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Monde

Europe-Israël : « une alliance contre-nature » appelée à cesser

Rédigé par | Vendredi 17 Mai 2013 à 12:45

           

Coup de projecteur sur « Europe-Israël : une alliance contre-nature ». L'ouvrage*, passé inaperçu dans les librairies françaises mais au contenu documenté et instructif, passe au crible l’état des relations entre l’Union européenne et Israël. Il est le résultat de mois d'enquêtes menées au plus près des institutions européennes par le journaliste irlandais David Cronin, qui vit à Bruxelles. Celui qui travaille aujourd'hui pour Electronic Intifada, un site d'actualités sur la Palestine, après être passé au « Guardian », dénonce avec force l'attitude de l'UE visant à renforcer toujours plus sa coopération avec Israël sans condition de respect des droits de l'homme en Palestine. Entretien avec un écrivain engagé qui ne manie pas la langue de bois.



David Cronin, auteur du livre « Europe-Israël : une alliance contre-nature »
David Cronin, auteur du livre « Europe-Israël : une alliance contre-nature »

Saphirnews : Pourquoi qualifiez-vous les relations entre Europe et Israël de « contre-nature » ?

David Cronin : Cette expression est une traduction de l'expression anglaise « unholy alliance », qui décrit une relation de voyous. En 1912, Theodore Roosevelt a dénoncé « l'alliance contre-nature » entre les hommes d'affaires et les hommes politiques corrompus.

Quelques jours avant qu’Israël eut entamé son grand attentat contre la bande de Gaza en novembre 2012, les fabricants d'armes ont organisé une grande exposition à Tel Aviv. Quand Shimon Peres, le président israélien, a visité l'exposition, il leur a rendu hommage pour leur forte capacité d'innovation. Qui a sponsorisé cette exposition? Les fabricants d'armes israéliens bien sûr, mais aussi la Commission européenne.

L'Europe a officiellement embrassé l'industrie militaire israélienne à la veille d'un attentat contre les civils palestiniens en 2009. On peut parler, alors, d'un mariage entre voyous. L’UE est une entité voyou de par sa complicité avec Israël. Toutes ses politiques publiques, que ce soit pour l’éducation, les sciences économiques ou militaires, sont interconnectées pour soutenir l’occupation. Quand on soutient une dimension de la politique israélienne, on soutient tout.

L’accord d’association UE-Israël est un des signes manifestes de la bonne santé des relations. Quelles responsabilités attribuez-vous aux Etats membres dans les violations commises par Israël envers les Palestiniens ?

David Cronin : En 2000, un accord d'association entre l'UE et Israël (visant à renforcer le libre-échange, ndlr) est entré en vigueur. Dans ce document, il est clairement dit qu'Israël doit respecter les droits de l'homme s'il veut entretenir une relation privilégiée avec l'Union européenne. Israël est un Etat qui viole les droits du peuple palestinien quotidiennement depuis 1948. Malgré le fait que cet accord soit contraignant, l'UE a continué à construire une relation plus approfondie avec Israël. On peut dire que l'UE viole ses propres lois.

Pour quelles raisons tient-elle tant à maintenir ses relations avec Israël au top ?

David Cronin : L’intérêt est principalement stratégique avec, pour toile de fond, la politique de lutte contre le terrorisme. L’UE a décidé d’approfondir ses relations avec Israël après les attentats du 11-Septembre. Elle lui a consacré une enveloppe spéciale dans le cadre de la coopération scientifique en matière de « sécurité », qui vise à soutenir son industrie militaire. Les puissants hommes politiques européens parlent d’Israël comme d’un partenaire stratégique pour l’Europe. Pour eux, il est nécessaire qu’Israël ait un pouvoir militaire important.

Israël a aussi une économie très dynamique, il a innové dans le domaine des nouvelles technologies, de l’informatique et des sciences. Si l’Europe veut stimuler sa croissance dans ce secteur, elle estime nécessaire d’avoir des relations fortes avec Israël. Mais le problème pour les militants des droits de l’homme est que son économie est structurée autour de l’occupation. On ne peut pas faire abstraction de ce fait.

L’UE est le plus gros bailleur de fonds pour les Palestiniens. En quoi cette politique d’aide financière est-il un leurre pour la résolution du conflit, selon vous ?

