Points de vue

Caricatures : musulmans, déjouez le piège !

Par Kamel Meziti*

Rédigé par Kamel Meziti | Mercredi 26 Septembre 2012 à 10:51



Charlie Hebdo, journal multirécidiviste dans sa haine affichée de l’islam, a trouvé encore une fois « le filon en or » dans sa dernière publication de caricatures sordides et répugnantes : au nom de la liberté d’expression, à laquelle nous sommes tous attachés, ce « Charlot Hebdo » déverse sans complexe sa haine viscérale, dans une logique de provocation totalement assumée. Mais la sagesse universelle nous a enseigné que la haine est la colère des faibles.

Face à un journal qui nourrit l’imbécilité réactionnaire et promeut le « choc des civilisations », la réponse la plus intelligente est celle du mépris allié à l’action citoyenne, politique et juridique dans le cadre de l’état de droit.

On est en droit de s’interroger sur les manifestations islamophobes récurrentes de ce magazine : sur le plan commercial, l’affaire est, certes, bien huilée, avec la vente de quelque 75 000 exemplaires du dernier numéro, de surcroît réédité. On ne peut cependant occulter, tout en le déplorant, le revirement idéologique très ciblé d’un hebdomadaire jusque-là classé très à gauche et, chose inédite, aujourd’hui soutenu publiquement et d’une manière assez ubuesque par une certaine… Marine Le Pen ! Les clivages politiques s’effacent devant l’ennemi commun, cet islam coupable de tous les maux !

Une version revue et corrigée du maccarthysme ?

À cet égard, la présidente du Front de la haine a franchi un nouveau cap en se prononçant pour l’interdiction du voile dans l’espace public. La visibilité des musulmanes dans « les magasins, les transports, la rue » semble poser problème pour cette intégriste politique qui instrumentalise la laïcité et jette à nouveau de l’huile sur le feu dans un contexte national et international explosifs.

Musulmans coupables de jeûner au travail, nounous voilées interdites d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires, barbus licenciés de leur travail en raison de leur confession musulmane, et voilà que maintenant on préconise un nouveau « serrage de vis » et une restriction supplémentaire des libertés fondamentales.

À ce rythme-là, nos concitoyens musulmans devront bientôt raser les murs et s’excuser pour leur identité islamique ! Leur faudra-t-il, dans un avenir peut-être pas si éloigné que cela, arborer leur croissant jaune comme les juifs ont connu leur étoile jaune sous les nazis ? Ne sommes-nous pas en train de voir se profiler une version revue et corrigée du maccarthysme : on sait ce que ce dernier a produit de plus abject à l’égard des communistes ou de leurs sympathisants dans l’Amérique inquisitrice des années 1950. Dans sa définition élargie, le maccarthysme se décline comme une politique consistant à réduire l’expression d’opinions politiques ou sociales jugées défavorables, en limitant les droits civiques sous le motif de défendre la sécurité nationale.

Force est de constater que nous en apercevons les prémisses, notamment après les déclarations de fermeté et l’interdiction de toute manifestation anti-caricatures sous le prétexte de troubles à l’ordre public. Posture très inquiétante, car elle pose le postulat de musulmans violents, incontrôlables, incapables d’une expression pacifique respectueuse du cadre légal.

Notons au passage l’usage volontairement galvaudé par certains médias d’expressions telles que « manifestations islamistes » pour accroître encore l’islamo-paranoïa. Qu’en serait-il si Manuel Valls interdisait les manifestations des communautés juive, chrétienne, bouddhiste ou même les marches des corporations syndicales en France ?

Les musulmans de France ne sont pas des mineurs sous tutelle

Nous ne pouvons que souscrire à l’appel à l’apaisement des responsables cultuels musulmans et nous restons sereins quant à la vigilance et au recul dont saura faire preuve la deuxième communauté religieuse de l’Hexagone ; en même temps, nous dénonçons ces velléités d’encadrement des musulmans de France qui ne veulent plus être considérés tels des mineurs sous tutelle.

Le droit de manifester pacifiquement, au même titre que la liberté journalistique, est garanti par notre Constitution. Le limiter sous des motifs fallacieux constitue une régression flagrante et une atteinte aux droits fondamentaux. De surcroît, restreindre la liberté d’expression à l’endroit des musulmans, dans le cas précis de Charlie Hebdo, conforte à juste titre le sentiment d’un traitement différencié, asymétrique.

Qu’un média satirique fasse dans la provocation, c’est son rôle, son essence même ; que l’injure et l’incitation à la haine soient érigées en ligne éditoriale singulièrement et régulièrement ciblée, cela est sujet à questionnement sur les plans déontologique et éthique. À qui fera-t-on croire que les irresponsables de ce magazine dénoncent les dérives du « radicalisme islamique » quand ils l’alimentent dans une posture opportuniste manifeste à la suite de remous planétaires suscités par le navet « Innocence of Muslims » aux finalités pas si innocentes que cela ?

À cet égard, nous ne pouvons que déplorer le lourd bilan humain consécutif aux manifestations violentes à travers le monde arabo-musulman : le manque de sagacité, la bêtise ont tué des innocents tout en confortant les marchands de haine. Le procédé est classique et bien rôdé : on essentialise la marge qui se métamorphose en norme dans l’inconscient collectif, globalisant par la même occasion une présomption de violence et d’obscurantisme.

