Points de vue

Préserver l’identité de Jérusalem : un devoir et un droit international légitime

Rédigé par El Hassan Bin Talal | Mardi 18 Mai 2021 à 11:45

Les récents évènements tragiques survenus à Jérusalem, et plus globalement dans les Territoires occupés palestiniens, ont suscité une vague d’émotion dans le monde. C’est en sa qualité de président du Forum de la pensée arabe, une organisation intellectuelle et panarabe créée en 1981, que le prince El Hassan Bin Talal, l'oncle de l’actuel roi Abdallah II de Jordanie, fait valoir son point de vue sur la situation. « L'arrêt des hostilités ne peut permettre à lui seul d’atteindre la paix », affirme le dignitaire, pour qui « le statu quo n’est plus acceptable ».



Aucune ville dans le monde n’est autant convoitée et sacralisée par plus de la moitié de la population mondiale que Jérusalem, qui bénéficie d’une place privilégiée auprès des fidèles des trois religions monothéistes. Au-delà de son statut religieux, Jérusalem a une histoire très ancienne qui remonte à des milliers d’années avant Jésus Christ. Bien avant l’avènement d’Abraham, la ville a été habitée par les Jébuséens. Sur ce point, quelle que soit l'authenticité religieuse de la promesse divine faite à Abraham de léguer la Terre de Canaan à ses descendants, elle ne justifie pas l’injustice, l’occupation, et la violation des droits naturels des peuples de vivre en paix et en sécurité dans leur patrie.

La souffrance des Arabes de Jérusalem – chrétiens et musulmans – dure depuis trop longtemps. En 1967, les résidents arabes du quartier marocain (Hārat al-Maghāriba, un quartier historique de la Vieille ville, ndlr) ont été expulsés de leurs maisons avant que les forces israéliennes ne rasent entièrement la zone. La même histoire semble se répéter depuis, avec les récents événements à Bab al-Amoud (Porte de Damas), Silwan et Cheikh Jarrah.

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Garder le silence face aux violations flagrantes du droit international a de graves répercussions

Lorsque, le 27 juin 1967, Israël a étendu par décret le champ d'application de ses lois et de son administration à la Vieille ville et à d'autres zones alentours, il a agi en violation directe de l'article 43 de la Convention de La Haye 1907 qui oblige une puissance occupante à « respecter, sauf interdiction absolue, les lois en vigueur dans le pays ».

Tout examen impartial des mesures israéliennes, au niveau administratif ou autre, prises à propos de Jérusalem, montrerait de façon claire la violation de l'article 43, tout comme les articles 56 et 46 de la Convention de La Haye. Selon le premier, « les biens des communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l’instruction, aux arts et aux sciences, même appartenant à l’État, seront traités comme la propriété privée », et, selon le second, « l’honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée, ainsi que les convictions religieuses et l’exercice des cultes, doivent être respectés. La propriété privée ne peut pas être confisquée ».

De multiples preuves montrent que des maisons et des bâtiments appartenant à des Arabes et situés aux abords de la ville ont été démolis ou détruits. Ceci s’ajoute à l’expropriation forcée des terres et des propriétés à des fins non militaires, c’est-à-dire dans le seul but de répondre aux besoins de logements des Israéliens. Ces mesures déstabilisent, à grande échelle, l’équilibre démographique de Jérusalem.

Lorsque l'expropriation équivaut à une confiscation, elle est susceptible d'enfreindre l'article 46 qui stipule que « la propriété privée doit être respectée » et « ne peut pas être confisquée ». Les démolitions violent clairement l'article 53 qui interdit la destruction de biens situés en Territoires occupés. En outre, lorsqu'elles sont adoptées à titre de mesures punitives, la démolition ou la confiscation constituent nettement une punition collective, un crime au regard du droit international et une violation des dispositions du droit international humanitaire et des principes du droit international coutumier.

