Economie

Ramadan 2023 : quand l'inflation vient jouer les trouble-fêtes

Rédigé par Lionel Lemonier | Jeudi 13 Avril 2023 à 13:25

Cette année, l'iftar, le repas de rupture du jeûne, coûte plus cher. Avec la hausse vertigineuse des prix de l'alimentation en France, la plupart des consommateurs musulmans sont obligés de surveiller leur budget et d’adapter leurs habitudes ramadanesques.



L'iftar à la Pépinière d'Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. © Saphirnews.com/Lionel Lemonier
« Chez Lidl, les feuilles de brick sont passées de 0,79 € à 1,39 € entre l’an dernier et cette année. Moi, je vais maintenant dans un magasin à Épinay pour les trouver moins chères. J’en prends 30 paquets d’un coup pour pouvoir partager avec tout le monde. » Samedi 8 avril, Samia a invité famille et amis à participer à l’iftar qu’elle a organisé à La Pépinière, une association qui promeut « le développement d’une alimentation saine, locale et bon marché » à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. L’ambiance était joyeuse et festive mais les préoccupations quotidiennes étaient présentes dans tous les esprits. « Le Ramadan cette année n’a rien à voir avec d’habitude, confirme Soraya. On ne s’invite pas. Il y a moins de viande ou de gâteaux sur la table. »

Les prix flambent cette année. Le retour de l’inflation est confirmé par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les prix à la consommation ont augmenté de quelque 6,3 % en février 2023, selon l’indice de l’Insee publié le 15 mars, avant l'arrivée du mois du Ramadan. Un bond important qui arrive après une augmentation équivalente en janvier (+6 %). Cette situation est clairement due à une « accélération des prix de l’alimentation et des services », alors que les prix de l’énergie auraient tendance à ralentir. « L’an dernier, on avait pris de bonnes résolutions pour éviter de gaspiller, avoue Soraya. Mais cette année, les prix de l’huile, de la viande, de la charcuterie, des petits croissants et même des légumes ont fait un bond. On fait attention au budget ».

Une hausse de 19 % sur l'alimentaire

Au total, l’indice des prix à la consommation harmonisé a augmenté d’environ 7,2 % sur un an et de 1 % par rapport au mois de janvier. Mais attention à cet indice général tiré d'un panier moyen qui mélange tout. Derrière les moyennes, il y a toujours de mauvaises surprises. L’UFC Que choisir révélait jeudi 23 mars que les produits alimentaires avaient connu « une hausse moyenne de 19 % en un an », ce qui plaçait les produits alimentaires au premier rang des contributeurs à l’inflation.

La première association de défense des consommateurs de France pointe du doigt les grands distributeurs : « Les paniers anti-inflation annoncés par les principaux acteurs de la grande distribution (Auchan, Casino, Carrefour, Intermarché, Système U), qui ne portent que sur leurs marques propres (soit 20 à 30 % du panier moyen) relèvent davantage de la stratégie commerciale que d’une réelle lutte contre la hausse des prix ! » Et ce n’est pas fini puisque la Banque de France estime que cette hausse vertigineuse devrait atteindre son pic « vers la fin du premier semestre », en juin.

Moins d'invités mais plus de place pour la spiritualité

En ce début du Ramadan, les fidèles musulmans qui ont l'habitude d'inviter proches ou voisins pour partager l’iftar ont vu leur budget sur les produits alimentaires gonfler sérieusement par rapport à l’an dernier. Les produits populaires pendant le Ramadan ont en effet fortement augmenté. Interrogés par BFM TV, des consommateurs musulmans avouent sans ambages qu’ils regardent à deux fois avant et calculent au plus juste en cette période de fête.


Les repas de rupture du jeûne partagés avec des invités sont marqués d’une croix rouge sur l’agenda familial de Fatima et Karim, un couple d’Aulnay-sous-Bois interrogé par Le Parisien. Il y a des croix un jour sur trois jusqu’au 21 avril. Soit beaucoup moins que d’habitude d’après Karim, qui explique que « normalement, on a du monde tous les soirs ». Mais inviter trois ou quatre personnes tous les soirs est désormais au-dessus des moyens du couple. Avant la crise, Karim avait même pris l’habitude de commander des plats chez un traiteur. « Mais ça ne sera pas possible cette année, ses prix ont pris 10 % », avoue le chef de famille.

Certains voient un avantage à cette situation, en faisant une plus grande place à la spiritualité. C’est le cas de Hakim, rencontré au détour du repas citoyen organisé dimanche 9 avril à Stains. « C’est une occasion de se concentrer sur l’essentiel, surtout les derniers jours du Ramadan, confie-t-il. Je ne fais pas l’itikaf (la retraite spirituelle, ndlr) car je ne peux pas le faire, c'est impossible parce que je travaille, mais j’essaye au moins de faire quelques prières en plus à la maison le soir ».

Pour le père de famille qu’il est, se rendre au repas citoyen était un moyen de joindre l’utile à l’agréable : par temps d’inflation, il aura économisé le prix d’un iftar pour lui, son épouse et ses enfants tout en partageant un moment convivial en famille à l’extérieur de son domicile. La veille, les participants à l’iftar de La Pépinière n’ont pas insisté sur le côté spirituel. Comme à l'événement stanois, les personnes présentes n’étaient pas toutes croyantes. Une partie d’entre elles avaient cuisiné sur place dans l’après-midi. La chorba était bien épicée et les conversations animées… Une belle soirée en dépit des difficultés engendrées par l’inflation.

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