Points de vue

Islam et christianisme : s’engager pour des principes universels partagés

Rédigé par Tariq Ramadan | Jeudi 19 Février 2015 à 06:00



Ce manuscrit copte d’Egypte, sur papier silhouetté, datant de 1654, est une copie d’un traité apologétique d’un philosophe chrétien Yahyâ ibn Adî (893-974) qui vivait à Bagdad et traduisait des ouvrages grecs du syriaque en arabe. Le mot « theologos » est en caractères coptes, inscrits sous la croix dorée. Ce manuscrit allie l’apport de l’art ottoman (page gauche) et la tradition copte (page droite). (© BNF, Manuscrits orientaux)
En Irak ou en Égypte, des chrétiens d’Orient ont payé de leur vie la folie suicidaire de quelques-uns cherchant à provoquer une fracture entre les musulmans et les chrétiens à travers le monde. Les musulmans ont condamné, au nom même des principes de leur religion, les attentats contre les lieux de culte, les croyants des autres confessions et les civils. Ces agissements ne peuvent trouver aucune justification religieuse. La sentence est claire.

Mais peut-on s’en tenir à ces condamnations de principe ? Quand les autorités au sommet n’offrent pas un positionnement cohérent, ne revient-il pas aux citoyens de s’engager plus avant afin d’empêcher que ces horreurs se répètent ?

Des droits inaliénables

Trois principes doivent, à notre sens, orienter l’engagement des individus dans leur quotidien.

Le premier est celui de la cohérence et de l’autocritique. Il s’agit de prendre position contre toutes les violences de la même façon, quels qu’en soient les auteurs, coreligionnaires ou non. Point de dénonciation sélective : il faut réagir, avec la même indignation, aux attentats contre les temples, les synagogues, les églises, les mosquées ou tout autre lieu de culte. Il faut oser la parole autocritique quand d’aucuns, au nom de notre religion, en trahissent les principes élémentaires.

Ce qui est attendu, ensuite, des citoyens est un positionnement qui se distingue par son exigence éthique. On invoque souvent l’argument de la réciprocité : on devrait, dit-on, aligner ce que l’on octroie aux minorités ici en fonction de ce que les sociétés, où ces derniers sont majoritaires, offrent à leur propre minorité. Pas d’église en Arabie Saoudite, donc restriction de mosquées en Occident ; pas de foulard dans les écoles françaises, donc restriction de la visibilité des chrétiens dans les sociétés majoritairement musulmanes.

Or le principe de distinction éthique commence par affirmer que les droits fondamentaux ne peuvent jamais faire l’objet de marchandage et que les libertés de conscience et de culte doivent être des droits inaliénables dans toutes les sociétés du monde. Cela implique que chaque individu a le devoir moral de prendre position pour défendre les droits des minorités religieuses, où qu’elles se trouvent.

Il s’agit non pas de dénoncer uniquement les actes violents, mais aussi de critiquer les discriminations institutionnalisées, voire légitimées par les autorités religieuses, au moment où une religion (la sienne ou une autre) se trouve en position de pouvoir.

Construire un avenir commun

Il est un dernier principe qui relève de la forme autant que du fond de nos engagements. On peut passer son temps, à partir de nos communautés religieuses respectives, à dénoncer les trahisons et les manquements « des nôtres » et « des autres ». Cette attitude est juste, mais elle est insuffisante.

Nous avons la chance en Occident de vivre dans des démocraties où un minimum de liberté est préservé et où nos enfants ont accès à l’éducation. C’est ensemble que nous devons porter la voix des principes universels partagés, dans notre quotidien comme au niveau international. Que des hindous, des bouddhistes, des juifs, des chrétiens, des musulmans, avec des agnostiques, des athées et des membres d’autres traditions religieuse ou spirituelle, travaillent localement ensemble non pas à débattre, entre spécialistes convaincus, mais à éduquer les citoyens ordinaires, qui doivent être mieux équipés à faire face aux défis des sociétés pluralistes.

Il faut cesser de dialoguer sur la pertinence du dialogue et s’engager ensemble contre les dérives dogmatiques et/ou violentes, pour construire notre avenir commun. Trois principes qui nous rappellent que nous devons faire plus et mieux que de condamner la violence.

Il s’agit d’éduquer et de partager, en amont, pour former des citoyens responsables. Humbles quant à soi, ambitieux quant à changer le monde. Pacifiques quand il s’agit de vivre ensemble et courageux quand il est question de dénoncer les trahisons et les horreurs. Éducation, partage, responsabilisation, respect, humilité, ambition, pacifisme et courage : ne sont-ce pas les qualifications universelles qu’enseignent toutes les philosophies, les spiritualités et les religions du monde ?

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Première parution de cet article dans Salamnews, n° 23, février 2011.

Tariq Ramadan est professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford et directeur du Centre de recherche pour la législation islamique et l'éthique (CILE). Dernier ouvrage paru : De l'islam et des musulmans. Presses du Chatelêt, 2014).