Société

Trappes : les habitants racontent leur vérité aux médias

Rédigé par | Jeudi 25 Juillet 2013 à 06:35

Les habitants de Trappes se mobilisent pour raconter leur vérité Jusque là, qui daignait vraiment les écouter ? Une semaine après les violences qui ont secouées Trappes, dans les Yvelines, un collectif d'habitants tout récemment constitué a convoqué en urgence une conférence de presse, mercredi 24 juillet, à Trappes même. Face aux journalistes qui ont répondu présents, ses membres ont fermement contesté la version de la police. Saphirnews revient sur le détail des témoignages.



Des habitants de la ville de Trappes témoignent sur les récents événements mettant en cause le rôle de la police. De dr. à g.: Samba Doucouré, Alix Marveaud, Mohamed Kamli et Fanta Ba.
La salle de l’hôtel Balladins louée par le Collectif des habitants de Trappes était trop petite pour accueillir les journalistes. Tant mieux pour les organisateurs de la conférence de presse qui ne voulaient pas voir leur message passer… à la trappe.

Samba Doucouré, 27 ans, qui était présent sur le plateau de La Locale aux côtés de Mickaël, l’époux de la femme musulmane contrôlée par la police, est revenu sur la chronologie des faits ayant démarré le 18 juillet. La belle-mère de Mickaël, de retour des courses, avait appelé le jeune homme pour lui demander de l’aide « peu avant la rupture du jeûne ». Il est alors sorti avec sa femme Cassandra, elle aussi convertie, qui a fait le choix du niqab comme voile.

Des policiers « sans courtoisie »

Samba n'a pas lui-même assisté à l'interpellation : il se fait le relais de la parole du couple. La scène s’est déroulée « à quelques pas » de leur domicile en présence de leur enfant de trois mois, raconte-t-il. Des policiers ont interpellé le couple « sans aucune courtoisie », en arrêtant la poussette « du pied ». « Ils sont déjà venus avec une certaine hostilité » à leur égard mais la femme obtempère « comme toujours », indique Samba.

La suite, divergente de la version policière, est plus connue : voyant sa mère bousculée par un policier, sa fille se serait interposée. Mickaël, croyant que son épouse allait se faire gifler ou se faire arracher le voile, a voulu s’interposer mais a été violemment plaqué. Le mari, accusé d’avoir tenté d’étrangler un policier, « n’a absolument porté aucun coup », répète Samba.

« Une pluie de tirs de flashball » contre la foule

La nouvelle de l’arrestation de Mickaël s’était vite propagée en ville. Samba évoque la diffusion de SMS lancés à l’initiative de sa belle-famille – qui n’est pas musulmane – pour appeler au rassemblement. Le collectif d’habitants s’était rendu le lendemain, vendredi 19 juillet, devant le commissariat pour obtenir des explications. « Nous avons essuyé un refus catégorique », dit-il, tout comme un autre groupe indépendant du collectif, dont l’Union des musulmans de Trappes (UMT), venue plus tard avec la « même démarche » ouverte à la concertation.

Des jeunes présents auraient reconnu un policier « auteur de beaucoup d’injustices », les poussant à jeter des projectiles contre les forces de l’ordre. Info ou intox, ce geste reste pour Samba « condamnable, ce n’est pas l’éthique du collectif ni des habitants de Trappes mais ce qui m’a fort étonné, c’est la réponse de la police » qui, pour chasser une minorité, « répond automatiquement par une pluie de tirs de flashball vers une foule » composée aussi de femmes et d’enfants. C’est d’ailleurs peu après qu’un adolescent de 14 ans a perdu un œil.

« La police est censée être plus raisonnée que la population » lorsque des perturbateurs sont présents, mais les policiers ont eu « un comportement de cowboys », surenchérit Mohamed Kamli, 38 ans, conseiller municipal d’opposition.

Des témoins oculaires et une vidéo encore mystère

Pour conforter la position du collectif, ce ne sont pas moins de « trois témoins oculaires », dont « deux ont consigné leurs témoignages à l’écrit », en plus de Mickaël, de Cassandra et de sa mère, nous précise Fanta Ba, 29 ans. Aucun n’a, en revanche, fait le déplacement à la conférence de presse. Samba atteste de l’existence d’une vidéo, filmée par une voisine présente lors du contrôle, mais sans pouvoir en dire plus de son contenu puisqu'il déclare ne pas l’avoir vue. Toutefois, une partie du contrôle a été filmée et accrédite la version du couple, soutient le collectif.

Celui-ci fait part de son indignation des propos du ministre de l'Intérieur Manuel Valls, qui a déclaré ne pas douter « un seul instant » de la police, sans même diligenter une enquête pour confronter les versions. « Le fait d’affirmer a favorisé la montée des violences qui ont suivi. La violence des jeunes a été motivée par un sentiment d’injustice », juge Mohamed.

La colère face à « une injustice de trop »

Les autres politiques ne sont pas en reste. Notons les propos du député UMP David Douillet, qui a désigné, sur les bancs de l’Assemblée nationale, Mickaël comme un « étrangleur de policier ». L’ex-ministre Nadine Morano a aussi déclenché l’ire des Trappistes en déclarant sur Twitter : « Ceux qui ne veulent pas respecter nos lois n'ont aucune obligation à rester en France. »

Fanta regrette la récupération politique des événements visant à islamiser les débordements – « comme si les musulmans ne voulaient pas respecter les lois » – alors qu'ils sont le fait d’un groupe en colère face à « une injustice de trop », juge Fanta : les violences « ne sont pas d’origine religieuse ».

Un climat islamophobe qui cristallise les tensions

Au-delà de cette affaire, les mêmes maux traversent les banlieues. Les habitants des quartiers se sentent stigmatisés, les abus policiers sont passés sous silence et la montée de l’islamophobie est perceptible, matérialisée notamment à Trappes par l’agression d’une femme voilée par deux individus qui ont écopé – fait rare – à de la prison ferme. Ce climat délétère est une conséquence d’une stigmatisation continue envers les musulmans, rappelle Samba, à travers des lois contre le voile à l’école, lors des sorties scolaires et sans doute des assistantes maternelles« S’il n’y a pas de réaction politique, on va tourner au drame », prévient-il.

Le collectif réitère les appels au calme, en condamnant toutes les violences. Il se donne l’objectif de discuter des problèmes de fond à Trappes avec la mairie – jusque-là sans réaction –, les élus et des acteurs associatifs locaux. Ce travail, aussi louable soit-il, est difficile à faire durer sur le long terme. Il avait été initié ailleurs en France lors d'affaires similaires mais n’ont pas été suivi d’effets, par manque de volonté politique. Trappes fera-t-elle exception ? Le collectif ne prévoit pour le moment pas d'autres actions.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur