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Société

La langue arabe, sujet de discorde ?

Rédigé par Karima Peyronie | Jeudi 27 Octobre 2016 à 08:00

           

À la rentrée 2016, la langue arabe est introduite en langue vivante 1 dès le CP (au lieu du CE1), à l’instar, d’ailleurs, de toutes les langues étrangères enseignées à l’école élémentaire. Une initiative prise par la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem et qui a fait délier de nombreuses langues. État des lieux sur l’apprentissage de l’arabe en France.



La langue arabe, sujet de discorde ?
On sait le politique français contestataire mais lorsqu’il s’agit des questions liées à l’arabe, et sous-entendu l’islam, les discours de tout bord s’affolent.

Ainsi, lorsque le ministère de l’Éducation a annoncé sa volonté de réformer l’apprentissage de l’arabe, en abandonnant progressivement les ELCO (enseignements de langue et de culture d’origine) et en introduisant l’arabe dès le cours préparatoire, la députée LR Annie Genevard n’a pas hésité à mettre le feu aux poudres : « Vous réduisez par votre réforme du collège la place du français, celle des langues anciennes qui sont nos racines ou des langues européennes comme l’allemand, qui prospéraient dans les classes bilingues. (…) Ne croyez-vous pas que l’introduction des langues communautaires dans les programmes scolaires encouragera le communautarisme qui mine la cohésion nationale ? »

Des propos appuyés par d’autres politiques, comme les tweets enflammés du FN, dont Robert Ménard, le maire de Béziers, qui s’indigne d’un « processus de défrancisation évident ».

Sixième langue officielle à l’UNESCO

Ghassan Alaouf, conseiller pédagogique de cours d’arabe à l’Institut international de langues et de cultures (IILC), déplore ces amalgames précipités : « Ces polémiques n’ont absolument pas lieu d’être. Taxer l’arabe de langue communautaire, c’est ignorer son histoire, sa civilisation, son statut de sixième langue mondiale, selon l’UNESCO. C’est une langue internationale parlée par plus de 270 millions de personnes. » Cet enseignant, depuis 20 ans, connait la réalité actuelle : « Il n’est pas question de discuter le fait que le français soit évidemment la première langue pour les enfants de la République. Mais il s’agit de leur apporter en plus une richesse en les exposant à l’arabe, qu’elle soit ou non leur langue maternelle. »

Rappelons que c'est en 1905 qu’est créée l’agrégation d’arabe de cette langue une discipline à part entière. Le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES) est, lui, créé en 1975.

Vers la disparition des ELCO

À l’origine, les ELCO résultaient d’accords mis en place dès les années 1970 entre la France et 8 États (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Espagne, Portugal, Italie, ex-Yougoslavie) visant à aider l’assimilation des enfants d’immigrés en leur proposant des cours supplémentaires, d’une heure et demie à trois heures, de leurs langues d’origine. Ces accords visaient alors directement les enfants de la première génération d’immigrés et étaient dispensés par des professeurs originaires des pays en question et payés par ces derniers. Aujourd’hui, les cours d’ELCO concernent 59 000 enfants du primaire et du secondaire, dont 0,1 % d’arabisants du CP au CM2.

La réforme de la ministre vise à faire disparaitre progressivement (en 3 ans) les ELCO au profit d’un contrôle de l’enseignement et d’une normalisation de l’apprentissage dès la primaire. Des cours seront réintégrés au temps scolaire et ouverts à tous, comme c’est déjà le cas avec l’anglais dès la primaire. L’idée est de rendre l’arabe « langue étrangère », et non plus « langue d’origine », luttant au passage contre une possible « dérive de catéchisme islamique » pointée à l’époque par le (très décrié) Haut Conseil à l’intégration (qui n’existe plus depuis 2012).

« L’arabe des mosquées » en crise

Il est vrai qu’en l’état « l’arabe des mosquées » possède ses failles, se désole Ghassan Alaouf : « Aujourd’hui, les parents qui veulent inscrire leurs enfants à un cours d’arabe ont le choix entre les associations arabo-musulmanes des mosquées, des instituts de langues et de cultures ou encore des écoles privées d’arabe. Pour leur pluralité, leur moindre coût et leur praticité, la majorité se tourne vers les mosquées mais celles-ci souffrent de défaillances importantes. »

Sans tabou, cet enseignant excédé dénonce pêle-mêle : la vétusté de certains locaux (« souvent en sous-sol, dans des espaces confinés, séparés par des rideaux ») ; un programme scolaire quasi inexistant, s’appuyant sur des manuels édités à l’étranger qui ne prennent pas en compte l’esprit européen ; et le manque de qualification des enseignants : « Le seul fait de parler arabe ne suffit pas pour s’autoproclamer prof ! », avertit-il.

Ce que Mohamed Bahou, responsable de l’enseignement de l’arabe à l’Association musulmane de Gonesse, modère : « Face au boom de la demande, environ + 70 % ces dix dernières années, nous avons dû adapter l’enseignement aux exigences des parents. Même si la transition est lente, de plus en plus de mosquées font l’effort d’apporter une place plus importante à la culture, luttant ainsi contre une instruction purement religieuse. » Obsolète devient la méthode qui consistait uniquement à apprendre par cœur des versets du Coran qui, au final, « participe plutôt à être écœuré rapidement », souligne Ghassan Alaouf.

Le boom du e-learning

En moyenne, 18 000 personnes par mois ont tapé sur Google « Apprendre l’arabe » en France sur l’année écoulée. Créé en 2004, l’Institut musulman d’enseignement à distance (IMED), créé par Zakaria Seddiki, est pionnier en la matière. À l’ère du numérique, les universités jouent également le jeu depuis peu, comme l’atteste le MOOC « Kit de contact en langue arabe » de l’Institut national de langues et civilisations orientales (INALCO), premier établissement d’enseignement supérieur à enseigner l’arabe depuis 1795. Démarrant en novembre prochain, ce MOOC propose d’apprendre gratuitement les bases de la conversation courante en arabe grâce à des cours vidéo et des exercices en ligne dans un programme intensif de 6 semaines.

L’engouement pour la langue arabe n’est ainsi pas seulement lié à l’apprentissage de la lecture coranique. Outre l’aspect culturel et le souhait de maitriser la conversation courante, c’est bel et bien les débouchés professionnels qui peuvent intéresser les apprenants.

Les besoins de l'économie

Sur ce point, Ilham Moustachir, vice-présidente de la communauté d’agglomération Roissy Pays de France, et chargée de l’emploi, de la formation et de l’insertion professionnelle, est très claire : « L’arabe littéraire n’est pas une lubie communautaire, c’est un réel besoin pour l’économie ! Dans ma région, sur les 40 % de jeunes chômeurs, une grande majorité est d’origine maghrébine. Or si on intégrait dans leur cursus l’arabe, ils pourraient trouver facilement du travail dans des secteurs aussi variés que l’aéroportuaire, le commerce, les échanges d’import-export… Sans compter l’épanouissement personnel pour les binationaux de maitriser leurs langues d’origine, et non plus baragouiner un dialecte. »

Et d’insister : « Les acteurs de formation ne peuvent plus continuer à faire la sourde oreille face à ce contexte économique et social, il en va du mieux vivre ensemble ! »





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