Economie

Le business des fêtes de fin d’année

Rédigé par Nadia Henni-Moulaï | Samedi 24 Décembre 2011 à 01:07

En cette période de fêtes, les entreprises s’activent. Entre l’Aïd, Noël et le jour de l’an, les Français achètent, et les consommateurs de culture musulmane n’y dérogent pas. Pied de nez à la crise ?



Selon une étude du cabinet Deloitte, le budget alloué par les ménages français aux sorties, aux cadeaux et aux repas de fêtes de fin d’année pour 2011 est estimé à 606 € ; il est de 587 € au niveau européen.
« Je réalise 70 % de mon chiffre d’affaires entre novembre et décembre. » Rien d’étonnant pour un producteur de foie gras, dont l’exploitation, la Ferme du Vicary, est basée à Gaillac (Tarn). Sauf qu’Abdelmounaim Chlieh fabrique des produits exclusivement halal. Magrets, gésiers, rillettes, bloc de foie gras, les produits du terroir n’ont plus de secret pour lui. Il faut dire qu’à 34 ans ce Français d’origine marocaine n’est pas arrivé là par hasard. « Je suis titulaire d’un BTS agricole », précise-t-il. Et c’est après un stage, en 2006, auprès d’un éleveur spécialisé dans le gavage que sa vocation naît. « Cette expérience m’a plu », évoque-t-il.

Mais « c’est le conseil d’un ami converti à l’islam » qui le pousse à se lancer dans les produits halal. D’abord à tâtons, histoire de jauger le marché. « J’ai livré l’équivalent de cinq canards à deux boucheries halal. L’une à Castres, l’autre à Toulouse. » L’engouement est immédiat : « Tout a été vendu dans la semaine. » Un test décisif pour Abdel qui l’achève de le convaincre.

Depuis, la courbe de croissance est exponentielle. « Aujourd’hui, je gave 25 canards contre 2 au début. » Une production multipliée par 5 en l’espace de deux ans. Avec des produits plutôt de haut de gamme (compter 15 € les 180 g de foie gras), les acheteurs sont cadres le plus souvent. Et visiblement, les musulmans de France ont le goût des bonnes choses. « En 2010, j’ai fait 80 000 € de chiffre d’affaires. Cette année, j’espère franchir la barre des 100 000 €. »

Les marques Labeyrie, Larnaudie, Rougié, Reghalal ou encore Delpeyrat (numéro deux du foie gras en France) ne s’y sont pas trompées et se sont lancées depuis quelques années dans le marché du halal. Si la France représente à elle seule 75 % de la production mondiale et 75 %... de la consommation mondiale du foie gras, générant un chiffre d’affaires de plus de 1,5 milliard d’euros par an, la part du halal sur ce marché reste mineure. Mais elle a progressé de 21,7 % en 2009, selon le cabinet Solis. Ainsi, la magie de Noël opère même pour les Français de culture musulmane.

Noël, un levier pour le halal ?

« Il y a un effet de mimétisme évident. Les grands groupes comme Delpeyrat communiquent sur leur offre festive de Noël. Du coup, les musulmans veulent aussi acheter ces produits. Je profite de cette communication indirecte », justifie Abdelmounaim.

Un constat auquel souscrit Hicham Fassi-Fahri. Installé à Mantes-la-Jolie (Yvelines), il a ouvert, en septembre dernier, un supermarché dédié au halal. Comme le fondateur de Hal’shop Rachid Bakhalq, Hicham a flairé le business. « On a 300 m² pour satisfaire nos clients », explique ce diplômé en droit. D’autant que la fin d’année comporte un enjeu commercial important. À commencer par l’Aïd al-Adhâ, célébré en novembre dernier.

De son aveu même, « il y a eu un vrai effet Aïd. On a multiplié notre chiffre d’affaires par trois durant cette semaine de fête », confie-t-il, mi-ravi, mi-surpris. Parmi les produits stars, la semoule, certes ; et le leben (lait fermenté). « Habituellement, on écoule une centaine de bouteilles en 15 jours. La semaine du 6 novembre, on en a vendu plus de 200 ! », s’exclame-t-il. Autre produit plébiscité par les adeptes des supérettes halal ? « Les boissons dites communautaires. » D’ordinaire, « on commande une palette pour la quinzaine, soit 300 à 400 bouteilles. On a dû se réapprovisionner… » Un rodage bien utile à l’approche de Noël et du réveillon de la nouvelle année.

