Politique

Cazeneuve : avec les musulmans « porter haut et loin les valeurs de la République »

Rédigé par Mérième Alaoui | Lundi 8 Juin 2015 à 15:56

Samedi 6 juin, des lecteurs de Saphirnews et d’autres médias ont été reçus au ministère de l’Intérieur pour un échange direct avec Bernard Cazeneuve. Sans ordre du jour prédéfini, toutes les questions possibles pouvaient être posées dans le cadre de la rencontre-débat. Les quatre lecteurs de Saphirnews avaient des interrogations précises et concrètes.



Samedi 6 juin, place Beauvau, Bernard Cazeneuve a répondu à des questions tous azimuts posées par quelque 30 Français de confession musulmane réunis par huit médias. Au cours de cette rencontre, le ministre de l’Intérieur a prôné une « République inclusive », où « chacun est libre et citoyen avant que d'être défini par son appartenance religieuse », insistant sur le fait que « la laïcité n’est pas une valeur qu’on préempte contre les musulmans ».
Plus de 30 lecteurs et auditeurs sélectionnés par huit médias (Radio Orient, France Maghreb, Beur FM, Atlas Info, Courrier de l'Atlas, Zaman, Oumma et Saphirnews) s’installent peu à peu dans la salle ornée de dorures dignes des ministères régaliens. Il est tout juste 18 heures, le ministre de l’Intérieur en charge des cultes Bernard Cazeneuve rejoint l’assistance et salue chaleureusement celles et ceux qu’il croise sur son passage.

Dès le départ, l’ambiance se veut détendue. « Bienvenue au ministère de l’Intérieur qui n’est pas un ministère comme les autres, c’est le ministère des valeurs de la République et donc des cultes et de la laïcité », répétera à plusieurs reprises le ministre. Dans un court préambule, il tient à rappeler toute l’importance d’un tel échange. « Nous avons la volonté d’approfondir notre relation avec les Français de confession musulmane, un échange devenu plus que nécessaire aux lendemains des attentats à Paris, de la montée des tensions de tous bords et des inquiétudes à la suite de l’augmentation des actes antimusulmans ».

Ces inquiétudes, ces interrogations sont bel et bien ressenties dans l’assistance. Très vite, une fois que la parole est donnée à la salle, de nombreuses mains se lèvent. Trois interventions concernent la légitimité des représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM). Une critique récurrente et à laquelle le ministre a tenté de mettre un terme. « Oui, il y a des critiques, je les ai entendues et je les lis parfois. Mais j’ai pris une position pragmatique qui consiste à considérer que, lorsqu'on veut construire, il faut envoyer des ondes positives, avoir un regard bienveillant pour créer les dynamiques d’une action plutôt que de crisper des positions et d’empêcher que les choses ne se fassent », répond sans détour le ministre. Et d’ajouter : « J’ai dit aux représentants du CFCM : "Nous ne ferons pas sans vous, mais nous ferons aussi avec d’autres". »

« Mieux vaut mieux la sincérité que la complaisance »

Avant même que le débat ne commence, les lecteurs de Saphirnews savaient bien qu’il serait impossible pour chacun de prendre la parole au vu du temps accordé : 1h30 d’échange pour 32 personnes. Il fallait donc jouer des coudes. Mission accomplie pour notre lecteur Abdellatif Hedda, 57 ans, qui réside à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). « Je voulais vous interroger sur l’abattage rituel. Malheureusement, les contraintes législatives ne permettent pas aux musulmans de pratiquer l’abattage dans de bonnes conditions. Est-ce que le gouvernement peut aider à la mise en place de davantage d’abattoirs mobiles, qui sont très chers, et permettre d’avoir plus d’autorisations ? », demande ce directeur des systèmes d'information en mairie et membre actif au sein de l'association Essalam, gestionnaire de la mosquée de Saint-Ouen. « La question de l’hygiène doit en effet être posée », lui répond, avec imprécision, le ministre. « C’est de notre responsabilité. Il y a la question du bien-être animal aussi, qui parfois a suscité des réactions et des incompréhensions… Il faut qu’on puisse établir des principes et des règles, est-ce à la République d’établir ces principes ? Il faut dialoguer ensemble. »

Outre l'islamophobie, les principaux thèmes abordés par les musulmans rassemblés concernaient de très grands chantiers laissés en friche depuis des décennies : la certification halal, la construction de mosquées, les écoles confessionnelles, la formation des aumôniers et des imams…

Et le ministre de couper l’herbe sous le pied des plus ambitieux : « Ici, c’est le ministère des grandes valeurs, c’est vrai ; mais pas celui des grands moyens. » Du dialogue mais pas de moyens en somme, c’est ce qu’avait annoncé Bernard Cazeneuve dès son introduction. « Je suis là pour vous écouter et alimenter ma propre réflexion. Il faut aller au fond des choses sans faux-semblant et en étant dans la sincérité, même si elle peut déplaire. Mieux vaut la sincérité que la complaisance », plaide-t-il.

