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Points de vue

Dictatures en Tunisie et en Egypte : lettre ouverte à Barack Obama

Par Abdelghani Ben Moussa*

Rédigé par Abdelghani Ben Moussa | Mercredi 16 Février 2011 à 22:47

           


Le Président Barack Obama, à la fin de son discours adressé au Caire (Egypte), le 4 juin 2009, annonçant une nouvelle ère des relations entre les Etats-Unis et le monde musulman.
Le Président Barack Obama, à la fin de son discours adressé au Caire (Egypte), le 4 juin 2009, annonçant une nouvelle ère des relations entre les Etats-Unis et le monde musulman.
Monsieur le Président,

Nul doute que nous vivons depuis décembre 2010 des moments historiques. Allumée par le sacrifice de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, en Tunisie, la flamme de la liberté a déjà conduit à la chute de deux dictateurs et continue à éclairer et à inspirer tous les peuples qui aspirent à vivre libres.

Ce sont évidemment les peuples tunisien et égyptien qui ont arraché leur liberté et nous nous en réjouissons. Mais nous faisons également le constat que vous, en tant que président du pays le plus influent dans la conduite des affaires de notre monde, avez aussi participé à écrire ces pages de l’Histoire.

Alors que les intérêts en jeu sont énormes pour votre pays, vous avez dès le départ et sans ambiguïté pris position en faveur de l’aspiration des manifestants pour la liberté et la démocratie. Au même moment, en Europe, certains proposaient leur expertise en matière policière pour « contenir » cette soif de liberté quand d’autres se contentaient de rester au balcon en attendant de connaître le vainqueur. L’Union européenne, par la voix de Madame Ashton, a tout simplement manqué un rendez-vous avec l’Histoire.

Dans le discours sur l’état de l’Union que vous avez adressé au peuple américain, le 25 janvier dernier, discours que nous avons suivi avec intérêt, vous avez notamment déclaré :
« Nous avons vu ce même désir de liberté en Tunisie, où la volonté du peuple s'est révélée plus puissante que les décrets d'un dictateur. Et ce soir, disons-le clairement : les États-Unis d'Amérique sont solidaires des Tunisiens, et soutiennent les aspirations démocratiques de tous les peuples. »

Vous n’avez cessé par la suite d’appeler à un changement immédiat en Egypte, jusqu’au départ de celui qui symbolisait la dictature dans ce pays.

Jusqu’à présent, vous avez réussi à négocier ce virage délicat et à entraîner dans votre dynamique nos dirigeants européens, incapables de saisir la gravité du moment présent et attendant passivement la prise de position des Etats-Unis pour s’aligner sur elle.

Nous le disons tout aussi clairement : nous prenons acte avec satisfaction de votre engagement.

Mais nous voulons être francs avec vous, comme nous l’avons été avec votre ambassadeur en poste à Bruxelles dans une lettre ouverte que nous lui avons adressée le 2 novembre dernier.

Tant en Tunisie qu’en Egypte, seuls les symboles de la dictature sont tombés, pas le système mis en place par ces dictatures. Les craintes concernant l’organisation d’élections totalement libres et transparentes, indispensables à l’instauration d’une vraie démocratie, demeurent réelles. Nous attendons de vous que votre engagement soit total pour que la transition démocratique aille réellement jusqu'à son terme dans le cadre d’un calendrier précis.

Les télégrammes envoyés depuis les représentations américaines et révélés par WikiLeaks prouvent de manière indiscutable votre parfaite connaissance de la nature dictatoriale d’une série de régimes. Soutenir « les aspirations démocratiques de tous les peuples » doit vous amener à prendre une position claire vis-à-vis de ceux-ci et à ne pas attendre que des millions de personnes descendent dans les rues pour le faire.

En effet, il est à présent clair que le principal obstacle à ces aspirations démocratiques réside dans le soutien et la reconnaissance dont bénéficient ces régimes, notamment et surtout de la part des Etats-Unis. Les révolutions tunisienne et égyptienne prouvent qu’en l’absence d’un tel soutien, ni en Tunisie ni en Egypte la dictature n’aurait pu résister à la volonté du peuple.

Lors de votre discours du 25 janvier, vous avez vanté les mérites de la démocratie américaine en faisant référence aux âpres discussions entre Républicains et Démocrates au sujet des réformes que vous avez engagées l’année dernière. Ainsi, vous avez déclaré :
« Nous nous sommes farouchement battus pour nos convictions. C'est une bonne chose. Une démocratie robuste l'exige. C'est en partie ce qui nous distingue des autres pays. »

Monsieur le Président, nous pensons que tout peuple est fondamentalement apte à vivre et à faire vivre une démocratie « robuste ». A condition qu’il parvienne à arracher sa liberté ou qu’il ne soit pas empêché de le faire. Ce qui peut distinguer votre pays des autres, c’est sa capacité à respecter ses engagements dans le soutien qu’il déclare apporter aux « aspirations démocratiques de tous les peuples ».

Ces derniers événements doivent également, de notre point de vue, vous inciter à réparer une faute monumentale que votre administration a héritée. Nous visons la non-reconnaissance des résultats des élections libres et démocratiques ayant permis au peuple palestinien de choisir ses représentants en 2006. Toute autre attitude serait contraire à votre engagement de soutenir « les aspirations démocratiques de tous les peuples ».

Jimmy Carter, votre prédécesseur et prix Nobel de la paix, a déclaré au sujet de ces élections qu’elles étaient « régulières et sincères » et a jugé « criminel » le refus du président Bush d’accepter la victoire électorale du Hamas.

L’Histoire est en mouvement. Les peuples qui aspirent à la liberté et à la démocratie ont les yeux rivés sur les Etats-Unis. Au regard des responsabilités qui sont les vôtres et de l’espoir qu’ont suscité vos déclarations, il est de votre devoir de ne pas décevoir.

Pour notre part, nous resterons vigilants.



* Abdelghani Ben Moussa est coordinateur de Vigilance musulmane , un think tank attentif aux questions que soulève la visibilité des citoyens de confession musulmane (en Europe en général, en Belgique en particulier). Cette lettre ouverte adressée à Barack Obama a été remise, le 16 février, en mains propres à Farah Pandith, représentante spéciale du Département d’Etat américain pour les communautés musulmanes dans le monde.









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