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Points de vue

Une série télé palestinienne qui veut changer la société

Par Alon Raab*

Rédigé par Alon Raab | Lundi 24 Mai 2010 à 01:27

           


Une série télé palestinienne qui veut changer la société
A Bethlehem, en plein milieu de la place de la Crèche, sous la pleine lune, deux amoureux récitent les vers d'amour et de nostalgie du grand poète national Mahmoud Darwish. Leurs ombres projetées sur le lieu de naissance du Christ se confondent. La scène passe ensuite à un club de sport : des jeunes choisissent le match qu'ils vont mettre à la télé : Real Madrid v. Barcelone ou Zamalek v. Al-Ahly? De fil en aiguille, la conversation débouche sur la politique, et l'un des membres du club, surnommé Platini, déclare : « Nous devrions vivre comme nous le pensons. »

Soyez les bienvenus dans le monde de The Team, comédie dramatique en 28 épisodes, produite dans les Territoires palestiniens, qui sera prochainement diffusée sur la chaîne palestinienne Ma'an.

L'automne dernier, j'ai fait le trajet de Jérusalem à Bethlehem pour y rencontrer les créateurs de la série et assister à une partie du tournage. J'ai d'abord rencontré Nabil Shoumali, créateur, scénariste et réalisateur du film, qui a étudié le cinéma à Prague. Il a aussi réalisé et produit des épisodes de la version palestinienne de Sesame Street. Lors d'une projection du premier épisode, Nabil Shoumali fit remarquer avec humour que The Team est une série pour le « changement social ».

D'autres séries télévisées racontent le fonctionnement interne de clubs de football comme le Dream Team (Royaume-Uni) et The Champion (Israël), mais elles privilégient les intrigues romantiques et les rapports de force. Quoique ces aspects apparaissent aussi dans The Team, les réalités politiques et sociales de la vie des Palestiniens sous occupation, ainsi qu'un vif désir de résoudre les problèmes dans un esprit novateur et pacifique, sont ce qui distingue l'émission palestinienne pour en faire une œuvre d'art qui sait parler aux gens.

Les événements politiques qui perturbent la vie quotidienne des Palestiniens, à commencer par la dureté de la vie, la confiscation des terres et la résistance, se faufilent harmonieusement dans l'intrigue. Nous voyons les ravages du chômage lorsque deux joueurs, Tony et Hakim, passent clandestinement en Israël pour y trouver du travail, malgré tous les risques auxquels ils s'exposent. Un autre, Abu Ayaaed, échappe à l'armée israélienne, tandis qu'Ahmed est blessé par une balle en caoutchouc au cours d'une manifestation, puis arrêté par des soldats israéliens.

Les rapports entre personnes des deux sexes sont un thème important de ces films. Les personnages préférés sont quelques femmes au caractère bien trempé, dont Zeinab, la mère de l'un des joueurs. Après la mort de son mari, elle décide, plutôt que d'épouser le frère de celui-ci, comme le voudrait la coutume, de se lancer dans des études à l'Université de Bethlehem.

Sans compromettre ni le déroulement du récit ni le divertissement, Nabil Shoumali et ses associés font la part belle à la primauté du droit et de la liberté d'association, aux difficultés que rencontrent les femmes, à la résolution pacifique des conflits et à l'importance de pouvoir poursuivre un rêve. En plaçant un club sportif au coeur de l'action, ils peuvent évoquer les premiers temps de l'histoire du sport en Palestine et l'époque où ces clubs étaient des centres de vie culturelle et politique qui forgeaient une identité. Des films d'archive montrent les effets qu'ont eu sur le football des réalités historiques plus puissantes, comme la Nakba de 1948, c'est-à-dire l'exode d'environ 750 000 Arabes de Palestine à la suite de la guerre civile et de la création de l'Etat moderne Israël.

Dans The Team, les enfants sont actifs dans leur communauté. Par exemple, des manifestations spéciales sont organisées pour les handicapés. Et, reprenant une histoire toute récente qui a vu des membres de l'équipe nationale palestinienne éliminés par des attaques et des arrestations israéliennes, des membres du club fictif sont aussi mis en prison.

Nous voyons des enfants jouer dans la rue comme tous les enfants du monde, arborant le nom de leurs héros de football sur leur T-shirt, nous voyons comme partout des individus se fondre dans une équipe avec des buts communs, le but de la série étant précisément de favoriser l'épanouissement de l'unité dans la société en général.

« Nous souhaitions transmettre des valeurs de paix, et pour y parvenir, il faut convaincre, et non imposer », dit Nabil Shoumali. Ex-marxiste, il souligne l'importance du vivre ensemble avec les Israéliens, l'importance de la communication, chaque partie prenant acte de l'humanité de l'autre. « La guerre est le cadavre de toute civilisation… Nos rêves doivent être connectés. »

« Les Palestiniens montrent toujours des victimes, les maux de l'occupation », nous dit Raed Othman, directeur général de Ma'an, agence de presse et réseau médiatique palestinien indépendant à but non lucratif, qui produit l'émission. « Ces choses existent, mais nous voulions nous concentrer sur des vies personnelles, ce qui se passe à la maison, les rapports entre les gens. Nous présentons un nouveau regard sur les Palestiniens. Dans les pays occidentaux, on voit souvent les Palestiniens sous un mauvais jour. Grâce à la fiction, nous pouvons parler de nos rêves, du construire ensemble, du jour où nous aurons un Etat à nous, du pouvoir qu'a le groupe sur son propre avenir. L'équipe représente la société Palestinienne. »

The Team est coproduit par Search for Common Ground, organisation internationale de résolution des conflits qui aide, notamment, à la confection d'émissions de radio et de télévision qui proposent des alternatives au conflit. C'est ainsi qu'en Israël et en Palestine, comme en de nombreux autres endroits où règne une dissension ethnique et nationaliste, le football fournit à point nommé un sujet de discussion et un langage commun.


* Natif de Jérusalem, Alon Raab est professeur de religion à l'UC Davis de l'Université de Californie. Il a cosigné The Global Game: Writers on Soccer (University of Nebraska Press). Texte intégral et original de cet article sur www.theglobalgame.com





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