Foie gras, boissons festives et bûches

Hicham Fassi-Fahri sait qu’il doit anticiper, alors même qu’il s’agit d’événements non musulmans. Et comme l’esprit de la fête semble être en vogue parmi les consommateurs de culture musulmane, « on va référencer la boisson pétillante Night Orient sans alcool. » Un choix stratégique.

Night Orient a le vent en poupe. Créée en 2009, la marque revendique être distribuée en plus de 400 points de vente en Belgique et 500 points de vente en France (dont 70 % en grande distribution). Et son coffret prestige comprenant une terrine de foie gras halal de Labeyrie et une bouteille Night Orient vient d’être référencé par la compagnie aérienne Emirates Airlines.

Également typique du mois de décembre, les produits de la mer. « J’ai commandé 50 barquettes de saumon, à 3,80 € l’unité », poursuit Hicham Fassi-Fahri. Plutôt bon marché, le tarif ne devrait pas rebuter la clientèle. Mais un menu de fête sans volaille l’est-il vraiment ? « Oui, on y a pensé, au chapon notamment. Mais notre clientèle, c’est 90 % de musulmans pratiquants, dont beaucoup ont encore gardé les us et coutume du pays d’origine. »

Il n’empêche, 24 ou 31 décembre, les consommateurs musulmans ont toujours les papilles qui frétillent. Farid Ouhadj le sait bien. Après plusieurs expériences réussies en tant que fournisseur dans « le secteur des cafés, hôtels, restaurants et des boulangeries, j’ai lancé Instant gourmet authentique ». Le jeune trentenaire s’est spécialisé dans la pâtisserie sans graisse animale ni alcool. Fraisier, forêt noire et l’incontournable bûche de Noël…

Leclerc, Super U ou Intermarché, les professionnels de la distribution ne boudent pas le filon de produits alimentaires plus conformes aux désidératas des amateurs de halal. L’an dernier, Farid a écoulé 130 000 bûches. Un marché en plein essor. Farid vise 5 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à l’année prochaine. Une courbe de développement apparemment en pleine croissance, propre à tous les secteurs concernés par les fêtes. Malgré la crise…

Plus fort que la crise

Selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), les Français devraient dépenser plus de 7 milliards d’euros sur Internet à l’occasion des fêtes de fin d’année. Une progression de plus de 20 % par rapport à l’an dernier. Les prévisions donnent même le vertige. Le chiffre d’affaires pourrait ainsi avoisiner les 40 milliards d’euros en 2011 !

Crise ou pas, les Français consomment et encore plus à Noël. Franck Lehouédé, chef de projet consommation au Centre de recherches pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) confirme : « Les Français vont continuer de dépenser malgré la crise. » S’ils ne comptent pas rogner sur les cadeaux, ils le feront davantage sur l’alimentaire. L’étude Deloitte 2011 le montre bien. « 60 % des Français interrogés privilégieront les cadeaux, 30 % le repas. » Le budget cadeaux est même en hausse de 1,9 %, culminant à 606 €.

Kamel Saïdi, l’un des fondateurs des Enfants terribles, restaurant halal gastronomique (Paris), abonde en ce sens. « La crise a un impact sur notre activité, c’est incontestable. » L’enseigne, qui sert près d’une centaine de couverts par jour, le week-end, a pourtant réussi à fidéliser une clientèle de haut de gamme, synonyme d’exigence. Deux restaurants ouverts, l’un en avril 2007, l’autre en février 2010, Les Enfants terribles attirent une clientèle à 80 % musulmane, pour la plupart cadres et cadres supérieurs et âgée entre 25 et 35 ans.

Le restaurant proposera un repas de fêtes pour la Saint-Sylvestre. « On prévoit un menu à 60 € avec foie gras, notamment. Les plats principaux sont en cours de définition. Festine, filet de bœuf et jus de raisin pétillant sont déjà dans la course. » Une étape incontournable pour Kamel, qui confie réaliser une bonne part de son chiffre d’affaires lors des fêtes de fin d’année.

Si la crise n’a pas encore tout à fait affecté le pouvoir d’achat, les Français craignant davantage la situation économique de 2012, ils considèrent la période de Noël 2011 comme une dernière occasion de se faire plaisir.

Une crise qui bouleversera la donne, même pour un marché croissant du halal, potentiellement estimé à 5 milliards d’euros par an…



Première parution de cet article dans Salamnews n° 33, décembre 2011.