Société

La loi Gatel destinée à mieux encadrer l’ouverture des écoles privées vise-t-elle les projets musulmans ?

Rédigé par | Mercredi 7 Mars 2018 à 12:45

Le Sénat a voté le 21 février une proposition de loi qui devra permettre aux autorités de mieux encadrer et contrôler l’ouverture des écoles privées hors contrat. La proposition de loi reste à être débattue à l’Assemblée nationale. Mais qu’en pensent les représentants d’écoles musulmanes en France ? Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM), est partagé face à l’initiative parlementaire, soutenue par le gouvernement. A côté, une autre fédération d'écoles musulmanes déplore « un projet de loi liberticide et discriminant ». Explications.*

*Le Parlement a définitivement adopté fin mars la proposition de loi renforçant l'encadrement des écoles libres hors contrat.



La proposition de loi « visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat » et émanant de la sénatrice UDI Françoise Gatel a été adoptée le 21 février par 240 voix pour et 94 contre. Ce large plébiscite, qui n'était pas acquis d'avance dans un Sénat dominé par Les Républicains, doit encore être confirmé par l’Assemblée nationale, qui est désormais chargée examiner le texte.

Un an plus tôt, un projet de loi, porté à l’époque par la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, prévoyait de soumettre l’ouverture des écoles privées hors contrat non plus à un régime – toujours actuel - de déclaration mais à un régime d'autorisation préalable. Il avait alors été censuré, en janvier 2017, par le Conseil constitutionnel, qui a estimé que le nouveau système porterait « une atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d’enseignement, indissociable de la liberté d’association ».

Et si la loi Gatel n’était finalement que la première étape pour parvenir à changer le système ? C’est la crainte formulée par de très nombreuses organisations regroupant des établissements privés, parmi lesquelles figure la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM), qui compte 35 écoles parmi ses adhérents, la plupart étant hors contrat à ce jour.

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Il n'est pas plus facile d'ouvrir une école qu'un kebab

« Je suis pour unifier le système d’ouverture des établissements hors contrat (voir encadré sur les changements apportés par la loi, ndlr) mais pas au point qu’il devient lourd et qu’il freine le développement de l’enseignement privé en général - restreigne les bonnes volontés d’ouvrir des écoles et de développer des pédagogies alternatives », indique le président de la FNEM Makhlouf Mamèche, par ailleurs directeur adjoint du lycée privé (sous contrat) Averroès.

Contrairement à ce que laisse croire la facilité du système de déclaration, « ouvrir une école, c’est difficile, c’est tout un projet car il faut au préalable un budget, un bâtiment, des professeurs… Pas mal de projets n’arrivent déjà pas à aboutir à leur terme pour diverses raisons, qu’en sera-t-il si le système vient à changer ? », s’interroge-t-il.

Soutenant que « les écoles hors contrat sont aujourd’hui davantage contrôlées que celles sous contrat », Makhlouf Mamèche prône la vigilance : « Ce n’est pas parce que le Conseil constitutionnel a dit non au système d’ouverture préalable que plus rien ne peut se passer… Le projet peut être adopté sous une autre forme mais avec le même objectif. »

Une loi pour prévenir « la radicalisation islamiste » ? Un leurre

Pour les auteurs du texte, la proposition de loi entend lutter contre les dérives de toute nature. Le Premier ministre Edouard Philippe, en soutien à l’initiative de Françoise Gatel, a néanmoins repris la mesure pour le compte du gouvernement en la plaçant dans le cadre du plan de prévention de la lutte contre la radicalisation.

Fallait-il présenter cette loi sous cet angle ? Pour le président de la FNEM, « croire que les écoles musulmanes renforceraient la radicalisation ne tient pas sur des bases fondées ». « Ce sont des dires qui n’ont aucun sens. Les écoles musulmanes, comme les mosquées, ne sont pas des nids à radicalisation, bien au contraire. Elles sont un rempart contre la radicalisation car leurs responsables, dans la très grande majorité, font en sorte de conjuguer les valeurs de l’islam avec les valeurs de la République. Il faut chercher ailleurs ! », martèle-t-il, soulignant que « tous les radicaux connus sont passés par l’école de la République, pas par des établissements musulmans ».