Garder le silence devant ces violations flagrantes des droits de l’Homme et du droit international a de graves répercussions. La paix et la sécurité internationales sont étroitement liées à l’engagement des pays membres des Nations Unies à faire respecter les résolutions qui criminalisent les actes de colonisation, de contrôle des territoires par la force et la falsification des vérités sur le terrain. L’annexion des Territoires occupés et la confiscation des propriétés constituent une grave violation de la Charte des Nations Unies et des Conventions de Genève.

La viabilité d'un État palestinien en constante menace

Prince El Hassan Bin Talal
L'annexion est une violation manifeste du droit international qui exclut, voire considère comme un crime, toute forme de discrimination ou d'oppression d'un peuple ou d'un groupe ethnique sur un autre. S'agissant de la situation en Cisjordanie, cela a été décrit par les Nations Unies, B’Tselem et d’autres acteurs comme des éléments constituant l’apartheid. Parmi les conséquences désastreuses de l’annexion, on compte celui du déséquilibre démographique qui surgit en Cisjordanie occupée. Nombreux sont les Palestiniens qui ne quitteront ni leur terre, ni leur maison de leur plein gré, ni ne les abandonneront sans faire preuve de résistance.

À moins que l'annexion ne soit stoppée, la viabilité d'un État palestinien ne cessera d’être menacée. Les territoires restants de la Cisjordanie, non annexés par Israël, ne permettront pas aux Palestiniens d’établir leur État indépendant. La colonisation transforme la Cisjordanie en un « Bantoustan palestinien » constitué de territoires séparés, complétement entourés par les terres de l’État d’Israël et privés de tout lien avec le monde extérieur. Ce fait transforme tous les efforts internationaux, et même ceux de certaines forces politiques israéliennes, visant à l’application de la solution des deux États en une sorte de chimère puisque les systèmes politiques et constitutionnelles n’admettent pas la déclaration d’un État dont les terres sont disloquées et isolées les unes des autres.

L'arrêt des hostilités ne peut permettre à lui seul d’atteindre la paix

Lorsque la colère, la frustration, le désespoir, les décennies d'humiliation et de discriminations prennent le pas sur le reste, cela ne peut que conduire à des actes de violence. Cependant, la violence ne peut et ne doit jamais être la réponse à la violence d'autrui, même lorsque cette violence est perpétrée en toute impunité. La Palestine est l'histoire triste d'un peuple de plus en plus solitaire en proie à une injustice quasi perpétuelle, dont les moments d'espoir sont souvent brisés par une politique belliqueuse et imprudente. Le bilan de ces derniers jours – le nombre de morts injustifié, les esprits affectés par les traumatismes, l'avenir brisé des jeunes – éloigne davantage les opportunités non violentes de changement.

La région vit actuellement une situation de tension sans précédent. La paix et la vie commune ont été placées en toute fin de la liste des priorités. La pression internationale est vitale pour mettre un terme à la violence des deux côtés ; l'arrêt des hostilités ne peut permettre à lui seul d’atteindre la paix. Il est à la fois urgent que de nouvelles formes de communication apparaissent ainsi qu’une vision concrète offrant des preuves puissantes et immédiates sur le terrain de ce à quoi ressembleraient les dividendes de la paix. Le slogan de la sécurité en échange de la paix doit être adopté mais il a besoin de fidèles qui s’y attachent et œuvrent pour que ses objectifs puissent se réaliser.

Le statu quo n’est plus acceptable

Le respect mutuel et la coexistence pacifique sont les conditions d'une paix juste, durable et globale que nous pouvons mener à travers le développement d'une plus grande réceptivité : « Je deviens moi-même selon ce que j’ai l'autre. »

Nous devons nous rappeler pourquoi nous nous soucions tant de Jérusalem afin qu’elle puisse à nouveau être célébrée comme la ville de la paix. Jérusalem est un don partagé, et non la propriété exclusive d'un gouvernement ou d'un peuple. L'avenir de la ville sainte nous concerne tous. C’est pourquoi nous devons garantir l'égalité de traitement et la prospérité pour tous ses habitants. Tout ce qui se passe à Jérusalem témoigne de la force ou de la faiblesse de la relation entre les religions abrahamiques et la relation entre nos sociétés et nos cultures.

L'impasse doit être brisée. Le statu quo n’est plus acceptable.

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