Points de vue

Islam : plaidoyer pour une acculturation positive

Par Djilali Elabed*

Rédigé par | Lundi 15 Avril 2013 à 00:05



Acculturation, islamophobie, patriotisme, islam français... des termes qui ont suscité de vifs débats, des critiques acerbes au mieux, des raccourcis faciles et malveillants et autres invectives au pire.

Sur ce site et ailleurs je regrette le manque de rigueur d’analyse (y compris de chercheurs en science politique) et les procès d’intention qui dénotent l’incapacité de saisir les enjeux de la présence des musulmans et de l’islam en France.

Parmi ces concepts, la notion d’acculturation, souvent mal comprise, a produit des réactions hâtives et des condamnations non fondées. De quoi s’agit-il ? L’acculturation est une notion sociologique qu’on définit comme le processus de modification de la culture d’un groupe ou d’une personne sous l’influence d’une autre culture. En ethnologie, il s’agit de l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes, et les changements qui surviennent dans les modèles culturels originaux de l’un ou des groupes concernés.

Lorsque s'entremêlent une culture majoritaire et une culture dite minoritaire, c’est alors un processus par lequel un individu apprend les modes de comportements, les modèles et les normes de façon à être accepté dans ce groupe et à y participer sans conflits.

La diversité des cultures : un principe islamique

L’acculturation apparaît donc comme la conséquence de la volonté d’adapter sa manière de vivre (valeurs, règles de comportements) à un groupe et à une culture plus vastes. Il ne s’agit pas d’un phénomène négatif lorsqu’il n’est pas la conséquence d’une politique institutionnalisée et répressive.

Bien au contraire, l’acculturation se vit au quotidien dans toutes les sociétés d’hier et d’aujourd’hui : les Berbères se sont en partie « arabisés », les Indiens « américanisés », les Arabo-Maghrébins « francisés »... Malheureusement, beaucoup de musulmans pensent que l’acculturation est un aveu de faiblesse, un manque de caractère, pire de la compromission. Cette lecture des choses est erronée à double titre : religieux et sociologique.

Au niveau religieux, cette attitude ramène à l’idée que l’islam est la religion des Arabes alors que, par définition, l’islam est universel et s’adresse à toutes les cultures du monde. Il devient donc urgent de l’épurer des éléments qui sont un obstacle pour l’intégration non seulement des musulmans mais aussi de l’islam même. C’est de notre responsabilité commune : théologiens, responsables associatifs, simples citoyens...

Cette acculturation des musulmans peut s’exprimer à différents niveaux : par exemple, le choix du prénom. Non seulement il faut cesser d’imposer un nom arabe aux convertis (une ineptie quand nous savons que l’islam est universel) mais plus encore faire le choix de prénom français pour les musulmans de naissance sans que cela suscite moquerie. Ainsi, appeler sa fille Marie, nom de la Vierge mère de Jésus − paix soit sur lui −, ne devrait poser aucun problème. Cela ne doit pas être perçu systématiquement comme étant une faiblesse mais comme une volonté réfléchie et clairvoyante de faire de l’islam une religion du pays, une religion qui ne serait progressivement plus celle de l’étranger.

D’ailleurs, aucun procès n’est fait aux Turcs qui appellent leurs enfants Mehmet (Muhammad), Kevser (Kawthar) ou encore Eva (Hawwa). Cette diversité des cultures est un principe islamique. « Et aussi Nous avons fait de vous une communauté de justes pour que vous soyez des témoins aux gens, comme le Messager sera témoin à vous » (Coran, s. 2, v. 143).

Psychologie sociale et droit

Ne pas saisir ces enjeux, c’est nous conduire vers des lendemains difficiles et une indéniable perte de temps, temps qui nous est précieux.

Prenons un autre exemple, celui du voile intégral, voici un combat que mènent avec hardeur certains musulmans, qui est néanmoins vain et inutile. Sur le plan religieux, le niqab n’est pas obligatoire pour une très large majorité des savants de l’islam, même si cette pratique peut être répandue dans certains pays musulmans. De plus, dans le contexte européen, sécularisé et où l’islam est très souvent perçu comme rétrograde, il contribue à accentuer le fossé qui existe entre les Français de confession musulmane et leurs coreligionnaires. Le niqab noir interpelle, effraie et, il faut le dire, est un non-sens sur le territoire français.

