Points de vue

Le laïcide ou la subversion des valeurs républicaines

Rédigé par Ousmane Timera | Vendredi 19 Aout 2016 à 17:15



Les idées et valeurs sont vivantes. Elles sont porteuses d’une certaine conscience sur le monde. Et comme toute conscience, elles sont capables de perdre la tête, d’oublier leur fin et, ainsi, de précipiter la fin. Elles peuvent devenir folles et mutiler l’âme, la personne humaine, qu’elles étaient à l’origine venues nourrir. Elles la font mourir.

C’est le cas aujourd’hui de la laïcité, qui, de la neutralité de l’État, se métamorphose en une folle idée de neutralisation et de réduction de la société en sa diversité. Un petit totalitarisme. Un « laïcide ».

Triste glissement, prévisible paradoxe, qu’alimentent la nostalgie coloniale et l’opium de l’antireligion que partagent, dans leurs confusions néolibérales et identitaires, la gauche, la droite et leurs extrêmes. Les principes restent en leur lettre mais se vident de leur être. L’esprit républicain est devenu zombie oligarchique qui s’acharne sur les dominés pour maintenir l’ordre établi.

C’était liberté. C’était égalité. C’était fraternité. On y ajoute désormais, au moment où cette devise sans cesse est sifflée par la laideur de son inanité, le mot laïcité. Signalant, par sa répétition propagandiste, comme pour la devise française, la réalité de son absence. La répétition à tue-tête signale la disparition.

La République laïque et sociale est morte

C’est pour désigner ce processus de fossilisation, d’idéologisation et d’inversion philosophique des valeurs, qui gangrène aujourd’hui la République française, que le terme de « laïcide » fut forgé. Une inversion qui s’incarne dans l’effacement de la liberté politique par le libéralisme économique, l’égalité citoyenne par le laïcisme identitaire et islamophobe et la fraternité humaine par le « charlisme » d’inquisition. Liberté, Égalité, Fraternité contre leurs versions zombies dominantes, que sont le libéralisme, le laïcisme et le charlisme.

La République laïque et sociale est morte depuis belle lurette. Seul subsiste son corps décharné, à coup de vocifération idéologique laïciste et néolibérale, tel un fétiche aux postures farouches. Mais l’idole est avide de sang et les valeurs sont devenues fantômes. Seul l’effroi et la guerre, l’illusion et ses (im)postures peuvent maintenir dans l’esprit des « ouailles » affolés que nous sommes son ordre dépassé.

Ainsi, le laïcisme est-il un meurtrier qui a pris les traits de sa victime (la laïcité et la République) pour mieux la dépecer, participer à la domestication en cours de la société par la domination oligarchique et maintenir le statut quo.

La répétition des mêmes polémiques sur l’Islam depuis plus de 30 ans et la religionisation des problèmes socio-économiques, sous la houlette des « ayatollahs » de la laïcité, ne visent rien d’autre que cela.

Venons-en maintenant aux principes de la laïcité, avant son laïcide actuel, telle que la loi de 1905 les expose :

1. Entre les institutions religieuses et les institutions de la République s’observent un principe de non-ingérence de l’une dans les domaines et champs de compétences de l’autre.

2. La neutralité de la puissance publique vis-à-vis de toutes les religions induit et permet obligatoirement la liberté de conscience, la liberté d’expression et la liberté de culte en public comme en privé.

3. L’égalité des droits, quelles que soient la conviction et l’appartenance religieuse et/ou philosophique, est garantie pour toutes et tous.

Une religion particulière, le laïcisme identitaire

Les débats en cours en France sur/contre l’Islam, orchestré par l’élite politique, intellectuelle et médiatique, trahissent allègrement les valeurs d’égalité et de liberté de conscience qu’ils disent défendre.

Il s’agit plutôt d’une falsification philosophique et d’un embrigadement idéologique de la République en faveur d’une religion particulière, le laïcisme identitaire, auquel participent indistinctement la gauche et la droite, à la poursuite de l’extrême droite qui mène la danse. Ce, pour le bonheur des bénéficiaires de la crise qu’aucun parti, réellement, ne veut régler en ses racines.

Or la situation demande non l’incantation laïque et identitaire, mais une révolution philosophique et politique qui donne à la nation française une vision et un destin, et aux citoyens (tous ceux qui vivent en France) les voies et moyens de leur émancipation sociale et financière, de leur épanouissement spirituel et culturel, de leur participation citoyenne et politique, et de leur contribution humaine et créatrice.

Vers une nouvelle dynamique philosophique et politique

Une telle transformation, dans ce contexte de délitement du social au profit du pénal, de l’égalitaire pour l’autoritaire, ne peut être menée par l’élite actuelle. Car elle n’en a ni l’imagination ni la générosité, et tel d’ailleurs n’est pas son intérêt. D’où là « mêmeté » gestionnaire que droite et gauche confondues proposent sans aucun résultat, avec pour seul cadre la surenchère dans la servitude financière réformiste et/ou la vocifération identitaire laïciste.

Seule une nouvelle génération, dont l’histoire n’est pas tributaire de l’héritage de la gauche et de la droite et de leurs extrêmes, peut être porteuse d’une nouvelle dynamique philosophique et politique dans la reliance assumée des « lumières » et de la « Lumière », de l’humain et du divin (Islam), par le dépassement critique de leur idéologisation impérialiste et fondamentaliste.

Le vide, dont le laïcide est le symptôme, ne peut être comblé que par un nouveau projet universel (et non universaliste) qui accomplira les idéaux de la révolution, du conseil national de la résistance et de la laïcité, en les attestant, pour ensuite les féconder puis les transcender, par le truchement de la vision cosmique du Coran qui enseigne la reliance, par la transcendance, des diverses cultures, spiritualités et philosophies de l’humanité qu’il reconnait et protège, dans la saine interaction avec la Création tout aussi infinie.

Notre avenir est à ce prix : donner à nos révoltes indignées les voies de leur dignité révolutionnaire et créatrice. Cela sera long et difficile. Les forces réactionnaires et rétrogrades ne nous laisseront aucun répit. Mais l’obscurité s’acharne d’autant plus qu’arrive l’aube. Pour nous le temps parlera. Résistons !