Lionnes et gazelles

Les visages de la révolution arabe (1) : Nawwara Najm, fleur de la révolution égyptienne

Rédigé par Mehrézia Labidi-Maïza | Mardi 15 Février 2011 à 23:20

Mehrézia Labidi-Maïza, militante et coordinatrice au sein de l’organisation internationale Femmes croyantes pour la paix, inaugure une série de portraits d’acteurs et d’actrices des révolutions arabes à l’œuvre depuis janvier 2011. Autant de visages de la résistance non violente contre les dictatures à découvrir.



Photo de Nawwara Najm, publiée sur le site Al-jazeera.net.
Quand j’ai entendu son nom : Nawwara Najm, pour la première fois sur Al-Jazeera, le journaliste la présentait comme l’un des visages des jeunes gens qui menaient – et mènent toujours – la révolution égyptienne sur la place Tahrir.

J’ai tout de suite pensé à Ahmed Fouad Najm, le grand poète révolutionnaire égyptien, celui qui nous a appris à chanter la liberté, à décrier l’injustice, à dire non à l’oppression, bref celui qui a accompagné avec son acolyte le chanteur aveugle Cheikh Imam nos années estudiantines, notre révolte et nos espoirs.

Celui qui nous appris à chanter :
« Heureux, heureux
« À chaque nouvelle révolution, nous sommes heureux !
« Ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur, heureux
« Ceux qui ont préparé la révolte, heureux !
« Ceux qui y ont pris part, heureux !
« Ceux qui avaient l’estomac vide, heureux !
« Ceux qui luttaient avec leurs armes, heureux !
« Ceux qui luttaient avec leurs paroles, heureux !
« Compte les années
« Compte les pierres de notre terre
« Les nuits de notre souffrance
« Les étoiles de notre ciel
« Et tu nous retrouveras à chaque révolte, heureux ! »


À ma grande joie, cette jeune femme dont le prénom entier est Nawwarat Al Intisar (« fleur de la victoire ») est en effet la fille d’Ahmed Fouad Najm et de la célèbre journaliste et militante de gauche (devenue depuis très engagée dans sa foi musulmane et encore plus fidèle à ses principes) Saphinaz Kazem.

Comme si cela ne suffisait pas pour que Nawwara porte la révolution dans ses gènes, cette vaillante jeune femme est née un certain 8 octobre 1973, soit deux jours après la guerre du 6 octobre 1973 (guerre du Kippour, ndlr), d’où son prénom.

Nawwara a emprunté même le chemin que ses parents en travaillant dans le journalisme, en occupant plusieurs postes de rédactrice dans les suppléments d’Al-Ahram et d’autres journaux égyptiens. Elle a aussi publié un recueils d’articles critiquant la situation du pays, qui a été bien apprécié par les critiques et, bien sûr, elle fait partie de ces jeunes qui ont lancé la campagne de désobéissance civile sur Facebook et qui l’ont concrétisée sur la place Tahrir.

Ce que je retiens de Nawwara, la révolutionnaire, c’est son courage et son audace, qui ne l’ont pas empêchée d’être au même moment une jeune femme très douce et très féminine.

Elle fait partie des jeunes qui ont occupé le square de la liberté et qui ont subi l’attaque infâme et brutale des malfrats du régime, les prétendus manifestants pro-Moubarak : cette horde de sauvages qui a déferlé sur les jeunes militants de la liberté pour les « brûler » selon les mots mêmes d’une starlette de deuxième rang, Samah Anwar, qui ne supportait pas que « des gamins » défient son bien-aimé « Raïs ».

Le soir de cette attaque, alors que les manifestants étaient encore assiégés, Nawwara s’est entretenu avec le journaliste d’Al-Jazeera, Mohamed Krichen (Tunisien) ; une communication entrecoupée car faite avec un portable.

Elle confirmé son intention, elle et ses camarades, et tous les personnes présentes, à demeurer cette-nuit là au square, et ce par principe et non par vantardise ni dans l’esprit de devenir martyr. Elle était très touchante, elle n’a pas caché sa peur, elle a même pleuré et a fait sortir le grand professionnel Krichen de sa neutralité de journaliste. En effet, il s’est adressé à elle plutôt comme un grand frère pour la rassurer que les baltagia (les « voyous du pouvoir ») n’oseront pas les attaquer car tout le monde les observe à travers les médias.

Oui, cette jeune femme, assoiffée de dignité et de liberté, tout comme tous les jeunes Égyptiens, ne voulait pas jouer les héroïnes ; elle était venue pour chercher non pas la mort, mais la vie en toute dignité.

Elle et tous ceux qui étaient sur la place Tahrir, à ce moment-là et plus tard, nous ont donné une leçon magistrale de lutte non violente pour la liberté et les droits. Par la même occasion, ils ont cassé tous les clichés qui circulaient sur les sociétés arabo-musulmanes qui, selon certains, étaient condamnées soit à vivre sous la dictature, soit à sombrer dans la violence et l’extrémisme.

Nawwara, ma chère fleur, merci à toi et à toutes les fleurs de Tunis au Caire, de Sanaa à Amman, de Manama à Alger et d’ailleurs, qui nous ont annoncé un printemps précoce cette année : le printemps de la liberté et de la dignité arabe et musulmane.


* Mehrézia Labidi-Maïza est coordinatrice de Femmes croyantes pour la paix et co-auteure de Abraham, réveille-toi, ils sont devenus fous ! (avec Laurent Klein, Éd. de l'Atelier, 2004).