalousie ou de l’Empire ottoman, le continent entier porte les traces des invasions, des colonisations mais aussi des années pacifiques. Pourtant, l’islam, méconnu, souffre de préjugés dont il a du mal à se défaire.

« Croire que les musulmans sont étrangers en Europe est une amputation de notre Histoire », estime Ghaleb Bencheikh, présentateur d’Islam, sur France 2.
« On a beau avoir été élevés de la même façon que Pierre, Paul ou Jacques, avoir vu les mêmes films..., on nous renvoie toujours à une définition de nous-mêmes qui est complètement dépassée, à un pays qu’on ne connaît pas, plaide Dounia Bouzar, directrice du cabinet Cultes et cultures. Un être humain n’est pas uniquement le produit de sa religion. »

Le constat est unanime : les musulmans sont perçus comme des « étrangers » en France. C’est une question de temps : « L’islam est une religion éternelle et pour cela doit s’adapter à la société dans laquelle il vit, être souple. »

Définir une identité musulmane est délicat. Il n’y a pas d’identité musulmane en tant que telle, pense Tareq Oubrou, théologien et imam de la mosquée de Bordeaux. « L’islam ne peut être incarné qu’à travers une culture. Il y a un islam d’Occident. L’islam a d’ailleurs prévu une certaine souplesse pour perdurer », explique-t-il.

Toutes les peurs cristallisées autour des musulmans ne seraient alors qu’une question de lecture des textes ? « Non, évidemment. La plupart des Français ne savent même pas que l’islam véhicule des valeurs de tolérance très fortes », pense Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur.

Pour Hamou Bouakkaz, adjoint au maire de Paris, chargé de la démocratie locale et de la vie associative, la raison est très simple : « Il y a confusion dans l’esprit des gens. Les personnes dont on entend parler sont ceux qui sont les fanatiques : évidemment, ceux qui vivent leur religion dans la sphère privée ne font pas de bruit. On présente les musulmans comme des ennemis, alors que les systèmes de valeurs sont fondés sur les mêmes socles. »

S’il est difficile de lutter contre les représentations que les médias véhiculent, la communauté musulmane a un tort, celui de ne pas s’être désolidarisée assez vigoureusement des actes terroristes perpétrés « au nom de l’islam ». « À ce moment-là, on aurait dû dire beaucoup plus fort qu’il s’agissait d’une perversion, d’un dévoiement de l’islam », regrette Ghaleb Bencheikh.

Les efforts, dans cette construction commune, doivent venir de la communauté musulmane comme des politiques. « Les musulmans doivent relire leur Texte à la lumière du contexte », martèle l’imam de Bordeaux. Il y a, selon lui, un énorme travail théologique à effectuer. Pour Françoise Duthu, maître de conférences à Nanterre, il faut une coopération plus intense entre les politiques et le monde musulman. « Une structure comme l’Institut des cultures d’islam a bien sûr un rôle à jouer, mais la volonté politique est indispensable. »

Ignorance, incompréhensions, mauvaise foi : les idées reçues ont la dent dure. Et comme l’affirme Pierre Joxe, non sans philosophie : « Il faut que le présent passe, et que les préjugés des vieux meurent avec les vieux ! »



3 QUESTIONS À…

… Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux, chercheuse et auteure de La République ou la burqa, les services publics face à l’islam manipulé (Éd. Albin Michel, 2010)

Saphirnews : Un événement anecdotique comme « l’apéro républicain », qui a eu lieu ce week-end pour dénoncer un « péril islamique » a-t-il des conséquences néfastes dans l’esprit de l’opinion ?

Dounia Bouzar : Oui, car cela cristallise les incompréhensions, et ce dans les deux camps. Comme on a une surreprésentation dans les médias des extrémistes musulmans, on devait bien s’attendre à cette réponse de la part d’un autre type d’extrémisme.

Les incompréhensions entre communautés doivent-elles avoir des réponses politiques ?

D. B. : Oui, les politiques doivent arrêter de mettre en évidence l’étrangéité des musulmans, quelle que soit la manière dont ils le font.

Espérez-vous une action dans ce sens du gouvernement dans les années à venir ?

D. B. : Malheureusement, j’ai peu d’espoir pour les prochaines années. Mon seul optimisme repose sur les femmes. Aujourd’hui, elles ont accès à l’éducation, au savoir : à elles de s’approprier les textes et de démontrer que la lecture qu’en ont les extrémistes est erronée. C’est une grande responsabilité.