Des échanges après l'échange

Après la rencontre-débat d'une heure et demie, les échanges entre musulmans lecteurs et auditeurs de huit médias et Bernard Cazeneuve se sont prolongés dans le jardin du ministère de l'Intérieur.
À la fin du débat, au moment de l’ouverture d’un moment convivial autour d’un buffet, les trois autres lecteurs de Saphirnews ont tout de même réussi à interpeller le ministre. Nabeela Akhtar, 36 ans, de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), a voulu en savoir plus sur la seconde mouture de la Fondation des œuvres de l’islam, annoncée pour la fin de l’année 2015, « sa gestion, son organisation et connaître quelles seront les personnes qui vont s’en occuper. La précédente version était un échec et je trouve que c’est frustrant, c’est pourtant un très beau projet », explique cette ancienne chef d'entreprise, actuellement chef de produit dans le secteur du luxe. Le ministre lui a répondu que la priorité était de définir les missions de la fondation, en restant prudent sur d’éventuelles nominations.

De son côté, Nordine Ghilli, 43 ans, habitant Sannois (Val-d’Oise), a réussi à échanger avec le ministre sur la législation et l’encadrement des carrés musulmans. « Il a semblé intéressé par mon propos et m’a même demandé de lui faire une présentation de la situation par écrit », se réjouit le gérant de la société de pompes funèbres Elamen. Seule Hidaya Said, la plus jeune du panel de Saphirnews, âgée de 23 ans, venue spécialement de Vénissieux, n’a pas eu de réponse à sa question. La jeune médiatrice de santé auprès de l’Association départementale d’éducation à la santé du Rhône pointe pourtant du doigt une question fondamentale : « Je voulais savoir pourquoi les sanctions pour des actes islamophobes ne sont pas à la hauteur des délits si on compare à d’autres formes de racisme et pourquoi ce sujet n’est pas assez dénoncé dans le discours des hommes politiques. » Si le ministre a rappelé que 100 mosquées sont actuellement surveillées, « un effort considérable » juge-t-il, la demande de Hidaya Said restera lettre morte.

Parmi d’autres grands sujets abordés, la laïcité à travers l’interdiction du port du voile pour les mamans accompagnatrices aux sorties scolaires ou les polémiques autour des repas de substitution à la cantine. À chaque fois, le ministre s’est contenté de rappeler « les valeurs de la laïcité qui permettent le vivre-ensemble, le trésor de la République » et précise que « interdire les menus de substitution à la cantine, ça n'a rien à voir avec la laïcité. Interdire l'accès aux plages à des femmes voilées, ça n'est pas la laïcité, je le dis clairement ». Une position qui a même provoqué de francs applaudissements dans l’assistance.

« J’ai rarement entendu un discours aussi inclusif et aussi apaisé »

Quant aux sujets qui concernant l’exercice du culte, ils seront abordés plus en détails dans le cadre de l’instance de dialogue, promet le ministre. « Si on veut une réponse efficace, on doit la bâtir ensemble, elle doit être conforme au droit de la République », justifie-t-il. Les invités du jour devront donc prendre leur mal en patience et attendre le compte rendu des débats de l’instance.

Si certaines frustrations sont à déplorer, elles seront vite oubliées par le sentiment d’avoir été écoutés. En rentrant à Vénissieux, Hidaya Said était fière de montrer à ses proches sa photo avec le ministre, « comme pour prouver que tous mes engagements associatifs ont une finalité. J’ai participé à un débat très intéressant et j’en suis fière ». Pour Nordine Ghilli « cela reste de beaux discours, il faut attendre les actes. Mais je reconnais que j’ai rarement entendu un discours aussi inclusif et aussi apaisé ».

Même son de cloche pour Nabeela Akhtar, qui note « une bonne volonté » de la part du ministre par comparaison à ses prédécesseurs. Bernard Cazeneuve, qui a reconnu ne pas être adepte des « petites phrases » auxquelles d’autres hommes publiques ont malheureusement trop habitué les musulmans, a marqué des points. « J’ai conçu mon ministère comme celui où les mots doivent être choisis, la portée des paroles évaluée, les propos qui rassemblent doivent être recherchés, il faut être dans la rigueur des mots justes qui essaient d’apaiser, de rassembler et de créer les conditions d’une République inclusive de tous ses enfants ». Il finit d'ailleurs par souhaiter aux Français de confession musulmane de « vivre intensément » le mois de Ramadan qui devrait commencer le 18 juin.

Ces mots et cette approche qui, bien qu'ils aient plu au public invité, ne constituent au fond qu'une étape d'une vaste opération de communication savamment orchestrée, à une semaine de la réunion inaugurale de l'instance de dialogue avec l'islam, qui aura lieu en présence du Premier ministre lundi 15 juin.