Points de vue

Interdiction du voile à l’université : l’extension permanente de la loi de 2004

Rédigé par Laziza Lachqar | Vendredi 6 Mars 2015 à 06:05



Il est toujours triste de rappeler que l’islamophobie n’est pas un phénomène nouveau. Elle est bien antérieure à la loi du 15 mars 2004, aux attentats du 11-Septembre, ou même à la première affaire dite du foulard à Creil, en 1989.

Pour autant, la loi de 2004, qui interdit le port du voile (hijab) dans les collèges et lycées publics, les IUT et les écoles de commerce, occupe une place centrale en matière d’islamophobie. On peut même dire que cette loi est le phare du dispositif législatif antimusulman.

Si l’on se replace dans le contexte politique et médiatique des débats qui ont précédé le vote de la loi, les partisans de l’interdiction du hijab affirmaient que cette loi était nécessaire. Pour eux, une même loi pour tous les établissements publics devait permettre d’harmoniser le traitement réservé aux élèves qui portent le hijab, d’arrêter le traitement au cas par cas en appliquant la même règle partout : celle de l’exclusion.

L’interdiction du hijab devait donc permettre de simplifier la situation, et, toujours selon les partisans de la loi, de mettre fin aux différents contentieux liés au port du hijab, c’est-à-dire de faire en sorte qu’il n’existe plus de problème du hijab à l’école. Une décennie plus tard, on constate que loin d’y mettre fin, la loi de 2004 a fait exploser les contentieux liés au hijab et aux signes musulmans en général. Comment en est-on arrivé à cette situation ?

Des débats qui caricaturent l'islam

Pour le comprendre, il faut bien voir comment la loi de 2004 a été interprétée par le personnel éducatif et enseignant.

La loi interdit le port du hijab à l’école. Mais tous les débats qui ont entouré l’adoption de la loi n’ont porté que sur l’islam. Parmi les arguments avancés, on peut en citer quelques uns : le caractère prosélyte du voile, le fait qu’il symbolise la soumission des femmes, une soumission due à l’islam, le caractère incompatible du voile avec la République, le voile comme symbole du fanatisme islamique, etc.

Comme toutes les discussions autour de la loi n’ont porté que sur un islam caricaturé à l’extrême, l’interdiction du hijab à l’école pour les élèves a été interprétée comme l’interdiction de tout signe musulman à l’école.

Le hijab étant un signe religieux musulman, alors c’est tout signe musulman qui est interdit à l’école. Voilà comment certains professeurs et directeurs d’écoles ont interprété la loi. Dès lors, dans de plus en plus d’établissements, on fait la chasse aux jupes longues, jugées islamiques quand elles étaient portées par des musulmanes. Et si elles sont islamiques, elles sont forcément interdites à l’école.

La visibilité qui dérange

De la même manière, les bandanas arborés par des musulmanes, ou les barbes portées par des musulmans, ont été vus comme des signes islamiques visibles, et donc interdits à l’école. Dans les cantines, les polémiques liées au fait de servir de la viande halal aux élèves se sont multipliées.

Ces interdits, qui touchent les élèves, se sont même étendus à leurs parents. Par exemple, à cause de leur hijab, des mères musulmanes se sont vues interdire l’accès à l’établissement, pour un conseil de classe ou un rendez-vous avec le proviseur. Il en va de même pour les sorties scolaires. On refuse de plus en plus à des mères musulmanes portant le hijab d’accompagner leurs enfants lors des sorties scolaires.

On le voit, la loi de 2004, parce que les discussions qui l’ont entourée n’ont porté que sur l’islam, a été interprétée comme posant un principe d’interdiction générale de l’islam à l’école.

Pourtant, on aurait tort de conclure qu’il s’agit seulement d’un défaut d’interprétation ou du zèle de professeurs et du personnel éducatif. C’est tout le climat islamophobe, les déclarations d’hommes et de femmes politiques, et la couverture médiatique caricaturale sur l’islam, qui ont permis, nourri et intensifié l’extension du domaine de la loi de 2004. Pour beaucoup de personnes, en effet, il s’agit de sanctuariser l’école contre la menace islamique. Dans un tel climat, la logique de l’interdiction semble sans fin.

La loi de 2004 à la source des interdictions

Juste avant de céder ses prérogatives sur la laïcité à l’Observatoire de la laïcité, le Haut Conseil à l’Intégration avait préconisé en aout 2013 l’adoption d’une loi interdisant le port du hijab à l’université. Une préconisation reprise aussitôt par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur.

Cette fois, c’est Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes (sic), qui vient de déclarer lors du Talk du Figaro être contre le port du hijab à l’université, avant d’ajouter : « C’est aussi aux présidents d’universités de dialoguer avec les étudiantes. L’université, c’est un lieu où on doit pouvoir parler de tout. (…) Je ne suis pas sûre que le voile fasse partie de l’enseignement supérieur. »

Cette volonté de vouloir interdire le voile à l’université est dans la logique de toutes les interdictions que l’on vient d’énumérer. Sauf que quand nous parlons d’université, nous parlons d’étudiantes majeures. Vouloir interdire le hijab à l’université nous montre bien que les arguments utilisés avant la loi de 2004, à savoir la protection des « jeunes musulmanes voilées de force et soumises à leurs pères ou frères », étaient de pure façade.

Au-delà de l’université, les interdictions semblent se multiplier dans tous les endroits susceptibles d’accueillir du public. Des cafés et des restaurants refusent l’accès à des musulmans dans leurs locaux, des salons de coiffure refusent l’accès à des femmes portant le hijab. Dans les mairies, certains élus, de droite comme de gauche, refusent de célébrer le mariage tant que la mariée n’a pas enlevé son hijab. Les exemples ne manquent malheureusement pas.

Plus de dix ans après, on se rend compte que les effets de la loi de 2004 sont terribles. Ecoles, universités, services publics, espace public, entreprises… la présence musulmane est traquée partout. Tout cela nous montre bien qu’une fois que l’on introduit le principe de l’interdiction du hijab, il ne peut qu’alimenter sa propre logique d’exclusion et contaminer d’autres lieux et d’autres domaines. Aujourd’hui, on parle de l’université. Demain, ce sera ailleurs.

La loi de 2004 apparaît bien comme une bête immonde dont les tentacules s’étendent aujourd’hui partout. Il est temps pour nous de s’attaquer à cette bête. Et de l’abattre.

*****
Laziza Lachqar est membre de la Campagne ALI (Abrogation des Lois Islamophobes). Ce texte est une retranscription raccourcie d’une intervention prononcée par l’auteure lors d’une conférence-débat organisée le 7 mars à Marseille par la Campagne ALI.