La bataille de l'image pour faire « enrager » les musulmans

D’une certaine manière, les pyromanes en tout genre ont déjà gagné la bataille de l’image, mais ils ne pourront pas se réfugier indéfiniment derrière l’étendard de la liberté d’expression pour s’exonérer des catastrophes et drames humains qu’ils génèrent.

À l’ère de la communication mondialisée, le furtif, le spectaculaire prennent le pas sur la raison et l’analyse méticuleuse : l’image habilement dépréciée d’un islam fébrile, agressif, mortifère vient encore alimenter les grands titres des médias internationaux avides de sensationnalisme. Cercle vicieux duquel les musulmans doivent s’extirper avec sagesse et lucidité.

Qui croira, sans rire, que les musulmans de France ou d’ailleurs sont des « intouchables » lorsqu’ils sont d’une manière cyclique offensés, salis par des responsables politiques ou des médias irresponsables faisant l’apologie de l’islamophobie ? « Qui veut tuer son chien dit qu’il a la rage », dit l’adage.

En l’occurrence, tout est fait pour faire « enrager » les musulmans et trouver les « justifications » à posteriori. Les musulmans de notre pays sauront déjouer ce piège machiavélique et ont toujours massivement exprimé leur foi intangible dans les valeurs de la République « Liberté, Égalité, Fraternité ». Quand bien même ces dernières sont mises à mal par les chantres d’une vision très singulière d’une liberté d’expression dévoyée : « Liberté, j’écris ton nom… sur la haine du musulman ! » À l’instar, d’une certaine Véronique Genest, alias « Julie Lescaut », qui, récemment, déclarait être « islamophobe » en justifiant étymologiquement le qualificatif : on peut imaginer les réactions si Madame la Commissaire avait usité du terme « homophobe », « judéophobe », « christianophobe »… !

Dans tous les domaines (journalistique, politique, cinématographique…), il suffit désormais de faire de « l’antimusulmanie » primaire pour être sous les feux de la rampe au nom de cette sacro-sainte liberté d’exprimer publiquement et sans complexe sa haine ordinaire de l’islam.

La liberté d’expression pour alibi

Bien avant un certain quotidien national, Beaumarchais avait fait sienne ce précieux adage : « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » La liberté d’expression et la critique des religions ne sauraient être convoquées pour servir d’alibi et se transformer en insulte, voire en incitation à la haine religieuse. L’injure, la stigmatisation et l’atteinte à la dignité ne sauraient se substituer à une liberté d’expression, élément moteur et consubstantiel de notre État de droit.

Du reste, l’épisode indigeste des dernières caricatures aura tout de même été révélateur d’un relatif modus vivendi entre un ministre de l’Intérieur socialiste et un ancien Premier ministre UMP.
Le premier a récemment rappelé que, dans une société où règne la liberté d’expression, la caricature était « un droit fondamental » encadré par la loi et a refusé toute remise en cause du « droit d’expression, celui de l’information, de l’opinion, de la caricature dans le cadre évidemment de la loi », expliquant que « les tribunaux sont là pour être saisis par ceux qui se considéreraient comme attaqués, offensés ».
De son côté, François Fillon apporte son soutien total au journal satirique : « Ce qui est en train de se passer avec cette espèce d’intolérance qui monte dans une grande partie du monde et qui est instrumentalisée par des extrémistes (...), c’est une sorte de régression par rapport à l’état de la civilisation. (...) Je défends “Charlie Hebdo”, je défends la liberté d’expression et je pense qu’on ne doit pas céder un pouce de terrain dans ce domaine-là. » On est en droit d’attendre plus de circonspection de nos dirigeants politiques.

Face aux pyromanes, répondre avec l’intelligence du cœur et de la raison

Face à ce qui apparaît comme une lecture à géométrie variable d’un concept précieux pour notre démocratie, gageons que les musulmans de France auront tout loisir d’exprimer, dans le cadre de la loi, leur indignation et leur refus d’être salis dans leur dignité et d’être relégués au rang de citoyens de seconde zone.

Gageons aussi que les quelques millions de concitoyens de référence musulmane se sentant « attaqués, offensés » ne seront pas classés dans la rubrique « obscurantistes, fanatiques, extrémistes et autres périls pour la République ».

Ne pas répondre aux pyromanes qui attisent les feux de la rancœur et de la subversion, ou plutôt répondre avec l’intelligence du cœur et de la raison en faisant prévaloir la loi, tel est l’enjeu de taille pour notre siècle en prise aux conflits idéologiques et à la torpeur globalisée d’un village planétaire qui tend à se recroqueviller sur lui-même.

Traiter la haine par l’indifférence et ne pas succomber à la tentation de l’effet miroir, tel est l’enjeu pour nos concitoyens musulmans. Rester stoïque face à l’adversité. Garder un sens affiné de la responsabilité dans l’édification d’une société libre, égalitaire, fraternelle et respectueuse de sa diversité et de la dignité de toutes ses composantes… sont les défis majeurs pour la patrie des droits de l’homme.

Le chemin est long et escarpé et bien des chiens continueront à aboyer mais comme le dit l’adage : « Les chiens aboient, la caravane passe ! »


* Kamel Meziti est historien des religions, enseignant-chercheur.