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Points de vue

En Birmanie, il n'y a pas de « violences communautaires »

Rédigé par Rachel Wagley | Vendredi 29 Novembre 2013 à 18:00

           


Le 12 novembre, l'Assemblée générale des Nations Unies a publié son projet de résolution annuelle sur la Birmanie, appelant le gouvernement birman à résoudre les « violences communautaires » qui ont eu lieu en 2013. Les termes « violences communautaires », « violences sectaires », et « violences intercommunautaires » sont devenus des termes de référence dans la description des attaques à l'encontre des musulmans en Birmanie.

Dans la mesure où ils sont utilisés pour décrire des incidents spécifiques, qui se sont déroulés pendant les attaques de juin et d'octobre 2012 dans l'Etat d'Arakan, ces termes sont dans une certaine mesure exacts. Mais l'utilisation récurrente de ces termes pour décrire les attaques contre les musulmans en Birmanie, est incorrecte et pourrait même s'avérer incendiaire. Elle normalise l'idée selon laquelle en 2013, les musulmans en tant que communauté ont été à la fois victimes et coupables. Dans le climat anti-musulman qui a cours en Birmanie, cette idée reçue aide à légitimer les campagnes contre les musulmans et détourne l'attention de la complicité du gouvernement dans ces campagnes.

Les relations ethniques et religieuses en Birmanie, et plus particulièrement dans l'Etat d'Arakan, sont certes incroyablement complexes, fondées sur des années de méfiance, d'inégalités, d'intervention abusive du gouvernement et de propagande. Malgré cela, les attaques ayant eu lieu cette année n'ont pas été « communautaires ». Les termes « violences communautaires » décrit des violences entre deux groupes, par exemple, deux groupes ethniques ou deux groupes religieux. Les deux ou plusieurs groupes participants sont à la fois victimes et coupables de ces violences. Cependant, en Birmanie, les musulmans n'ont pas été coupables l'an dernier. Les musulmans ont été et continuent à être clairement des victimes, celles d'une rhétorique vicieuse instiguée par des bouddhistes, de campagnes médiatiques, légales, politiques et religieuses destinées à les marginaliser, les pénaliser et les empêcher d'avoir recours à la justice.

Les effets pervers de son usage

L'utilisation des termes « communautaire », « intercommunautaire », etc. est destructive de deux manières: 1) elle crée et permet l'incompréhension en ce qui concerne la nature et la source des violences anti-musulmanes et 2) elle fournit une couverture pour cacher le rôle du gouvernement dans ces violences, en attirant l'attention du public sur les revendications des musulmans et des bouddhistes au lieu de leur montrer le contexte de discriminations légales et politiques, qui engrange et renforce ces violences. Les deux conséquences dues à cette utilisation incorrecte de ces termes compromettent le règlement véritable de ce conflit.

En imputant des étiquettes telles que « communautaires » à la situation critique dans laquelle se trouve les musulmans, les médias et les acteurs internationaux altèrent dans leurs discours la réalité de cette crise, en façonnant l'opinion et les politiques publiques sur des mensonges. Si cette crise est vue comme « communautaire » ou « intercommunautaire », elle peut être partiellement présentée comme une crise où tous les groupes ont leur part de responsabilité. Les victimes réelles de cette crise sont ensuite traitées comme moins dignes de justice et de réparation juridique qu'elles ne devraient être car elles sont perçues comme des participants coupables, du fait de leur appartenance ethnique/religieuse.

Décrire ces problèmes comme « communautaires » détourne également l'attention de l'influence de l'agenda ethnico-religieux du gouvernement birman, qui prend sa source dans l'idéologie que ceux qui ne sont pas birmans et bouddhistes méritent moins leur place dans l'identité nationale. Le gouvernement a mis en place son agenda ethnico-religieux à travers des discriminations légales et des violences explicites contre les minorités musulmanes, depuis des années.

