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Points de vue

Assises nationales de la diversité culturelle : « Les mutations du religieux »

Rédigé par | Vendredi 18 Novembre 2011 à 00:01

           


Dans les années 1960, la « mort de Dieu » annoncée par les Nietzsche, Marx et autres Freud semblait au rendez-vous d’un proche futur. C’était, en tout cas, le sentiment de beaucoup dans les pays d’Europe occidentale, où on n’avait qu’une connaissance très partielle et, souvent, très condescendante de ce qui se passait dans les autres sociétés du monde.

Depuis le début des années 1980, en particulier depuis la Révolution islamique en Iran et l’effondrement de l’Union soviétique, le « retour du religieux » semble l’avoir emporté sur la mort annoncée de Dieu et des religions. Mais de quel religieux s’agit-il ?

En France comme dans le reste du monde, nous sommes en présence d’une profonde mutation du religieux, du « croire » et du « pratiquer », quelles que soient les religions concernées. Dans la France laïque, nous ne pouvons que constater une déchristianisation qui va en s’accélérant (dans les années 1970, 72 % des Français se déclaraient « catholiques » ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 42 % ; plus de 50 % de la population se définit « athée » ou « agnostique »).

En même temps, sous l’effet de la présence d’importants groupes faisant référence à l’islam et au judaïsme orthodoxes ou piétistes, les manifestations du religieux dans l’espace public deviennent permanentes. Comme si là où le christianisme a accepté de céder du terrain (l’espace public), l’islam piétiste (souvent fondamentaliste) ou le judaïsme orthodoxe se montrait capable de « prendre la place ».

Mais ce « religieux-là » est de moins en moins savant, de moins en moins construit sur l’appropriation d’un savoir longuement élaboré. Outre le besoin de remplir un vide existentiel et spirituel, il se révèle comme étant la tentative d’individus de se construire une identité. Il témoigne souvent d’un excès de ritualisme. Il permet à d’aucuns de se trouver une place dans une communauté quand ce n’est pas dans la société.

De l’activité économique et des revenus en découlent. Parfois l’engagement dans l’espace du religieux permet d’acquérir du pouvoir dans le fonctionnement de la Cité. Les dévots d’aujourd’hui – qu’il s’agisse de musulmans piétistes ou de chrétiens charismatiques ou évangéliques – prétendent pouvoir « remonter » directement aux sources mêmes de leur foi respective, et ils méprisent l’histoire et le riche mais complexe héritage que celle-ci nous a légués.

La dimension de l’expérience, du « tout tout de suite » et l’aspect identitaire se révèlent plus importants que les dimensions de connaissance et d’éthique. Et quand l’effort est fait de penser les réalités du temps, cela est accompli en utilisant les outils hérités de l’époque médiévale et en négligeant les nouvelles possibilités d’interprétation et d’approfondissement des connaissances offertes par les sciences humaines. Comme si notre univers mental n’avait pas changé depuis le Moyen Âge.

Le mélange de plus en plus important de populations originaires de tous les coins du monde aboutit à une coexistence des fois et des pratiques religieuses diverses, qui n’a jamais existé à ce point dans l’histoire de l’humanité. Les croyants ne peuvent qu’être bousculés par cette promiscuité, qui fait inévitablement surgir en eux des questionnements nouveaux. Qu’est-ce que devient la « vérité » dans un tel contexte de pluralité religieuse ? Comment puis-je croire et prétendre que je suis plus dans la vérité que mon voisin d’une autre religion ? Soit je m’isole et je l’exclus. Soit j’entre en dialogue avec lui au risque de me laisser convaincre – ne serait-ce que partiellement – par lui.

Le vivre-ensemble étant notre horizon, il devient nécessaire que les questions de la place et de l’avenir des religions dans notre société soient réfléchies non pas de manières séparées, avec le souci de chacun de « sauver les meubles », mais en commun.

La laïcité républicaine française, c’est-à-dire le pacte qui est censé favoriser la paix religieuse, ne peut être maintenue vivante que si tous participent à son existence.

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Chargé de cours à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et chercheur associé à l’Observatoire du religieux, Rachid Benzine est l'auteur, notamment, de Les Nouveaux Penseurs de l’islam (Albin Michel, 2004). Il participera aux 1res Assises nationales de la diversité culturelle organisées par Témoignage chrétien en partenariat avec Salamnews, samedi 19 novembre, à Paris. Thème de son intervention : « Quel rôle des religions et du religieux dans une société interculturelle ? ».



Rachid Benzine
Rachid Benzine, islamologue, est chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence et à la faculté... En savoir plus sur cet auteur


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