Points de vue

Le chemin vers l’Histoire : l’exemple de l’émir Abdelkader

Rédigé par Mehdi Benchabane | Samedi 28 Mars 2015 à 06:00



L’émir Abdelkader (Abd el-Kader ben Muhieddine, né en Algérie en 1808 et mort en Syrie en 1883) est à la fois homme politique, chef militaire et théologien. Il est considéré comme une figure historique ayant combattu la colonisation française. Constitué prisonnier en France de 1847 à 1852, il a cependant été fait ensuite grand-croix de la Légion d’honneur pour avoir accordé sa protection aux chrétiens de Syrie en 1860.
« Si nous voulons être les acteurs responsables de notre propre avenir, nous avons d’abord un devoir d’Histoire. » C’est ainsi qu’Antoine Prost, célèbre historien de la France contemporaine, insiste sur le fait que l’Histoire se vit d’abord au présent, dans le questionnement perpétuel de notre quotidien. Il n’y a pas besoin d’être historien, professeur d’histoire ou étudiant dans la discipline pour se demander comment notre héritage est constitutif de ce que nous sommes aujourd’hui. Parler au passé, c’est déjà une manière de se tourner vers l’Histoire.

Mais pas forcément vers la connaissance historique, celle qui est conçue par les spécialistes. C’est plutôt un passé de soi à soi que le commun des mortels se construit, un passé où il n’y a pas de différences entre la mémoire et l’Histoire. Un passé de l’exaltation de la nation (polémiques autour du « roman national ») marquée par des idéologies de toute nature. Pas forcément celle du renouvellement, de l’ouverture, du contact (voir l’Histoire connectée, incarnée en France par l’excellent travail de Patrick Boucheron). L’Histoire, pour chacun d’entre nous, c’est d’abord son histoire.

Sortir de la nostalgie d’un âge d’or perdu

L’effort de tendre vers une recherche de la connaissance historique rigoureuse, pour démêler le vrai du faux, est une nécessité. Et ainsi s’imprégner de « l’intention d’objectivité », pour reprendre les propos de Paul Ricœur, aussi bien dans la lecture que dans la production. En tant qu’individu, nous sommes tous concernés par ce cheminement intellectuel. C’est un devoir éthique et moral de ne pas s’approprier l’Histoire comme on mettrait la main sur un butin de guerre.

Ce travail doit faire sortir l’homme des fantasmes du passé, de la nostalgie d’un âge d’or perdu, voire d’une mémoire qui négligerait ce que l’Histoire offre réellement à partir des sources. Les universitaires français ont parfois tourné le dos à la vulgarisation historique : mais le lecteur trouvera bon nombre d’historiens, reconnus dans leur discipline, qui nous permettent d’accéder au passé de manière rigoureuse avec une écriture accessible à tous.

Leurs travaux sont ceux de professionnels qui s’appuient sur un cursus universitaire et une véritable expérience de la recherche. Jacques Le Goff est sans doute la plus grande figure de la vulgarisation historique, qu’il a longtemps défendue avant son récent décès, via le courant de la « Nouvelle Histoire » dans les années 1970.

Prendre modèle sur un « grand personnage historique » : l’émir Abdelkader

Partons d’un exemple précis : celui de la figure d’Abdelkader. Ce résistant à la colonisation française entre 1832 et 1847 en Algérie, symbole du dialogue entre les cultures et les civilisations, fut depuis le XIXe siècle étudié à partir d’une multitude de points de vue.

Cet aspect dénote bien l’importance de notre questionnement, voire de notre environnement, dans la mise en valeur de telle ou telle facette du personnage faisant l’objet de notre attention. Les historiens (mais aussi les journalistes ou hommes politiques contemporains d’Abelkader) se sont d’abord intéressés à l’émir comme un homme de guerre : le fils de Muhiyyedine, lui-même chef d’une zaouïa marquée d’une aura dans tout l’Ouest algérien, fait face, à seulement 24 ans, aux troupes françaises, elles-mêmes encore dubitatives sur l’avenir de leur présence en Algérie.

Puis, une fois la lutte battant de pleins feux, c’est le chef d’État qui fascine, l’organisateur du territoire, levant les impôts, installant une administration centralisée, mais aussi des gouverneurs de provinces (khalifas), allant jusqu’à créer une capitale à Tagdempt.

De l’homme politique à l’homme spirituel

C’est d’abord le « politique et militaire », pour reprendre le titre de la biographie d’Alexandre Bellemare, qui jalonne tout le XIXe siècle et une bonne partie du XXe siècle. Cela s’explique essentiellement par le contexte colonial et la prédominance de l’histoire politique dans le champ universitaire français. Cette dernière est dominée par l’école méthodique de Langlois et Seignobos.

Plus récemment, les sociologues et islamologues se plongèrent dans la vie de l’émir, dans ses écrits notamment. Ils ont redécouvert l’homme spirituel, le médiateur, le croyant, le savant musulman. De Bruno Étienne à Éric Geoffroy, cette place de la spiritualité d’Abdelkader prend une importance majeure dans les publications. Une recherche et une lecture dépassionnée ont permis d’accéder à la vie de l’émir Abdelkader dans toutes ses dimensions. Cependant, n’oublions pas l’Histoire nationale algérienne, celle-ci accorde encore une grande considération à celui qu’elle considère comme le père de la patrie.

Désormais, celui qui veut aller à la recherche de l’histoire d’Abdelkader possède toutes les clés pour accéder à des ouvrages de qualité et historiquement sérieux, mais seulement si l’individu se lance dans une démarche positive visant à retrouver le passé de manière sereine et objective.

Revenir à la connaissance historique est essentiel dans un monde contemporain extrêmement complexe. Il faut cependant, comme l’écrivait Marc Bloch dans son Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, se défaire du « satanique ennemi de la véritable Histoire : la manie du jugement ».


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Mehdi Benchabane, professeur d’histoire-géographie, est notamment l’auteur de L’Émir Abdelkader face à la conquête française de l’Algérie (1832-1847), Edilivre, 2014. Il anime la page Facebook Histoire du Maghreb contemporain