Vouloir restreindre le nombre d’écoles privées dans l’optique de lutter contre la radicalisation, un mauvais calcul donc, d’autant que les écoles musulmanes ne représentent que 4 % des quelque 1 300 établissements hors contrat répertoriés en France.

« Ne pas jouer la carte de la victimisation »

Fatih Serikir, président de l'UEPM.
Makhlouf Mamèche n’a pas le sentiment d’une nouvelle loi d’exception dirigée contre les musulmans.

« Comme les musulmans sont la dernière communauté religieuse à s’être implantée en France et qu’ils essayent donc d’ouvrir des écoles, certains pensent que cette loi est forcément orientée contre eux ... Je pense qu’il ne faut pas ici jouer la carte de la victimisation » d’autant que « ce ne sont pas les musulmans les premiers impactés » au regard des fortes réactions émanant d’organisations d’enseignement laïque ou catholique contre la loi, estime-t-il. « Si la personne a un projet bien ficelé pour ouvrir une école, cette loi dans l’état n’empêchera pas les porteurs de projets d’ouvrir leurs écoles. »

Une position qui contraste avec celle de ladite Union européenne de l’enseignement privé musulman (UEPM), récemment créée et qui compte quatre écoles dans son giron. Liée à la fédération turque Milli Gorus (CIMG), l’association a fait valoir en février, par la voix de son président Fatih Sarikir, que « la communauté musulmane va forcément et à juste titre se sentir pointer du doigt » avec la loi Gatel, tout en pointant « les risques que représente ce projet pour toutes les écoles privées hors contrat ».

Et si l'Etat assouplissait les critères pour entrer sous contrat ?

Il pointe néanmoins, pour sa part, une « incohérence dans la conception de ce projet de loi » dans la mesure où « on essaye de rendre plus difficile l’ouverture de ces établissement mais parallèlement on ne fait rien pour leur permette de passer sous contrat ». « Pour rester cohérent, il aurait fallu, par exemple, assouplir les critères pour rentrer sous contrat avec l’Etat », estime Fatih Serikir, qui déplore qu’un établissement privé ne puisse rentrer totalement dans ce régime « avant 10 ans d’existence ».

L'UEPM a lancé une pétition « contre un projet de loi liberticide et discriminant », qui a collecté 2 000 signatures. La proposition de loi est cependant bien partie pour être adoptée à l'Assemblée nationale, dominée par La République en marche.

Quels sont les principaux changements prévus par la loi Gatel ? Le texte comprend trois articles, ainsi expliqué par les auteurs de l'initiative législative.

« L'article 1er tend à simplifier la législation en fusionnant les trois procédures du régime déclaratif existant. Elle renforce le contrôle exercé par le maire et par les services de l'État en allongeant les délais d'opposition, en les portant respectivement à deux et trois mois, et en unifiant les motifs d'opposition. Elle en ajoute également de nouveaux, permettant au maire de s'opposer à l'ouverture pour des motifs liés à la sécurité et à l'accessibilité des locaux, et aux services de l'État en cas de non-respect des conditions de titres et de moralité du chef d'établissement et des enseignants. Les sanctions en cas d'ouverture d'un établissement en dépit d'une opposition sont renforcées et le directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) peut mettre immédiatement les parents d'élèves en demeure de scolariser leurs enfants dans un autre établissement.

L'article 2 affirme le principe d'un contrôle annuel de chaque établissement ou classe hors contrat et prévoit que les services de l'éducation nationale devront prévenir le préfet et le procureur de la République s'il apparaît que l'enseignement dispensé est contraire à la moralité ou aux lois ou que des activités menées au sein de l'établissement sont de nature à troubler l'ordre public.

L'article 3 étend aux directeurs et enseignants du second degré général les conditions d'âge, de nationalité et de capacité qui n'existaient jusqu'alors que pour leurs homologues du second degré technique. Il établit l'obligation, pour le directeur d'un établissement d'enseignement du second degré privé, d'avoir exercé pendant cinq ans au moins les fonctions de professeur ou de surveillant dans un établissement scolaire du second degré. »



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur