Ramadan

Ramadan : la culture de la paix

Par Mustapha Cherif*

Rédigé par Mustapha Cherif | Vendredi 12 Aout 2011 à 12:56



Jeûner, c'est se mettre en état de paix. A celui qui peut nous importuner, nous devons paisiblement répondre: « Je jeûne. » Le concept de paix en islam est central, en plus d'être un des beaux noms de Dieu, Salam, dont l'importance est au moins égale à celle de Rahman, le Miséricordieux.

C'est une culture de la paix à laquelle appelle, en premier lieu, le Ramadan. Ce concept est directement lié au vivre-ensemble. En ce sens, la paix exige une reconnaissance de l'autre. Tout en précisant qu'il n'y a pas de paix sans justice. L'acte qui traduit cette orientation est celui du partage, qui doit s'effectuer de manière raisonnable. Accueillir la différence, à titre personnel, dans la relation humaine, doit se faire dans la plus grande des ouvertures. L'hospitalité est une vertu.

La responsabilité du musulman dans l'impératif de justice

Le concept de paix en islam dépasse tous les autres : il est religieux, humain et culturel et au-delà.

Les qualités du croyant, généreux, hospitalier, bon, convergent toutes dans le sens d'instaurer la paix vis-à-vis de soi, de l'autre et du monde. La Constitution de Médine mise en place par le Prophète reflète le concept de paix et celui de l'accueil de la différence. Ce qui définit, en priorité, l'identité des êtres dans la Cité est non pas la confession, le culte ni la religion, mais la citoyenneté.

En effet, la sécularité et les droits humains y sont affirmés. L’amitié entre les êtres humains en général et en particulier entre les « Gens du livre », les monothéistes, frères abrahamiques, est fondamentale. En islam, la reconnaissance du droit à la différence est essentielle. De plus, la dimension séculière va de soi, le ciel n'écrase pas la terre : l'homme n'est pas ligoté par la foi, mais il est, au contraire, responsabilisé. La Révélation laisse ouverts des espaces où la responsabilité du musulman peut et doit s'affirmer. Chacun de nous doit faire son examen de conscience et contribuer à la culture de la paix.

A l'heure de la crise du comportement et de l'affaiblissement du lien social, rechercher des formes de solidarité et de cohabitation est un souci incontournable. La cohabitation entre citoyens est fondée sur bien plus qu'une simple tolérance. Parfois, les aléas de l'Histoire ont compromis ces intentions et dénaturé ces références. La responsabilité en incombe aux hommes et non pas au Texte ni à son Messager.

La conduite du musulman, notamment durant le Ramadan, au lieu de tomber dans des travers, devrait être façonnée par le concept de paix et de justice. L'insistance du Coran sur la justice, l'équité, l'égalité rend les musulmans sensibles à ces dimensions, premières dans les relations sociales.

Le caractère, l'esprit, le comportement des musulmans ne peuvent être que profondément marqués par l'impératif de justice. Un musulman n'est pleinement croyant que s'il applique la justice et l'équité. Être un homme juste, voilà une donnée coranique d'une importance majeure.

En droit, le monde de l'islam est censé être le monde de la justice : islam et justice sont théoriquement synonymes. La justice, selon le Coran, est participative de la piété : « La justice est proche de la piété. » Le Coran précise encore : « Dis: mon Seigneur prescrit l'équité » ; et encore : « Vous qui croyez, témoignez de l'équité : que la rancune contre un autre peuple ne vous vaille pas de tomber dans l'injustice. Soyez justes. »

Reste à mesurer la distance qui sépare ce principe de l'exercice de la justice dans la pratique quotidienne, et à rechercher les causes réelles des dérives. Le Coran s'adresse à l'humanité ; la dernière sourate répète cinq fois le concept d'humanité, les gens, les êtres. La Révélation vise les gens dans leur ensemble. Nous n'avons jamais à nous opposer à la différence, mais à nous opposer à l'injustice.

Pour le Coran, chacun est libre et responsable de ses actes. Personne ne peut se targuer de l'irresponsabilité ni de l'inconscience. Pour la plupart des thèmes et questions, le Coran facilite la prise en compte de la variété des situations et permet, exige de librement réfléchir, de discerner, de s'adapter et d'évoluer. Ses prescriptions favorisent les conditions du vivre-ensemble juste, du changement et des métamorphoses, et soutiennent l'humain pour distinguer le juste de l'injuste, le licite de l'illicite et pour assumer le civisme.

L'ijtihâd, une réflexion libre pour assumer le vivre-ensemble

Depuis trois siècles environ, des musulmanes sont troublés par la marginalisation de la pensée et du savoir, perturbés par des problèmes internes de développement et par la trajectoire problématique de puissances qui les agressent. Ils ont des difficultés à interpréter. Aujourd’hui la majorité a pris conscience de la nécessité de revenir à la créativité.