Dans ce cas, effectivement la visibilité des musulmans est nuisible. Il faut avoir le courage de le dire : le voile intégral a sans doute naturellement sa place en Arabie et au Yémen mais pas en France, comme personne ne songerait à se promener de manière impudique au centre du Caire.

Au niveau sociologique, il convient de tenir compte du contexte social, de l’Histoire et de la culture de la population du pays (des « indigènes » ou « Français de souche »). La France a une Histoire, une mémoire, des périodes glorieuses et d’autres qui le sont moins et qui ont contribué à la construction d’une identité originale. Cette psychologie sociale transcende les particularisme, transcende le droit.

Certains évoqueront le droit pour justifier leur démarche. Cependant est-il judicieux de défendre des droits qui ne correspondent à aucune obligation religieuse et qui n’aboutissent qu’à donner une image dégradée de l’islam et des musulmans et de susciter l’incompréhension et le rejet des autres composantes de la nation ? À quoi bon tenir la dragée haute à son interlocuteur au niveau du droit, si cela s’accompagne d’une méfiance et d’une suspicion plus accrues ?

Ne pas ignorer les dynamiques de l’intégration sociale

Nous devons absolument opérer une distinction entre la dimension juridique, d’une part, et la dimension culturelle et sociologique, d’autre part. On ne change pas les mentalités, on ne fait pas accepter sa différence en l’imposant, même si le droit nous est plutôt favorable, à une culture qui se sent bousculée et dans laquelle les habitants ont l’impression de perdre leurs repères.

Il faut en effet rappeler que la présence des musulmans est très récente et surtout massive, ce qui fait dire à certains Français qu’ils ne reconnaissent plus ou pas leur pays. Ce ressenti ne peut être ignoré et les musulmans doivent se comporter en conséquence. Il ne s’agit nullement d’une aliénation, mais il s'agit d’une adaptation indispensable pour préserver la cohésion sociale et intégrer l’islam dans une culture qui lui était jusqu'à présent peu familière.

Le statut de minorité n’est pas ici juridique : en effet, les citoyens de confession musulmane n’ont ni moins de droits ni plus d’obligations que les autres Français. La minorité est ici culturelle et religieuse. Croire que le statut de simple citoyen serait l’unique cadre et le seul argument pour s’affirmer dans la société, c’est ignorer totalement les mécanismes et les dynamiques de l’intégration sociale.

La prise en compte de la dimension culturelle est d’autant plus importante que les identités sont bousculées par une mondialisation facteur d’instabilité et de repli. C’est dans ce contexte qu’il est possible de comprendre − au moins partiellement − le développement d’une extrême droite se revendiquant de prétendues valeurs européennes et chrétiennes.

Cette crispation identitaire se matérialise par le rejet de ce qui peut apparaître comme étranger et comme pouvant constituer un danger pour l’identité des sociétés européennes. Ce qui est préoccupant, c’est que cette crainte est partagée par un nombre grandissant de nos concitoyens (voir les derniers sondages). Le droit ne pourra en aucun cas être une réponse suffisante, même si nécessaire, pour enrayer cette montée des inquiétudes et des crispations pouvant prendre la forme de l’islamophobie. Une des solutions est certainement l’acculturation.

Dans les faits, cette acculturation est largement en marche ; malheureusement, elle ne se fait pas toujours dans le sens souhaité : certains jeunes musulmans ne parlent plus l’arabe (et, dirions-nous, malheureusement), écoutent de la musique américaine et mangent chez McDonald's. Le comble alors est d’entendre certains polémiquer sur l’art de la table à la française en s’imaginant qu’ils sont invités à boire du vin de table ! Il s’agit d’adapter sa pratique à une culture dominante (majoritaire), pas de renoncer aux impondérables de la religion.

Après un islam en France et un islam de France, il est temps de construire un islam authentiquement français : authentique dans ses sources, authentique dans son enracinement.


* Djilali Elabed est enseignant en sciences économiques et sociales.



Djilali Elabed est enseignant en sciences économiques et sociales et spécialiste de la pensée de… En savoir plus sur cet auteur