Religions

Un nouvel élan insufflé à l’islam de France, pour quelle place du CFCM ?

Et quelle place à la diversité ?

Rédigé par | Jeudi 26 Février 2015 à 12:35

« Reformer l’islam de France. » C’est avec cette volonté renforcée après les attentats de Paris en janvier que l’Etat, à travers le ministère de l’Intérieur, a annoncé une série de mesures, mercredi 25 février, à l’issue du conseil des ministres. Retour sur ces mesures qui rappellent au Conseil français du culte musulman (CFCM) ses faiblesses, voire ses échecs, dans la gestion de dossiers pratiques qui font le culte. Un de ses responsables réagit sur Saphirnews aux annonces.



Depuis les attentats de Paris en janvier, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a été au cœur d’intenses discussions autour de sa représentativité. Des débats qui ont pris la forme de bilans mettant en évidence les nombreuses faiblesses de l'institution, renforcées par le discrédit dont elle souffre auprès des musulmans depuis sa création en 2003. L’Etat n’est pour autant pas prêt à le liquider.

En haut de la pile des mesures gouvernementales, la mise en place, d'ici l'été, d’une nouvelle instance de dialogue avec les représentants de l'islam de France a été annoncée. Cette structure rassemblera le CFCM, les représentants de ses antennes régionales (CRCM) mais aussi des imams, des intellectuels et des acteurs de terrain « représentatifs d'un islam modéré de tolérance », a indiqué Bernard Cazeneuve lors d'un point presse à l'Elysée, sans plus de précisions sur les membres qui pourraient la rejoindre (voir encadré).

L’instance de dialogue se réunira deux fois pas an autour du Premier ministre pour « traiter de questions précises » avec les ministres concernés telles que la sécurité des mosquées, la répression des actes islamophobes, la formation des imams ou l'abattage rituel, « dans le respect rigoureux des principes de la laïcité », a ajouté le ministre de l'Intérieur, chargé des cultes. Des axes de travail dont est normalement chargé le CFCM mais qui, après 12 ans d'une existence troublée par des périodes de crises internes, ont produit, pour beaucoup, peu de résultats probants faute de moyens.

Un aveu d’échec du CFCM ?

« Il s’agit de bâtir l’instance la plus représentative possible. Mais il ne s’agit pas de la construire sans ou contre le CFCM. Elle doit permettre au CFCM de se nourrir de ces apports pour, comme il y aspire, se refonder, se projeter dans l’avenir et élargir le champ de ses compétences. Nous voulons une démarche inclusive, une dynamique partagée », a plaidé le ministre mercredi au Monde.

Une démarche inclusive qui manque aujourd'hui au CFCM à qui est régulièrement reproché son faible ancrage sur le terrain. La création d'une instance de dialogue est-il alors un aveu d’échec du CFCM de la part des autorités ? L’institution musulmane « ne vit pas cette annonce comme un désaveu car nous avons été confortés dans notre rôle de représentants du culte musulman et d’interlocuteurs privilégiés de l’Etat », nous a signifié Anouar Kbibech, le président du Rassemblement des musulmans de France (RMF). Il tient ainsi à souligner la tenue d’une réunion, organisée par Bernard Cazeneuve la veille du conseil des ministres, avec le CFCM dont il est vice-président, durant laquelle la mesure leur a été annoncé « en primeur ».

En outre, la future structure est calquée sur l’instance Matignon, un espace de dialogue entre l’Etat et les représentants catholiques, fondé en 2002 par Lionel Jospin pour discuter de questions précises inhérentes à leur culte à raison d'une fois par an. Pour Anouar Kbibech, l'instance de dialogue saurait être « un facilitateur de projets ». De ce fait, il a bon espoir de voir se « débloquer des dossiers pratiques autour de la gestion du culte » musulman, en formulant des solutions pour combler l'insuffisance de moyens humains et financiers du CFCM, ceci « dans le respect de la loi de 1905 ». La réunion inaugurale pourrait se tenir « avant le mois du Ramadan », qui devrait débuter le 17 juin.

Des formations civiques aux imams en développement

Outre l'instance de dialogue, plusieurs autres mesures sont prévues par le plan de « réforme de l'islam ». Bernard Cazeneuve a ainsi annoncé le développement de « diplômes universitaires accessibles aux imams », qui passerait de six aujourd'hui à une douzaine d'ici la fin de l'année. Des formations civiles et civiques à destination d’imams et d’aumôniers, sans contenu religieux, seront tout autant développées dans les établissements d’enseignement supérieur à travers des diplômes universitaires (DU).

Les aumôniers, tout particulièrement pénitenciers, « ne seront recrutés désormais (par l’Etat, ndlr) que s'ils ont obtenu ce diplôme de formation aux principes fondamentaux de la République », a fait savoir le ministre. En revanche, les imams, tout en étant incités à suivre la formation, n’auront aucune obligation d’obtention du diplôme, les pouvoirs publics n’ayant pas à s’immiscer dans le recrutement de religieux dans les lieux de culte en vertu de la loi de 1905.

« L’Etat n’a pas vocation à organiser le culte musulman ! Il doit fixer des objectifs et des principes. Les objectifs, c’est dialoguer, avoir des imams et des aumôniers formés, notamment aux principes de la République, d’où notre volonté de développer les diplômes universitaires de formation civique et civile », a-t-il déclaré au Monde. « Nous voyons avec intérêt les représentants du culte musulman avoir le souci de l’excellence de la formation des imams, au moment où l’on constate à quel point l’ignorance est la porte vers l’obscurantisme et vers la barbarie. Nous avons besoin de cette exigence d’excellence. Nous avons besoin d’imams qui maîtrisent notre langue et les principes de la République. »

Enfin, les établissements scolaires confessionnels vont être incités à devenir des établissements sous contrat avec l'Education nationale. Des instructions seront adressées aux préfets et aux recteurs d’académie afin qu’ils fassent pleinement usage de leurs prérogatives de contrôle, notamment auprès des écoles hors contrat, fait-on savoir.

Fini la FOIF, place à une nouvelle fondation

Le ministre de l'Intérieur a annoncé la création d’une nouvelle fondation avant la fin de l’année 2015 « afin de financer des projets d’intérêt général (culturels, éducatifs, sociaux) et de promouvoir les réalisations de l’islam de France », en partenariat avec l'Institut du monde arabe (IMA), indique le ministère. Aucun plan pour relancer la Fondation des œuvres de l'islam de France (FOIF) n’est en revanche prévu. Les tentatives de relance de la FOIF ont été nombreuses, sans succès.

« Nous sommes satisfaits (des annonces, ndlr) mais vigilants. On va suivre avec attention le développement de l'instance de dialogue et sa composition », avec qui une partie des mesures seront déployées, déclare Anouar Kbibech. Il se félicite au passage des annonces ministérielles répondant en partie aux inquiétudes des musulmans face à la montée des actes islamophobes. De toutes les mesures, celles liées à leur sécurité étaient des plus attendues par cette population. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Après l’annonce des mesures, Bernard Cazeneuve a pris le chemin de Bordeaux (Aquitaine) où il a prononcé un discours à destination des musulmans à la mosquée de Cenon, aux côtés du recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, pressenti par notre rédaction pour être un des membres de la future instance de dialogue.

La structure saura-t-elle vraiment refléter la diversité des communautés musulmanes et de leurs expériences ? Des consultations vont être prochainement lancées par les préfets pour identifier les représentants susceptibles de participer à l’instance, ainsi que les sujets sur lesquels elle pourrait travailler, fait savoir le ministère. Ses choix et ses orientations seront connus d'ici l'été.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur