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Inde : le culte des vaches à l’origine d'une dramatique montée des violences islamophobes

Rédigé par | Jeudi 29 Juin 2017 à 12:45

Une étude inédite révèle l’explosion des violences envers les musulmans en Inde, en particulier depuis la prise de pouvoir progressive des nationalistes hindous. Des violences qui sont souvent en rapport avec les vaches, animal sacralisé par les hindous, consommé par les musulmans et qui excite les tensions islamophobes.



Le Premier ministre Narendra Modi est sorti du silence avec l'aggravation des violences islamophobes à travers l'Inde. « Tuer des gens au nom du culte de la vache n'est pas acceptable », a déclaré le chef du gouvernement, jeudi 29 juin, lors d'un déplacement à Ahmedabad, dans l'Etat du Gujarat qu'il a longtemps dirigé comme gouverneur. « Personne n'a le droit de prendre la loi entre ses mains dans ce pays. La violence n'a jamais été et ne sera jamais un moyen de résoudre le moindre problème », a-t-il ajouté, en invoquant Mahatma Gandhi, l'apôtre indien de la non-violence.

Cette déclaration du chef du gouvernement indien est sans aucun doute l'une des rares - si ce n'est la seule - depuis son arrivée au pouvoir en 2014 où il condamne fermement les violences commises contre les Indiens musulmans. Ces derniers, qui ont dernièrement manifesté leur colère et leur désarroi après le meurtre d'un adolescent, n'en attendaient pas moins. Mais ces déclarations, sans suivi d'effets, ne sont pas jugées satisfaisantes.

Un niveau de violences jamais atteint

Le média anglophone IndiaSpend a publié une étude autour des conflits violents en Inde ayant à l’origine des incidents autour de vaches. Les autorités indiennes ne distinguant pas ces violences des autres dans ses statistiques, cette étude est inédite et vient nourrir le débat national.

Les violences se manifestent par des lynchages, des assassinats, des persécutions diverses et des viols collectifs. Les nouvelles ne sont pas rassurantes. Lors des six premiers mois de l’année 2017, 20 attaques ont été recensées, soit une augmentation de 75 % comparé à l’année 2016. Il s’agit d’ores et déjà de la pire année depuis 2010. 28 Indiens seraient morts lors de rixes ou de lynchages en sept ans. Parmi eux, 24 personnes (86 %) étaient musulmanes. Le cas le plus emblématique est celui de Mohammad Akhlaq, tué en 2015 dans l'Uttar Pradesh. On dénombrerait 124 personnes blessées lors de ces attaques. Dans la moitié des cas (52 %), ces assauts étaient simplement fondés sur des rumeurs autour d’une maltraitance de bovins.

Les hindous vouent un culte sans borne aux vaches et la montée de l’intolérance religieuse dans le pays a provoqué de nombreux incidents tragiques. Parmi les 63 cas d’attaques répertoriées par IndiaSpend, 40 se sont déroulées dans des régions gouvernées par la droite nationaliste hindoue incarnée par le Bharatiya Janata Party (BJP) et le All India N.R Congress (AIRNC). Elles se sont d’ailleurs pour la quasi totalité (97 %) tenues après 2014 et l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi, issu du BJP. Les régions concernées sont principalement l'Uttar Pradesh (10), Haryana (9), Gujarat (6), Karnataka (6), Madhya Pradesh (4), Delhi (4) et le Rajasthan (4).

Les violences sont, pour le quart d'entre eux, l’œuvre des « Gau Raksha Dal », milices de la protection des vaches dont les membres sont reconnaissables à leur bandana orange. Une histoire parmi tant d'autres : dans un village de l'Etat du Jharkhand, des centaines de personnes, parmi lesquelles des miliciens, se sont ligués contre un éleveur laitier musulman, qui a été sévèrement lynché mercredi 28 juin avant de voir la maison familiale incendiée. Toujours sur la base de rumeurs, il a été accusé d'avoir abattu une vache. Des policiers ont été blessés en tentant d'aider la famille, qui a fini par être évacuée.

La justice indienne a du mal à traiter convenablement ces crimes de haine. La notion de lynchage ne figure pas dans le code pénal indien. Dans 21 % des cas, la police a même retenu des charges envers les victimes plutôt qu’envers leurs bourreaux.

Des milliers de citoyens manifestent contre l'islamophobie

Le 18 mars 2017, Yogi Adityanath, un prêtre hindou a été désigné gouverneur de l’Uttar Pradesh par le BJP. L’une de ses premières mesures fut d’ordonner la fermeture des grands abattoirs dans le cadre de sa politique de « purification ». Dès le 22 mars, trois boucheries qui commercialisaient de la viande de bœuf ont été brûlées dans un quartier de l’Uttar Pradesh.

Le nationaliste espère ainsi débarrasser sa région des musulmans qui représentent 1/5e de ses 220 millions d’habitants. En 2007, lors d’un rassemblement, il avait accusé les musulmans de préparer une « guerre de l’amour » ayant pour objectif de convertir les femmes hindoues à l’islam. Il avait alors déclaré : « Si une hindoue marie un musulman, nous prendrons 100 musulmanes en retour... S'ils (les musulmans) tuent un hindou, alors nous tuerons 100 musulmans. » Cela lui a valu 11 jours (seulement) de prison. L’Etat du Gujarat, également dirigé par le BJP, a adopté le 31 mars dernier, une loi qui condamne à 14 ans de prison ferme toute personne qui abat une vache.

Dans les colonnes d’Hindustan Times, deuxième plus important quotidien du pays, le journaliste Madhu Trehan a fait paraître une tribune, jeudi 29 juin, dans laquelle il appelle à « des mesures drastiques » contre la violence dirigée contre les musulmans. Il souhaite une réconciliation organisée à l’échelle nationale qui s’inspirerait de ce qu'a pu faire Nelson Mandela après l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud.

« Nous devons être aussi créatifs que Mandela, en créant un ministère du Vivre-ensemble en Paix. Il pourrait inclure des programmes visant à impulser une nouvelle culture de l’harmonie dans tout le pays », explique-t-il. Il propose le lancement d’une campagne nationale autour du « Vaishnava Jana To » éditée dans toutes les langues d’usage en Inde. Cet hymne populaire daté du XVe siècle est une ôde à la paix, un des chants préférés de Gandhi.

En l'absence d'une action gouvernementale pour faire cesser les violences islamophobes, des milliers de citoyens indiens, avec pour mot d'ordre « Not in My Name » (Pas en mon nom), ont manifesté, mercredi 28 juin, dans plusieurs grandes villes pour appeler les autorités à lutter contre les organisations, les milices et les individus à l'origine des lynchages.