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Religions

Entre soulagement et colère, des familles de pèlerins français au Hajj racontent

Rédigé par | Dimanche 27 Septembre 2015 à 09:00

           

Le bilan de la bousculade à La Mecque en pleine saison du Hajj 1436/2015 donne le tournis. Pour ceux et celles qui ont vu un proche se rendre en terre sainte, l'annonce du drame a été reçue avec une franche angoisse. Comment les familles de pèlerins français ont-elles vécu cet événement ? A qui attribuent-elles des responsabilités ? Témoignages exclusifs.



Entre soulagement et colère, des familles de pèlerins français au Hajj racontent
Le bilan de la bousculade à La Mecque survenue le premier jour de l’Aïd al-Adha jeudi 24 septembre est tragique : au moins 769 pèlerins ont trouvé la mort dans la matinée lors de laquelle le rituel de lapidation avait débuté. Un bilan qui pourrait s’alourdir mais qui dépasse lourdement ceux des drames survenus en 2004 et 2006, qui ont fait respectivement 251 et 346 morts.

Le réveil a été brutal pour Loubna Ayach qui se souviendra longtemps de cet Aïd. « Je m’étais couchée très tard. J’ai été réveillée par ma cousine qui me demandait si elle avait entendu parler de ce qui s’est passé à La Mecque », nous raconte la jeune femme, dont le père retraité, âgé de 68 ans, a fait partie du contingent français à La Mecque cette année (voir encadré). Son « premier réflexe » : s’assurer que la nouvelle n’arrive pas aux oreilles de sa mère et de sa sœur, enceinte du premier petit-enfant de la famille. A l'ère des réseaux sociaux, ce sera peine perdue.

Entre soulagement et colère, des familles de pèlerins français au Hajj racontent

« Une journée normale » qui tourne au vinaigre

« Ma mère est rentrée plus tôt du travail où elle s'était rendue parce qu’on avait décidé que ce devait être une journée normale. L'Aïd sans mon père, on ne voyait pas trop comment le fêter », sachant que c’est le chef de famille qui s'est chargé du sacrifice à La Mecque, explique Loubna, venue spécialement du Maroc où elle est installée depuis deux ans pour célébrer l'Aïd en famille, à Bezons (Val-d’Oise).

« J'ai allumé toutes les télés de la maison, je me suis branchée sur toutes les chaînes, je zappais de l'une à l'autre. (…) Je me suis retrouvée comme une folle sur tous les réseaux sociaux, entre les prières et les invocations. C'était une journée où on a épluché le Net de fond en comble », poursuit-elle. Loubna a bien tenté de joindre l’agence de voyages, sans succès, de même qu’un numéro vert mis en place par l’ambassade de France en Arabie Saoudite (voir encadré) mais impossible d’avoir un agent au bout du fil.

Apprenant au fil des heures que les pèlerins de France et d’Europe n’auraient pas été touchés, « on se rassurait les uns les autres. Mais tant qu'on n'avait pas entendu la voix de mon père, ça continuait à nous causer du tracas. » Pour Karim Kassimi*, la même inquiétude a ébranlé la famille. Parmi les pèlerins, se trouvent ses parents partis avec un groupe de 300 personnes depuis Paris. « J’ai eu plus d'inquiétudes pour ma mère car c’est l'inconnu pour elle », indique-t-il. Pour le couple de 58 et 59 ans, le Hajj est une première mais le mari connaissait La Mecque pour avoir déjà fait le petit pèlerinage (omra).

Le calvaire de l’attente

« J'ai eu peur quand j'ai appris que l’accident a eu lieu à Mina, je savais que mon père devait s’y rendre » en matinée. « Par des craintes de bousculade, je sais que les agences françaises partent le plus tard possible (faire le rituel de lapidation, ndlr) car beaucoup de gens du Golfe et du Moyen-Orient veulent très vite faire le rite. Le moment le plus dangereux, c’est vers 11 heures », explique-t-il. Chance pour Karim, il réussit à joindre son père vers 11 h 30 heure française, moins de deux heures après la bousculade, « il était dans sa tente et il ne savait pas vraiment ce qui s’était passé ».

Loubna n’en dira pas tant. La délivrance n’arrive pour elle qu’à 19 heures passées de quelques minutes. « Un numéro saoudien, le sien, s’est s'affiché sur le téléphone de ma mère », dit-elle. Le réseau étant médiocre, le coup de fil n’a duré que « quelques secondes » mais suffisant pour être apaisée. Il aura juste eu le temps de dire que, lors de l’incident, il était « en haut », dans un des niveaux permettant l’accès aux stèles représentant Satan mais épargné par la bousculade. « Mais on avait deux, trois amis qui n'avaient pas encore eu de nouvelles de leurs pères. Du coup, le soulagement était incomplet », jusque « vers les coups de 21 heures » quand la dernière amie a réussi à avoir sa mère au téléphone.

