Points de vue

Gonflage médiatique du FN : à qui profite le crime ?

Rédigé par Nicolas Bourgoin | Jeudi 24 Octobre 2013 à 06:00



Le Front national (FN), bientôt le premier parti de France ? Le Nouvel Observateur pose cette question (faussement) naïve à la suite d’un sondage créditant le parti de Marine Le Pen de 24 % aux élections européennes. Si ces prévisions choc à long terme sont peu fiables, et donc dénuées d’intérêt statistique, elles font en revanche bénéficier les intéressés d’une aura médiatique qui contribue à leur victoire effective… ou pas.

Des intentions de vote volatiles

Les campagnes électorales ont par le passé largement démontré la volatilité des intentions de vote.

On sait, par exemple, que le « oui » au traité constitutionnel européen était crédité, avant la campagne électorale, de 65 % dans les sondages (score surévalué puisque ne portant que sur la fraction de la population capable d’émettre un avis sur ce sujet forcément complexe). Le score effectif (45 %) fut très en deçà de ces prévisions en dépit d’une campagne électorale (et médiatique) très majoritairement favorable au « oui ».

Plus en arrière, à 6 mois de l’élection présidentielle de 1981, François Mitterrand était crédité de 18 % seulement d’intentions de vote contre 36 % à Giscard (sondage IFOP) alors que leurs scores respectifs au premier tour seront finalement de 25,9 % et de 28,3 %. De même, en janvier 1995, 4 mois avant les présidentielles, les sondages attribuaient 29 % d’intentions de vote à Edouard Balladur contre 16 % seulement à Chirac (prévisions IFOP/SOFRES concernant les enquêtés ayant manifesté un choix) alors qu’ils obtiendront respectivement 18,6 % et 20,8 % (voir ici).

Le sondage CSA réalisé à la mi-octobre 2006 (donc à plus de 6 mois de l’élection), donnait 32% des voix à Ségolène Royal, 31% à Nicolas Sarkozy et 32% « d’abstention » (comptés à part, comme s’il s’agissait d’un candidat !). Un minimum de rigueur technique aurait voulu que l’on corrige les scores des deux favoris par le taux d’abstention…

Le taux d’abstention particulièrement élevé à Brignoles relativise d’ailleurs très nettement la victoire du FN (voir ici).

On sait que le champ journalistique manipule l’opinion publique à la fois par le choix des sujets traités et par la présentation qui en est faite. Les événements sélectionnés ne peuvent qu’être, par définition, dignes d’attention puisque bénéficiant du statut médiatique et leur mise en image ou en mots a pour elle la force brute de l’évidence.

Les études ont montré que l’intense battage médiatique sur le thème de l’insécurité de l’automne 2001, à grand renfort de faits divers dramatiques et dramatisés, a provoqué un pic du sentiment d’insécurité et contribué à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles de 2002.

Par leur travail, les journalistes contribuent aussi au classement des personnalités politiques en en plaçant certaines dans le cercle vertueux des feux médiatiques. L’ascension de ces dernières est alors amplifiée par le ralliement des indécis à l’opinion majoritaire. Ainsi, ce dernier sondage, publié entre les deux tours de l’élection cantonale de Brignoles, n’a pu que favoriser la victoire du FN dans cette élection locale par un effet de résonance médiatique, victoire qui ne peut être qu’annonciatrice d’autres succès puisque présentée par les medias dominants comme un test pour les élections législatives et présidentielles en dépit d’enjeux fort dissemblables.

Enfin, ce buzz médiatique est alimenté par la concurrence que se livrent les différents médias, aucun ne voulant être en reste pour traiter un sujet aussi racoleur donc journalistiquement rentable. Une fois de plus, le fonctionnement du champ médiatique avide de politique-spectacle aura favorisé le choix de la réaction et de la régression sociale au détriment d’une analyse approfondie des véritables enjeux politiques et pour le plus grand bénéfice de ceux qui tirent profit du statu quo économique. Les chiens de garde savent reconnaître leurs maîtres.

Nicolas Bourgoin démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire , Éditions Champ social, 2013.