Société

Jacqueline Costa-Lascoux : face aux populismes, « les démocraties n'ont pas perdu la partie »

Les mots piégés du débat républicain

Rédigé par Pierre Henry | Mercredi 16 Mars 2022 à 11:30

Après être revenu sur l'origine du mot « populisme » et sa balade dans l'actualité, un intervenant nous aide à y voir encore plus clair. Jacqueline Costa-Lascoux est sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et chercheure associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).




« Le populisme, c'est toujours le discours de l'autre », disait Paul Ricoeur. Alors une question : le populisme est-ce que c'est une facilité de langage pour discréditer l'autre, l'opposant, ou bien est-ce un réel danger pour nos démocraties ?

Jacqueline Costa-Lascoux : Alors, on utilise le terme populisme, en effet, comme un terme péjoratif, pour discréditer un adversaire politique, un parti politique que l'on dénonce comme démagogue, opportuniste, jouant sur les peurs, le ressentiment social, les frustrations. Mais ça correspond malheureusement à un réel danger, surtout en ce moment. A la fois où on reproche aux populistes de parler au nom du peuple, en lui faisant dire n'importe quoi, et en généralisant une opinion qui est celle de celui qui l'émet, une opinion qui se voudrait être partagée par le peuple.

Au fond, c'est un argument d'autorité : « Je parle au nom du peuple, c'est à dire au nom de tous. » On dit toujours « les gens, les Français, etc. » Mais c'est aussi une idéologie qui cherche à opposer le peuple aux élites en démontrant qu'on bafoue les droits, la liberté d'expression. C'est une minorité. Et d'ailleurs, il y a la caricature de l'expression « les riches et les pauvres ». C'est beaucoup plus complexe que ça.

Autrement dit, il y a une double critique, celle de se faire abusivement porte-parole du peuple et celle de l'instrumentaliser contre, pour lutter contre une élite dominante. Le problème, c'est que ça repose souvent sur un ressenti de discrimination, d'inégalité. C'est comme pour le complotisme. Ça marche parce que ça part de quelque chose qui est vécu comme une série d'injustices et le populisme désigne alors les coupables et ceux du peuple, une victime dans son ensemble.

Alors comment vous expliquez la montée des populismes en Europe et la détestation croissante des institutions démocratiques ? Parce que ce n'est pas un phénomène national, c'est un phénomène européen et même mondial.

Jacqueline Costa-Lascoux : Oui, on a d'ailleurs même eu une institution, le Conseil européen des relations étrangères (un think-tank pan-européen fondé en 2007, ndlr), qui a fait la liste des partis populistes en Europe. C'est impressionnant.

Bon, on sait en France, on a avec l'extrême droite, le Front national (devenu Rassemblement national, ndlr). Depuis les années 1980, on a vu s'amplifier ce phénomène qui, au départ, apparaissait comme un phénomène protestataire et qui, progressivement, est devenu un parti organisé, constitué. Aujourd'hui, on voit apparaître à côté du Front national d'autres formes de populisme.

Le populisme, c'est l'expression d'une extrême droite, d'une extrême gauche, souvent radicale, qui s'oppose aux mécanismes institutionnels, qui prend appui sur des inégalités jugées insupportables, sur la critique légitime des élites bureaucratiques, des groupes dominants, de ceux qui ont le pouvoir, et simplement en disant que la démocratie est impuissante, que les partis actuels ne peuvent rien faire. Pire, ils seraient complices des jeux de pouvoir pour opprimer les plus vulnérables. Et la défiance à l'égard des institutions démocratiques fait le lit des populismes, c'est évident.

Bien entendu. Mais alors, est-on entré dans une période où les idées populistes ont déjà gagné la partie ? Ou, dit autrement, la raison a-t-elle démissionné de l'ensemble du champ politique ?

Jacqueline Costa-Lascoux : Ah non, les démocraties n'ont pas perdu la partie. Vous avez raison de poser cela en des termes de débat rationnel. En effet, le populisme, lui, s'appuie sur des passions, des émotions, sur un sentiment d'humiliation, d'invisibilité. Et puis avec aussi le fantasme, le rêve, je dirais, d'un changement rapide. On efface tout et on recommence, on dégage. Vous savez, ces slogans que l'on a vu apparaître de « dégagisme », avec cette idée que « on est là, on veut être reconnus », comme les Gilets jaunes qui ont voulu être visibles. Mais malheureusement, ceux qui avaient une base tout à fait compréhensible de critique sociale a pu être manipulé, et là, on voit comment le peuple, au sens noble du terme, en tant qu'entité politique qui proteste, qui revendique, devient très vite quelque chose d'assez informe dans la bouche des populistes.

Alors, ce qui est bien, c'est que non, ce n’est pas perdu. Parce que, d'abord, on est tous conscients des droits acquis. On est tous conscients des libertés que l'on a gagnées, que l'on a conquises et d'ailleurs, on observe un plafond de verre, comme on dit, qui fait que les mouvements populistes n'arrivent pas à franchir la barre de la majorité lors des élections (en France). J'espère que ça va continuer, qu'il y a eu, et j'espère que ça continuera, un front républicain. Finalement, les Berlusconi n'ont pas fait long feu. Dans les démocraties occidentales, le populisme, pour le moment, est encore maintenu et je pense qu'il le sera.

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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.

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