Finance éthique

Finance islamique : son impact sur les musulmans en question

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Vendredi 29 Novembre 2013 à 06:00

Dans un monde où la finance islamique, évaluée à plus de 957 milliards d’euros, a augmenté de 150 % en cinq ans, la Banque mondiale s’est penchée sur cette finance à caractère éthique. L’institution financière s’est notamment demandée si son développement pouvait permettre aux musulmans d’avoir un plus grand accès au secteur bancaire. Les résultats de l’enquête peuvent surprendre.



« La finance islamique et l’inclusion financière », tel est le titre d'un rapport de la Banque mondiale rendu publique en octobre. Les auteurs de cette étude se sont focalisés sur cette finance qui offre des produits financiers conformes à l’islam par l'interdiction, entre autres, de l'intérêt (riba).

Les musulmans consomment-ils en masse les mêmes produits financiers que les non musulmans ? Ont-ils une préférence pour la finance islamique ? Le critère religieux entre-t-il en compte dans leur choix de produits financiers ? Pour répondre à ces questions, un échantillon de plus de 66 000 adultes a été interrogé en 2011. Ils proviennent de 64 pays regroupant 75 % des musulmans de la planète. Les Etats ayant moins de 1 % ou plus de 99 % de sa population musulmane ont été écartés de l'enquête.

En parallèle, une étude plus approfondie a été menée sur la connaissance, l’utilisation et la préférence pour les produits financiers islamiques dans cinq pays musulmans (Algérie, Egypte, Maroc, Tunisie et Yémen). 1 000 personnes ont été questionnées dans chacun de ces pays en 2012.

Les musulmans, clients de crédits classiques

Dans l’étude menée auprès de 64 pays, la Banque mondiale a comparé le comportement des musulmans et des non musulmans vis-à-vis de trois produits financiers : le compte bancaire, l’épargne et le crédit. Il est alors remarqué que les musulmans possèdent moins souvent un compte bancaire dans une banque classique. 24 % des musulmans disent en avoir un contre 44 % des non musulmans.

Toutefois, les personnes de confession musulmane sont plus nombreuses à déclarer avoir épargné dans une institution bancaire classique au cours des 12 derniers mois. Ils sont 19 % contre 9 % pour les non musulmans. Plus surprenant encore, les musulmans sont plus nombreux à avoir emprunté de l’argent auprès d’une banque traditionnelle (9 % contre 7 % pour les non musulmans) au cours des 12 derniers mois. Le critère religieux n’a donc pas de grande incidence pour la communauté musulmane, dont une grande partie n’hésite visiblement pas à contracter des prêts avec intérêts.

Seuls 6 % des musulmans indiquent ne pas avoir de compte bancaire pour des raisons religieuses. La même proportion de non musulmans déclare la même chose. Le coût, l'éloignement ou l'absence de documentation sur ces produits sont les causes principales citées par les musulmans qui n’ont pas de compte.

Toutefois, des différences notables sont perceptibles selon les régions géographiques, notamment en Asie du Sud-Est et du Pacifique où les musulmans sont beaucoup moins susceptibles que les non musulmans à emprunter mais plus nombreux à avoir un compte en banque classique. Du côté de la France où la finance islamique reste encore peu développée, on remarquera que les musulmans sont moins nombreux à disposer des différents produits financiers analysés. Seuls 5 % disent avoir un prêt en cours contre 19 % des non musulmans. Cet écart, assez élevé dans l'Hexagone, peut s'expliquer par le fait que les musulmans sont majoritairement issus de classes populaires.

Si, dans le monde, les musulmans sont moins nombreux à avoir un crédit classique en cours, l'écart est très faible par rapport aux non musulmans (9 % contre 7 %) et au cours des 12 derniers mois de l'enquête. Ils ont d'ailleurs été plus nombreux à emprunter. Les musulmans ne se distinguent donc pas par un plus grand rejet des prêts avec intérêts. Cela peut s’expliquer par la faiblesse de l’offre de produits financiers islamiques dans beaucoup de pays, avance la Banque mondiale, qui fait remarquer que la finance islamique ne représente que 1 % de la finance mondiale.

Le besoin d’argent plus fort que les convictions religieuses ?

Cependant, même dans des pays où des produits financiers respectant l’éthique musulmane sont proposés, les musulmans ne vont pas nécessairement en profiter. C’est ce que démontre l’étude approfondie menée en Algérie, Egypte, Maroc, Tunisie et Yémen. Ainsi, si 48 % des personnes interrogées disent savoir qu’il existe dans leur pays des institutions financières proposant des produits islamiques, seuls 2 % d’entre eux utilisent ces services.

Ils sont toutefois plus nombreux (45 %) à déclarer préférer contracter un prêt islamique même si son coût est plus élevé contre 27 % qui disent avoir une préférence pour un crédit moins cher provenant d’une banque classique. 10 % n’ont pas de préférence entre ces deux types de prêt. Quant aux 17 % personnes restantes, elles ne savent pas ou ne souhaitent pas répondre à cette question. Les personnes aux revenus élevés sont plus enclines à contracter les prêts islamiques, est-il noté.

Mais il est important de noter que les cinq pays étudiés « ne peuvent pas être représentatifs de l’utilisation et de l’attitude vis-à-vis de la finance islamique dans le monde », précise la Banque mondiale, qui fait remarquer que d’autres économies « sont à différentes stades en ce qui concerne le développement de l'industrie de la finance islamique ». Dans les pays maghrébins étudiés comme la Tunisie et le Maroc, l'offre de produits financiers islamiques est encore rare. En ce sens, la Banque mondiale appelle à mener de nouvelles enquêtes dans des pays où la finance islamique est plus développée comme en Malaisie.

Reste qu’au vu de cette présente étude, l'institution émet l’hypothèse que le besoin de financement d’un musulman peut l’emporter sur ses considérations religieuses lorsqu’il doit se procurer un crédit en urgence ou faire un investissement. Si l’inclusion financière des musulmans par le biais de la finance islamique reste encore à démontrer, la nécessité de développer une finance éthique devient une urgence face aux effets désastreux d'un capitalisme devenu incontrôlable.