Le soulagement n’a pas duré longtemps pour Loubna. Il a été chassé par « la tristesse de voir le nombre de victimes augmenter » puis « la colère face aux nombreux commentaires islamophobes, racistes, inhumains que j'ai pu lire dans différentes pages de médias occidentaux ». En colère aussi sur « la façon dont des médias ont tourné en ridicule le rituel de lapidation de Satan », un moment de pèlerinage important.

Entre soulagement et colère, des familles de pèlerins français au Hajj racontent

« On ne peut pas tout mettre sur le dos des autorités saoudiennes »

Sa colère est-elle aussi dirigée contre les autorités saoudiennes ? « On en a discuté en famille. Ma sœur a eu cette réflexion, mais j'ai tout de suite coupé court au débat en disant qu’aucun pays au monde ne peut se vanter d'accueillir plus de deux millions de personnes qui convergent dans une même direction au même moment. » Loubna se dit surtout en colère « contre ceux qui en profitent pour faire une récupération politique » contre l’Arabie Saoudite, bien qu’elle aussi ne porte pas en odeur de sainteté la famille royale. « C'est la volonté de Dieu en tout état de cause », estime-t-elle.

Même son de cloche pour Karim. « On ne peut pas tout mettre sur le dos des autorités saoudiennes », juge-t-il. Selon lui, les pèlerins sont en partie responsables. « Il y a des pèlerins qui ont un comportement hystérique du fait qu’ils sont à La Mecque et, souvent, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. Ça peut aller très vite », surtout lors du rituel de lapidation qui est, pour lui, l’étape la plus dangereuse du Hajj. « On entre dans des tunnels avec énormément de monde, tout le monde ne marche pas à la même cadence et il y a des gens qui reviennent sur leurs pas », parle-t-il d’expérience puisqu’il a lui-même accompli le cinquième pilier de l’islam en 2012. D’où l’importance d’être en bonne santé au départ du Hajj. Loubna décrit elle-même son père comme « robuste » mais « on a eu un peu peur car un des deux amis (de plus de 40 ans d'amitié, ndlr) avec qui il est parti est faible. On s'est dit que, s’il lui arrivait quelque chose, mon père irait l’aider et qu’il aurait pu être embarqué dans le mouvement de foule ».

Un deuil partagé par tous les musulmans

« Mais quand même, 700 morts, c'est trop », finit tout de même par dire Karim, jugeant que l’organisation lui semblait cette année « bancale » après l’accident de grue le 11 septembre. « Je sais que les Saoudiens ont fait beaucoup d'investissements mais bon… » De leur côté, les autorités saoudiennes ont promis une enquête « rapide et transparente » sur les circonstances du drame mais la grogne monte dans de nombreux pays, à commencer par l’Iran, qui dénonce des failles dans la sécurité du pèlerinage.

Les familles de rescapés rassurées attendent désormais avec impatience le retour de leurs proches, toujours difficiles à joindre. Loubna comme Karim n’ont eu leurs pères au téléphone qu’une fois, jeudi. « Ils sont dans un état spirituel tel qu’ils ne font même plus attention à ces choses matérielles », indique ce dernier. Les pèlerins français ont été épargnés par les drames qui ont émaillé le Hajj 1436H mais, pour des centaines de leurs coreligionnaires, ce pèlerinage aura été un voyage sans retour… sauf vers Dieu.

* Par souci d'anonymat, le prénom a été modifié.

Les représentations diplomatiques en Arabie Saoudite se sont mobilisées pour leurs ressortissants. La France n’y a pas fait exception. Sur les 25 à 30 000 Français se rendant chaque année à La Mecque, environ 11 000 sont actuellement dans le lieu saint pour effectuer le grand pèlerinage, selon des estimations que nous délivre une source diplomatique au Quai d’Orsay. « Des estimations car le seul outil certain de recensement des Français se déplaçant à l’étranger est Ariane », un outil numérique qui permet de joindre les inscrits en cas de crise majeure. « Il facilite les recherches en cas de catastrophes. Mais le Hajj est très organisé, les personnes partent généralement en groupe. Seulement 150 Français se sont inscrits sur le site » avant leur départ à La Mecque, nous dit-on.

Un numéro vert géré par le Centre de crise du ministère des Affaires étrangères avait été rapidement mis à disposition des familles pour répondre à leurs inquiétudes. Dès sa mise en place, ce sont plus de 3 625 appels qui ont été reçus (décompte arrêté au vendredi 11h), qui s’ajoutent aux centaines d’appels au numéro local mis en place par le consulat général de Djeddah. « Les nouvelles sont rassurantes dans la mesure où on ne recense pas de victimes. Le drame a eu lieu dans un endroit où il y avait peu de chances de retrouver des Français », à Mina, où les pèlerins sont répartis par zone géographique, assure-t-on, avec toutefois une certaine prudence dans le cas où des pèlerins binationaux, enregistrés en Arabie Saoudite avec un passeport étranger, sont dans le lot de victimes. Cependant, à ce jour, aucun cas n’a été recensé.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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