La question de l’interprétation, l'ijtihâd, est au centre des enjeux. Si on veut progresser, se développer, il faut raisonner, s'instruire et éduquer.Toute vérité, y compris la Vérité révélée, est compréhensible si l'on raisonne, dans une trame où se nouent et se tissent le clair et le moins clair, l'évident et l'ambigu, entre les lignes aussi. Vérité que l'on ne peut pas assener d'un bloc, mais que l'on doit signifier progressivement.

L'ijtihâd est au cœur de la pensée. Il s'agit de s'ouvrir pour favoriser l'aptitude à responsabiliser, à humaniser et à innover. Il est primordial d'adapter l'ijtihâd aux circonstances liées à la vie moderne. Pour ce faire, nous devons préciser le sens de l'ijtihâd contemporain.

Non pas celui qui s'accommode de l'époque, ou qui se plie aux exigences du matérialisme, et en vient à reconsidérer sa tradition pour l'appliquer coûte que coûte à la réalité variable, mais surtout celui qui respecte l'esprit humain. Il faut discerner les aspects positifs des aspects négatifs de chaque temps et réinventer une culture ouverte, vivante et humaine. Il ne fait aucun doute que les hommes ne doivent pas tourner le dos au monde.

Force est de souligner que l'ijtihâd auquel tout être raisonnable aspire n'est pas celui qui cherche à tourner le dos à son époque, ou, au contraire, à tout prix vouloir se conformer à son époque. Il y a du clair et de l'obscur dans toutes époques. Nous entendons plutôt par ijtihâd celui qui se veut créatif, fidèle et novateur en même temps.

Ni fermeture ni dilution. Un intellectuel doit être un rénovateur, un porte-parole savant des intérêts de sa société et qui veille à la préservation scrupuleuse des intérêts et des aspirations de celle-ci, et qui répond aux besoins culturels des gens, en leur balisant la voie de la paix intérieure, une vie ouverte, équilibrée, responsable et digne. Pour l'islam, contrairement aux discours des extrémistes, c'est non seulement possible mais vital.

L'exégèse admise est fondée sur une connaissance suffisante des règles scientifiques, linguistiques, éthiques et fondamentales du savoir et des valeurs propres. Toute interprétation doit faciliter et non compliquer. Elle ne contredit pas une raison saine, ni bafoue une science certaine fermement établie. Tout en faisant les efforts possibles de recherche et de réflexion, poussant à la déconstruction, à la recherche de la vérité et de l'opinion juste, au détachement de soi, des passions et des préférences non étayées par des arguments.

L'intellectuel doit défendre la paix et la justice, l'intérêt général, s'appuyer sur la raison pour chercher le bien commun et ce, pour que nous puissions cerner notre époque, comprendre les problèmes, les questions qui y font jour et prendre conscience de ses exigences. Cette démarche permet de nous pencher sur les nouveaux contextes pour les soumettre à l'analyse avec un esprit ouvert et perspicace. Contribuer à l’émergence et à la consolidation de la culture de la paix et du lien social est un devoir.

L'ijtihâd, mot générique, désigne donc le principe de réflexion libre et responsable exigé aux intellectuels compétents afin qu'ils participent au travail de rénovation et d'invention de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques, et d'interprétation du discours coranique et de la Sunna prophétique adapté à notre temps. Cet aspect fait de l'ijtihâd une possibilité ouverte à toute évolution et adaptée aux intérêts des individus et des sociétés, s'accommodant de tous les temps et de tous les lieux.

L'ijtihâd est cet acte du renouveau qui distingue entre les opportunités et les incertitudes, entre ce qui fait obstacle et ce qui permet le progrès. Il faut non seulement assumer les changements mais les susciter pour maîtriser l'époque, dans l'intérêt général de la société, afin de préserver son équilibre et sa stabilité et de renforcer son attachement au sens de l'ouvert, de la modernité et de la civilisation.

L'ijtihâd est efficace, utile et agissant sur la vie de la société, s'il est pratiqué dans la transparence, le respect des valeurs modernes communes, qu'il prenne en compte la sécularité, la mémoire commune et le respect de la dignité humaine. C'est cela ce qui est valable en tout temps et en tout lieu. Car l'islam est venu édifier la paix, l’individu ouvert, du juste milieu, équilibré, en vue d'humaniser. En liant science et spiritualité, modernité et authenticité, en éduquant et en cultivant, c'est assumer avec vigilance et sagesse le vivre-ensemble juste et se donner du sens face aux défis de l'heure.


* Mustapha Cherif est philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.
www.mustapha-cherif.net