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Religions

Grande Mosquée de Saint-Etienne : une ambassade du Maroc au service des musulmans

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Vendredi 22 Juin 2012 à 00:00

           

Après huit années de travaux, la Grande Mosquée de Saint-Etienne (Rhône-Alpes) a été inaugurée mardi 19 juin. Financée en grande partie par le Roi du Maroc, elle porte son nom. Mais en marge de l’inauguration de la mosquée Mohammed VI, une manifestation de fidèles a éclaté car l’immense édifice religieux fait débat. Des fidèles exigent une transparence sur sa gestion et son financement. C'est désormais du côté du Maroc qu'ils devraient trouver des réponses à leurs questions car la Grande Mosquée de Saint-Etienne appartient désormais à l’Etat marocain.



Les autorités locales et religieuses lors de l'inauguration de la Grande Mosquée de Saint-Etienne, le 19 juin 2012.
Les autorités locales et religieuses lors de l'inauguration de la Grande Mosquée de Saint-Etienne, le 19 juin 2012.
Près de 450 personnes, dont Jean-Jack Queyranne, le président socialiste (PS) du conseil régional Rhône-Alpes, et le maire de la ville PS Maurice Vincent, étaient présents, mardi 19 juin, pour l’inauguration de la Grande Mosquée de Saint-Etienne.

Les représentants des autres religions de la région, le grand rabbin de Lyon Wertenschlag, l’évêque de Saint-Etienne Dominique Lebrun et un représentant du culte protestant, avaient aussi fait le déplacement.

Du côté des instances musulmanes, Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et Anouar Kbibech, le président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), étaient présents. Par ailleurs, Ahmed Toufiq, le ministre marocain des Affaires islamiques, était venu du Maroc pour représenter le roi.

Un édifice imposant

Lors de l’inauguration, le public a pu découvrir l’intérieur de cet un édifice religieux imposant, dont le minaret atteint 14 m². Il faut dire que la Grande Mosquée de Saint-Etienne est impressionnante. Elle couvre une surface globale de 10 000 m², dont 1 800 m² d’espace couvert. Elle peut accueillir 1 800 fidèles à l’intérieur et jusqu’à 5 000 personnes sur son esplanade, les jours de fête. Et un terrain de 3 000 m² devrait accueillir prochainement un centre socioculturel.

Il aura fallu attendre huit années pour que la construction de cette Grande Mosquée à l’architecture marocaine se termine. Jusque-là, les fidèles priaient dans une salle de prière temporaire aménagée sous un spacieux chapiteau.

Lors de l’inauguration, le maire Maurice Vincent s’est réjoui de voir la communauté musulmane de sa ville dotée à présent d’une « Grande Mosquée et d’un lieu de prière de très haute qualité ». « Je constate, aussi, avec intérêt, que notre patrimoine monumental de Saint-Étienne vient s’enrichir d’un nouvel édifice qui est en même temps une œuvre d’art », a-t-il ajouté.

Fabienne Buccio, préfète du département de la Loire, qui était aussi présente, a souhaité que les musulmans puissent trouver dans cette mosquée « un lieu propice à l’exercice, digne et paisible, de leur religion ».

Des fidèles furieux et inquiets

Pourtant, l’ambiance était loin d’être à l’apaisement autour de la Grande Mosquée. Durant l’inauguration, une cinquantaine de fidèles s’étaient réunis pour protester contre le renvoi de l’imam Mohamed El Adly, qui officiait depuis 17 ans à Saint-Etienne.

Depuis près d’un mois, réunis dans le Comité des fidèles de la Grande Mosquée de Saint-Etienne (CFGMSE), ils se battent pour garder leur imam , « un homme qui fait l’unanimité ». Ils ont d'ailleurs lancé une pétition, toujours en ligne, pour demander son maintien. L’imam rappelé au Maroc par les autorités religieuses dont il dépendait aurait été jugé trop radical, une idée complètement absurde pour les fidèles qui le soutiennent. « On l’accuse de radicalisme, c’est faux. Il était apprécié, y compris par les non-musulmans, pour ses qualités humaines », a assuré une manifestante venue de Lyon.

