Points de vue

La question des Ahmadis au cœur des préoccupations de l’islam britannique

Rédigé par | Lundi 11 Avril 2016 à 09:00



En Ecosse, le meurtre d'Asad Shah fait actuellement grand bruit. Ce Britannique, apprécié par sa localité pour sa proximité avec habitants de Glasgow et ses petits gestes envers les communautés religieuses, s’est fait atrocement assassiné en pleine rue. L’émotion fut grande et de nombreux proches sont venus rendre un dernier hommage à cet homme au grand cœur.

Quelques jours après son enterrement, la police révèle les premiers éléments concernant le meurtrier présumé : il affirme avoir agi en raison du non-respect d’Asad Shah envers Muhammad, le Prophète de l'islam.

Les Ahmadis, une communauté dirigée par un calife

Asad Shah appartient à la communauté musulmane ahmadiyya. Cette communauté réformiste de l’islam a pour crédo qu’Ahmad de Qadian, fondateur de cette communauté, est le Messie qui est attendu et dont l’avènement a été prophétisé par le Prophète de l’islam, Muhammad. Reste qu'Ahmad proclame également être un Prophète, ce qui ne va pas sans agacer l’orthodoxie musulmane qui estime qu’une telle doxa est incompatible avec les principes fondateurs de l’islam, réputant le Prophète Muhammad comme étant le dernier, après lequel aucun prétendant à l’apostolat n’est admissible.

Or, pour plusieurs raisons théologiques qu’il n’est pas ici utile d’évoquer mais qui ont été très largement développées dans mon ouvrage L’Ahmadiyya : un islam interdit, l’interprétation d’Ahmad aboutit à la notion de « sceau » de tous les Prophètes et non « dernier » de tous les Prophètes. Par ailleurs, il a affirmé que son apostolat était subordonné à celui du Prophète de l’islam.

Outre cette divergence d’interprétation, il semble que rien de substantiel n’oppose cette communauté au sunnisme traditionnel de l’islam. Après le décès du fondateur de cette communauté, un système de califat a pris la suite, ayant un genre de fonction papale avec pour mission de fédérer les Ahmadis du monde entier. Aujourd’hui, cette communauté est dirigée par le cinquième successeur d’Ahmad, Mirza Masroor Ahmad.

Une communauté sévèrement réprimée au Pakistan

La communauté ahmadiyya est sévèrement persécutée dans plusieurs pays du monde musulman mais également et plus précisément au Pakistan. Le deuxième amendement de la Constitution en date de 1974 les déclare constitutionnellement comme « non-musulmans » et la loi relative au blasphème de 1984 vient leur interdire tout acte qui se lie à l’identité musulmane. Or, les Ahmadis sont, en terme d’identité religieuse, des musulmans et cette loi les empêche matériellement de pouvoir pratiquer leur culte.

Outre l’aspect juridique des persécutions, il faut également voir que, dans les faits, on connait un accroissement des assassinats rampants, des attaques ciblées, des attaques terroristes, des conférences appelant ouvertement à la haine sont quotidiennes au Pakistan, sans que les puissances internationales qui accordent une attention. De tels actes sont évidemment, et sur une base régulière, condamnés par l’ONU et les grandes instances des droits de l’homme mais l’emprise de ces persécutions et la profondeur de celles-ci ne sont pas autant prises en compte qu’elles ne le devraient.

Souvent, les mobiles animant les assassins à passer à l’acte est qu’ils ont tué un Ahmadi car il ne respectait pas le Prophète Muhammad. Bien que cela ne soit pas une raison valable et que le Prophète de l’islam n’a jamais cautionné un tel assassinat aveugle, des factions, proches de groupes terroristes, continuent inlassablement à persécuter et à harceler les Ahmadis.

La Grande-Bretagne connait une importante diaspora indo-pakistanaise. L'étudiante Mahrukh Arif, dans un sujet qu’elle proposait à l’EHESS, s’interrogeait déjà sur l’importation des persécutions des Ahmadis en Europe, et plus précisément en Grande-Bretagne. Or le présumé assassin affirme lui-même avoir agi par « amour » envers le Prophète Muhammad (alors que ce dernier ne lui a rien demandé). On voit ainsi se développer une similarité dans les comportements observés d'un continent à un autre.

La question est désormais celle du modèle à promouvoir et comment la Grande-Bretagne souhaite gérer le fait religieux sur son territoire. Ce pays à l’origine de l’Habeas Corpus et d’autres grands actes fondateurs des libertés publiques devrait évidemment condamner fermement de tels actes et ne pas laisser s’installer une quelconque guerre entre les différentes interprétations musulmanes sur son territoire.

Les Ahmadis sont apparemment toujours ouverts au pardon. En témoigne ce membre de la US Navy qui avait commis une attaque islamophobe contre une mosquée ahmadie du Connecticut et qui s’est vu être pardonné par les Ahmadis. Reste que le pardon pour l'affaire britannique devra être recherché auprès des proches d’Asad Shah qui n’a commis qu’un seul crime : celui de suivre les enseignements du Prophète de l’islam concernant l’humanité et l’altruisme.

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Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur de L’Ahmadiyya : un islam interdit et directeur de la collection Religions & Laïcités aux éditions l’Harmattan.

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Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam, le terrorisme… En savoir plus sur cet auteur