David Cronin : Catherine Ashton, la haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, n'est pas de tout franche à ce sujet. Elle donne l'impression que cette aide financière est comme un grand cadeau pour les Palestiniens. Mais selon le droit international, Israël est obligé – en tant qu’occupant – de financer les besoins fondamentaux des Palestiniens. L'UE a décidé d'assumer cette responsabilité. En effet, l'occupation est subventionnée par le contribuable européen.

L'UE ne finance pas uniquement des services sociaux mais aussi les opérations de sécurité en Cisjordanie. Leur but est d'approfondir la coopération entre la police palestinienne et Israël. L'UE commande aux opprimés de collaborer avec l'oppresseur. Ce n’est pas une solution pour la résolution du conflit de façon juste.

Quels pays sont aujourd’hui les principaux moteurs de cette coopération ? Des Etats la freinent-ils ?

David Cronin : Tous les 27 Etats membres de l'Union se sont rendus coupable de complicité des crimes contre l'humanité. Aucun Etat ne freine la coopération. C'est intéressant de savoir que les diplomates européens qui travaillent en Cisjordanie ont récemment exprimé une inquiétude concernant l’expansion des colonies – et même demandé des sanctions contre Israël. (Les chefs de mission de l’UE dans les Territoires occupés palestiniens ont qualifié, en février, la colonisation israélienne de « systématique, délibérée et provocatrice » et ont recommandé aux Etats d'empêcher les transactions financières en faveur des colonies, ndlr) Mais les chefs des gouvernements ont une tendance à ignorer les conseils des diplomates, tragiquement.

Le Parlement européen est la seule institution européenne dont les membres sont élus. Vous n’en parlez pas dans votre livre, alors que son rôle est intéressant à souligner. Pourquoi ?

David Cronin : A l’heure actuelle, la majorité est dominée par les démocrates-chrétiens, les conservateurs et les libéraux ; et elle soutient l’idée d’une coopération forte avec Israël. Les parlementaires ont décidé d’approuver l’accord ACAA (accord commercial autorisant l’entrée sans limites de produits industriels et pharmaceutiques, ratifié en octobre 2012, ndlr), malgré une grande campagne des militants pro-palestiniens.

Parfois, ils adoptent des déclarations de principe comme pour la libération de prisonniers palestiniens mais elles sont sans effet. Cela prouve que le Parlement européen ne soutient pas la Palestine. Mais les choses peuvent changer pour les prochaines élections (en 2014, ndlr), si la majorité s’inverse. C’est à la société civile de se mobiliser pour convaincre les parlementaires de changer la politique de coopération, par le vote.

Vous soulignez que les lobbies ont une connotation péjorative en Europe, surtout dès lors qu’il s’agit d’Israël. L’accusation d’antisémitisme n’est jamais loin… Qu’en est-il de la réalité de leur influence sur le continent dans l’approfondissement des relations avec Israël ?

David Cronin : La France est un bon exemple. Avant l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont assisté au dîner du CRIF. Plus récemment, Hollande a souligné son désaccord avec Stéphane Hessel sur la Palestine au cours des obsèques de Hessel. Pourquoi ? Probablement pour plaire au lobby sioniste. Il est très puissant à Bruxelles aussi. En 2012, il a mené une grande campagne pour convaincre le Parlement européen d'approuver l’accord ACAA et, malheureusement, le Parlement l'a approuvé.

Europe-Israël : « une alliance contre-nature » appelée à cesser

Ce n’est pas un hasard si Omar Barghouti, initiateur du mouvement BDS, a été choisi pour préfacer votre livre. Sachant que l’UE s’est bâtie sur un cruel déficit démocratique, quels espoirs entretenez-vous pour voir la situation changer ?

David Cronin : Personnellement, je n'ai aucune confiance dans les institutions européennes. Sans pression massive du peuple, il y a peu de chances que l'UE change sa politique envers l'Israël. C'est la tâche du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) de renforcer nos réseaux contre l'apartheid israélien. C'est notre tâche de lutter sans cesse pour la justice.


* David Cronin, Europe-Israël : une alliance contre-nature, Ed. La Guillotine, décembre 2012, 224 pages, 15 €.
Site de l'association La Guillotine



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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