Aldo Oumouden, le porte-parole et chargé de communication de la Grande Mosquée de Saint-Etienne, explique qu’en tant que « fonctionnaire » de l’Etat marocain, l’imam El Adly devait s’attendre à être rappelé par l’Etat comme peuvent l’être « les ambassadeurs », d’autant plus que son contrat initial était de quatre ans. La question de sa radicalisation n’a « rien à voir » mais il estime que l’on « utilise cela aujourd’hui pour créer de la zizanie ». Pour lui, il s’agit simplement d’une « décision administrative ». La réaction des fidèles, attachés à l’imam qu’ils connaissent depuis 17 ans, est selon lui, « une affaire émotionnelle », ajoute-t-il. Un nouvel imam, Khalid El Asri, un Marocain francophone de 37 ans, membre de la délégation des Affaires islamiques de la région de Rabat, a rapidement été nommé.

Après l’éviction de leur imam, les fidèles avaient ainsi demandé des comptes à Larbi Marchiche, le recteur de la Grande Mosquée de Saint-Etienne. Mais contacté par nos soins, il avait indiqué qu’il n’avait aucun pouvoir sur cette décision car ce sont les autorités religieuses marocaines qui se chargent de nommer et de rémunérer les imams de la Grande Mosquée de Saint-Etienne.

Toutefois, les manifestants n’étaient pas venus seulement pour demander le maintien de l’imam. Ils réclament également « une totale transparence dans la gestion de l’association de la Grande Mosquée de Saint-Étienne », comme ils l’indiquent dans leur pétition.

Une nouvelle mosquée marocaine en France

Les fidèles stéphanois vont devoir s’habituer à une prise totale du pouvoir par le Maroc, car la Grande Mosquée de Saint-Etienne est à présent une propriété de ce pays, qui a contribué à 75 % de son financement. En effet, sur les 8 millions d’euros de son coût total, le roi du Maroc a déboursé 6 millions d’euros. Le reste provient de donateurs privés étrangers et français.

En devenant la propriété du Maroc, l’objectif est d’accéder à « un financement chronique » pour permettre aux fidèles de « prier en toute tranquillité », explique M. Oumouden, qui ajoute que le coût de la mosquée ne pouvait pas être assuré par les fidèles.

En 2004, la première pierre a été posée puis la mosquée est restée longtemps en chantier par manque de financement. Larbi Marchiche, le recteur de la Grande Mosquée de Saint-Etienne, d’origine marocaine, s’est alors adressé au roi du Maroc, qui a accepté de prendre en charge une grosse part de la construction de l’édifice religieux.

Aujourd’hui, du côté de l’association de la Grande Mosquée de Saint-Etienne, on assume pleinement le fait que la mosquée soit aux mains du royaume chérifien. On accepte d’être totalement dirigé par le Maroc.

Si les tensions persistent avec certains fidèles, c'est parce que ces derniers n'auraient pas compris cette réalité, juge Aldo Oumouden. Pour les membres de l’association qui souhaitent en savoir plus sur la gestion de la mosquée, M. Oumouden indique que « rien n’est caché », chacun pouvant demander à voir les bilans du commissaire au compte.

Reste que pour une jeune femme, d’origine marocaine, présente lors de la manifestation, le nom de Mohammed VI, roi du Maroc, donné à la mosquée est « un signe de conservatisme et de manque d’ouverture vis-à-vis des non-Marocains ». Pourtant, M. Oumouden assure que cette mosquée n’a « pas de couleur ni de drapeau » . « Tout le monde peut venir », ajoute-t-il.

Une grande école arabe

« Construire cette Grande Mosquée à Saint-Étienne est un message que le roi Mohammed VI lance au monde entier », a déclaré, pour sa part, le ministre marocain des Affaires islamiques. « Cette mosquée promeut l’islam du juste milieu dans le respect des valeurs du pays d’accueil », a-t-il ajouté.

A présent, la Grande Mosquée de Saint-Etienne devra faire accepter à tous ses fidèles le changement de statut de la mosquée. Mais, dans la réalité, ce nouveau statut officiel ne va pas faire changer grand-chose car, comme on l'a vu, le Maroc se chargeait déjà de nommer les imams de la mosquée.

A Saint-Etienne, on a donc fait le choix de laisser la mosquée sous le contrôle du Maroc pour profiter de ses moyens colossaux. Ainsi, également financée par le Maroc, la nouvelle école arabe pourra accueillir jusqu’à 540 élèves dans des locaux de la ville.

Rester sous tutelle du Maroc est un choix qui peut paraître curieux pour les musulmans de France, mais de telles démarches risquent de perdurer ici et là : le financement des mosquées émanant essentiellement des collectivités reste en effet encore un casse-tête aujourd’hui en France.






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