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Points de vue

Que savons-nous des jeunes musulmans britanniques ?

Par Sughra Ahmed*

Rédigé par Sughra Ahmed | Samedi 27 Août 2011 à 00:28

           


Londres – Suite aux révoltes dans plusieurs villes du Royaume-Uni, certains médias se sont focalisés sur la jeunesse musulmane britannique. Il s’agit principalement de jeunes immigrés de la troisième génération, grandissant dans un pays souvent désabusé quand il est question de comprendre sa jeunesse, la percevant comme problématique et fatigante. En tout cas, la parole est rarement donnée aux jeunes musulmans britanniques pour qu’on puisse entendre leur façon plus nuancée de s’exprimer sur leur identité.

Selon des données de recensement, au Royaume-Uni, le musulman moyen a 28 ans (soit 13 ans de moins que la moyenne nationale), environ plus de la moitié des musulmans a 25 ans et un tiers d’entre eux a 16 ans ou moins. Nous avons l’habitude d’entendre parler de ces jeunes dans le contexte de la radicalisation, mais leur vie est plus complexe que cela, et bien éloignée des débats sur l’extrémisme.

Il y a bien des choses que nous ignorons sur eux, comme, par exemple, les défis intergénérationnels qui se posent à eux, leurs relations avec leur communauté et ses responsables ou encore leur mise à l’écart par certaines institutions de la société britannique. Alors qu’est-ce que nous n’entendons pas ? Vers qui ces jeunes se tournent-ils pour défendre leurs intérêts et pour répondre à leurs besoins ? Comment ces besoins sont-ils satisfaits ?

Selon les rapports de recherche du Policy Research Centre, les jeunes musulmans ressentent fortement le fait que la société britannique ne les voit pas comme ils se voient eux-mêmes, c’est-à-dire en tant que jeunes gens modernes affrontant les défis du 21ème siècle. Ils veulent aussi surtout que nous arrêtions de considérer qu’il existe une contradiction entre leur religion et leur nationalité. Une des personnes interrogées dans le cadre de la recherche dit : « Les musulmans britanniques sont mis face à un dilemme, [on leur demande de] choisir entre être britannique ou musulman – pourquoi ne peuvent-ils pas être les deux à la fois ? »

Pour les jeunes musulmans britanniques, définir leur appartenance ethnique, n’est pas juste une question de politique et de religion organisée. Ils ont un sens profond d’appartenance locale ; si leurs grands-parents ont émigré dans ce pays, eux, en revanche, y ont de véritables racines. Les musulmans écossais précisent qu’ils sont écossais et fiers de l’être. Cela est peut-être aussi lié au fait d’être bien accepté. Un jeune musulman écossais raconte qu’il s’est senti vraiment écossais quand un jour, il a eu affaire à des supporters de football dans un train. L’un d’entre eux lui avait demandé s’il soutenait l’Ecosse, il avait répondu : « Bien sûr. » Ce supporter lui avait ensuite dit chaleureusement : « Je t’achèterai un drapeau, puisque toi aussi, tu es écossais. »

Les identités sont toujours en négociation continue, parfois inconsciemment, en réaction aux discours entendus, aux expériences vécues et aux pressions qui hantent la vie complexe de chacun. Les jeunes musulmans britanniques disent que leur vie, moderne, manque beaucoup de communication, surtout quand il s’agit de relations et de fossés entre générations, au sein de la communauté. Plusieurs jeunes musulmanes disent avoir eu envie de découvrir l’islam par elles-mêmes. Or une fois qu’elle l’ont fait et acquis une certaine confiance religieuse, elles ont trouvé que la génération de leurs parents s’était montrée très exigeante et dure à leur égard.

D’autres jeunes, tous sexes confondus, reconnaissent mener deux vies complètement différentes – une vie à la maison et une autre en dehors. C’est leur façon de gérer les complications intergénérationnelles. Si, d’un côté, ces jeunes ont appris à éviter de poser trop de questions difficiles et à accepter les choses telles qu’elles sont depuis toujours, de l’autre – lorsqu’ils sont en dehors de la communauté musulmane – ils s’en sortent à force de poser des questions, d’apprendre, de douter et parfois de dépasser les limites.

Même si ces jeunes ont l’impression que la société britannique n’est pas à leur écoute, ils sont très patriotes et souhaitent vraiment améliorer leur vie ainsi que celle de leurs concitoyens. Que ce soit par le biais de leur travail pour les sans-abris à travers Fasting not Feasting – un projet qui promeut le partage de la nourriture – ou par leur participation au nettoyage organisé après les révoltes, ou encore par leur implication dans la préparation des jeux Olympiques de 2012 en Grande-Bretagne, les jeunes musulmans sont visibles et audibles si nous essayons, de les voir et de les entendre. Ils encouragent les autres à être fiers de faire du Royaume-Uni un pays meilleur.

Comment pouvons-nous, à notre tour, permettre à ces jeunes d’améliorer leur vie et leur avenir ? En faisant fi des stéréotypes, des identités politiques, de la crainte de « l’autre » et en les voyant comme ce qu’ils sont : des acteurs de l’avenir de leur pays et de notre avenir.


* Sughra Ahmed est une chercheuse au Policy Research Centre. Elle a produit « Seen and Not heard : Voices of Young British Muslims » (2009) et d’autres programmes sur le terrain rassemblant les points de vue de jeunes musulmans britanniques issus d’une quinzaine de communautés différentes à travers, l’Angleterre, l’Ecosse et le Pays de Galle.








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