Points de vue

Pour ou contre le projet de loi « Mariage pour tous » ? Les arguments du CFCM

Par Mohammed Moussaoui*

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Mardi 6 Novembre 2012 à 17:09

Tout en rappelant son respect des règles du débat démocratique et sa condamnation de tout acte ou opinion homophobe, le Conseil français du culte musulman (CFCM), par la voix de son président Mohammed Moussaoui, affirme clairement son opposition au mariage de deux personnes de même sexe, dont le projet de loi « Mariage pour tous » sera présenté mercredi 7 novembre au Conseil des ministres. Les arguments avancés sont d'ordre autant religieux qu'éthique et juridique.



Dans le projet de loi de « Mariage pour tous », le gouvernement déclare être conscient de toutes les dimensions philosophiques et anthropologiques entourant le mariage et estime que ces dimensions ne peuvent venir percuter l’exigence d’égalité.

Ce projet va étendre aux personnes de même sexe les dispositions actuelles du mariage, de la filiation et de la parenté. Il ouvre l’adoption aux couples homosexuels et ce dans un cadre identique à celui qui est actuellement en vigueur.

Le projet de loi ne prévoit pas d’équivalent à la « présomption de paternité », qui existe aujourd’hui au sein des couples mariés. L’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) n’entre pas dans le périmètre du projet de loi et la gestation pour autrui ne sera pas légalisée.

Position du culte musulman

Le mariage fait l’objet d’un encadrement particulier dans la jurisprudence musulmane, comme en témoignent les nombreux textes coraniques et traditions prophétiques qui traitent des questions du statut personnel et de la famille : des épousables et des non-épousables, des droits et des devoirs des conjoints, des règles de l’héritage et des relations entre les générations….

Il ressort de ces textes que le mariage, selon la religion musulmane, est un pacte fondé sur le consentement mutuel en vue d’établir une union légale et durable (Coran, s 4, v. 21), entre un homme et une femme. Il a pour but la vie dans la fidélité réciproque et la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux.

De ce fait, la non-conformité du « mariage homosexuel » avec les principes de la jurisprudence musulmane fait l’unanimité au sein de toutes les écoles juridiques musulmanes.

Ce pacte entre un homme et une femme crée une relation de filiation réelle et structurante non seulement de la relation de l’individu avec ses ascendants et ses descendants, mais également de sa relation avec les autres membres de la société :
« Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient et bien Informé » (Coran, s. 49, v. 13).

Pour un débat serein et respectueux

L’opposition du culte musulman au mariage de deux personnes de même sexe étant réaffirmée, nous devons rajouter que, compte tenu du principe de laïcité qui tient compte de la diversité et de la pluralité des religions et des convictions au sein de notre société, nous sommes conscients que les règles et les normes d’une religion ne peuvent être mises en avant pour s’opposer ou se soustraire aux normes et aux règles de la République qui s’appliquent à tous. Ces règles républicaines doivent être le résultat de débats et de choix démocratiques ouverts à tous les citoyens quelles que soient leurs conditions ou leurs convictions.

Profondément attachés au principe de justice et du respect de l’égale dignité de tous ainsi qu’à la reconnaissance de la pluralité des religions et des convictions dans notre société, nous entendons contribuer, dans cet esprit, aux débats démocratiques et à l’évaluation des choix projetés pour notre modèle sociétal.

Par ailleurs, en présentant notre position sur le projet de loi, nous réaffirmons notre condamnation totale de toute forme d’atteinte qui viserait une personne en raison de ses opinions, de son appartenance religieuse ou de son orientation sexuelle. Et, à ce titre, nous condamnons fermement tout acte homophobe.

Le mariage, la famille et l’enfant

Le projet de loi portant sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe n’est pas une simple extension d’un statut réservé aujourd’hui à des couples hétérosexuels, il s’agit de transformer profondément une institution millénaire qui a permis à l’humanité de continuer à exister et à s’organiser avec des repères clairs, en harmonie avec la Création tout entière :
« Nous avons créé de toute chose deux éléments de couple (mâle-femelle), peut-être vous rappelez-vous » (Coran, s. 51, v. 49).

Le principe de l’accès sans discriminations à une institution ne peut être dissocié de la mission assignée à cette institution. Ce sont les conditions de l’accomplissement de cette mission qui déterminent les qualités requises pour les candidats qui souhaitent y accéder.

La mission du mariage ne peut être réduite à la reconnaissance d’un lien amoureux entre deux personnes ou à leur volonté de vivre ensemble. Sa mission est aussi la fondation d’une famille stable sous la direction des deux époux.