L'opération « Dragon King », qui a eu lieu en 1978 en Birmanie, aide à mieux comprendre l'agenda discriminatoire du gouvernement. Pendant l'opération, un programme du gouvernement s'apparentant à une chasse aux sorcières, examinant la légalité des Rohingyas et d'autres minorités, a dégénéré en meurtres, violences sexuelles, et destruction par le gouvernement et par la population locale de l'état d'Arakan. 200 000 Rohingyas ont été chassés de Birmanie. Des attaques occasionnelles coordonnées à l'encontre des Rohingyas et d'autres musulmans ont continué pendant les années 2000.

Les discriminations historiques contre les musulmans ont permis aux forces de sécurité du gouvernement, quasiment à chaque attaque de 2012 et 2013, de rester les bras croisés et regarder, et dans de nombreux cas de prendre part aux violences anti-musulmanes en toute impunité.

Vers une normalisation des violences anti-musulmanes

Les attaques anti-musulmanes depuis juin 2012 ont été systématiques et planifiées, nourries par des pamphlets et une rhétorique islamophobe émanant du gouvernement et de religieux. Le président Thein Sein, un fervent défenseur du tristement célèbre moine birman anti-musulman Wirathu, a lui même indiqué que la « seule solution » à cette crise est que les Rohingyas soient chassés en masse hors du pays ou déplacés dans des camps. Dans l'Etat d'Arakan, il a atteint son but dans une certaine mesure – près de 140 000 Rohingyas ont été emprisonnés dans des camps et des dizaines de milliers ont fui depuis 2012. Le gouvernement a de façon répétée reconnu le caractère organisé de ces attaques, mais a choisi de ne pas intervenir, même lorsqu'il savait au préalable ce qui allait se produire. Ceci est dû en grande partie au fait que ces attaques vont de concert avec l'idéologie ethnico-religieuse du gouvernement, et parce que selon certains experts, ces attaques ont renforcé le pouvoir et l'autorité du gouvernement pendant la soi-disant transition vers un pouvoir civil.

Qualifier ces attaques de « communautaires » est incorrect et a le pouvoir de normaliser la croyance que la faute est partagée entre ces deux communautés, plutôt qu'en dehors de ces communautés. L'ONU et les autres acteurs internationaux sont devenus des défenseurs enthousiastes demandant au gouvernement birman d'aider à « apaiser » les tensions ethnico-religieuses, qu'ils considèrent comme étant la principale cause des violences « intercommunautaires ». Cependant le gouvernement birman, loin d'être un agent capable d'apaiser les tensions ethnico-religieuses, est le principal instigateur des discriminations anti-musulmanes, et un maître éprouvé du conflit ethnico-religieux; il a joué avec succès ce rôle depuis des décennies.

Cette mauvaise utilisation des ces termes procure une excuse aux acteurs internationaux afin d'éviter d'essayer de résoudre les difficiles, et profonds problèmes structurels qui ont le plus d'influence et qui nourrissent la violence, favorisant sa perpétuation: l'impunité systémique, les discriminations légales, et les politiques et la complicité du gouvernement. Étant donné ces problèmes structurels, même si les tensions sociales étaient soudainement « apaisées », la crise birmane ne serait pas résolue. Nous avons peine à croire que les origines de ces violences proviennent uniquement des communautés bouddhistes et musulmanes locales.

Il faut être dupe pour essayer de résoudre les violences anti-musulmanes en Birmanie sans reconnaître et aborder le rôle du gouvernement. Identifier correctement la crise pour ce qu'elle est : des attaques systémiques et répandues, facilitées par le gouvernement à l'encontre d'une minorité marginalisée – c'est la première et impérative étape qu'il faut passer pour arriver à une réelle résolution de ce conflit.

* Rachel Wagley est la directrice de la campagne américaine pour la Birmanie (US Campaign for Burma). L'article a été traduit par le Collectif Halte au massacre en Birmanie. Première parution de l'article le 25 novembre 2013 sur le site Foreign Policy Journal.





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