Le fait que deux personnes de même sexe puissent déployer tous les moyens pour donner à un enfant de l’amour et de l’affection ne peut être un argument pour relativiser une donnée anthropologique et psychologique fondamentale qu’est le besoin d’un enfant d’avoir une filiation réelle issue d’une mère et d’un père.

Même dans la situation de monoparentalité imposée – par le divorce ou par la disparition de l’un des parents –, les deux parents restent présents dans la conscience et le psychisme de l’enfant.

L’adoption est un moyen pour alléger la souffrance d’un enfant abandonné tout en préservant sa filiation réelle et non un moyen de satisfaire un projet ou un désir parental de personnes adultes en créant entre eux et l’enfant une filiation fictive.

Dès lors, a-t-on suffisamment de recul pour être sûr de garantir à tous les enfants adoptés les mêmes chances d’épanouissement, indépendamment de la nature du couple adoptif ?

Pourquoi amorcer l’engrenage ?

D’autres problèmes éthiques à ne pas sous-estimer peuvent resurgir via la question du mariage.

À titre d’exemple, le projet gouvernemental, s’il exclut pour l’instant de faire reconnaître l’équivalent à la « présomption de paternité », qui existe aujourd’hui au sein des couples mariés, ou l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA), pourrait trouver des difficultés à défendre cette position.

En effet, le principe d’égalité entre tous les couples, pourrait être invoqué pour refuser toute différence de traitement en raison de la nature du couple. Le débat sur la gestation pour autrui et d’autres questions bioéthiques risquent d’être relancés dans un contexte nouveau.

Le Code civil et les notions de père et de mère

D’autres interrogations liées à l’éventuelle mise en œuvre de ce projet de loi porteraient sur des considérations qu’il ne faut pas sous-estimer.

À titre d’exemple, y aurait-il deux régimes de mariage (hétérosexuel et homosexuel), avec deux états civils distincts (par exemple, extraits de naissance avec les mentions « père » et « mère » pour le mariage hétérosexuel et autres mentions pour le mariage homosexuel).

Car, au nom du principe d’égalité et d’équité, pourquoi imposer aux couples hétérosexuels et à leurs enfants la suppression des mentions (père et mère) dans leur état civil lorsqu’on sait que cette suppression aurait forcément un impact sur leurs sentiments, leur identité et leur vie quotidienne ?

Au cas où il y aurait un seul régime et un seul modèle d’état civil, a-t-on évalué les conséquences générées par l’actualisation des registres d’état civil et de tous les documents qui reposent sur ces registres : livret de famille, copie d’acte de naissance, acte de mariage, carnet de santé, etc., mais également au sein de la fonction publique, de la sécurité sociale, des établissements d’enseignement, etc. ?

Sur l’opportunité de légiférer

Si nous ne pouvons pas ignorer que certaines personnes homosexuelles, au nom du principe de l’égalité, demandent que leur vie en couple soit reconnue via l’institution du mariage avec les droits et les devoirs qu’elle impose, nous sommes en mesure de nous interroger sur le nombre de couples qui feraient cette demande et du nombre de ces couples qui souhaiteraient bénéficier du droit d’adopter des enfants.

À titre indicatif, d’après l’INSEE, entre 2000 et 2010, 904 746 PACS ont été signés, dont 63 609 (soit 7,03 %) entre des personnes de même sexe.

Le nombre de couples homosexuels concernés par ce projet de loi étant très réduit, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’introduire, par son adoption, une évolution importante dans la vie en société avec le risque d’ouvrir un débat passionnel, qui divise au moment où il y a nécessité de concentrer les efforts de tous sur les priorités et les défis importants qui se présentent à notre pays en cette période difficile de grande crise économique et sociale.

Nous ne pouvons ignorer que des sondages réalisés récemment (IFOP, août 2012) donnent 65 % de Français favorables au mariage entre deux personnes de même sexe et 53 % de Français favorables à l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe.

Cependant, il est utile de rappeler qu’avant le lancement des états généraux de la bioéthique en septembre 2008, les sondages donnaient une majorité de Français favorables à la gestation pour autrui (mères porteuses). Après un semestre de débats publics, ils étaient une majorité à s’opposer à la légalisation de cette pratique en France afin d’éviter tout risque d’instrumentalisation du corps de la mère porteuse.

Le risque d’emprunter, par la transformation d’un grand principe régulateur qu’est la filiation, un chemin irréversible qui engage la société d’aujourd’hui et de demain dans un avenir incertain est très grand.

Ce serait oublier, comme le soutenait Henri Bergson que « sur dix erreurs politiques, neuf consistent à croire que ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui » mais que la dixième, la plus grave sans doute, consiste à croire que « ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui ».


* Mohammed Moussaoui est président du Conseil français du culte musulman (CFCM).