Société

A la Grande Mosquée de Paris : « Nous sommes tous des chrétiens d’Orient »

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mercredi 10 Septembre 2014 à 06:00

Musulmans et chrétiens se sont rassemblés mardi 9 septembre, à la Grande Mosquée de Paris, pour dire leur solidarité aux chrétiens d’Orient. En ces temps où les chrétiens d’Irak font face à des persécutions, ils ont vigoureusement lancé leur message de fraternité. Sous le nom de « L'Appel de Paris », leur déclaration solennelle signe le début d’un long travail commun pour promouvoir la paix.



Les signataires de « L’Appel de Paris ». De g. à dr. : Abderrahmane Dahmane, président des Démocrates musulmans, Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Patrick Karam, président de la coordination « Chrétiens d'Orient en Danger » (CHREDO), et Ahmet Ogras, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF).
Les musulmans de France s’engagent pour les chrétiens d'Orient et ils tiennent à le dire haut et fort. C’était l’objectif de la conférence de presse organisée mardi 9 septembre au sein de la Grande Mosquée de Paris par Dalil Boubakeur, le recteur des lieux. L’homme, qui est également président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a choisi avec Patrick Karam, président de la coordination « Chrétiens d'Orient en danger » (CHREDO), de montrer que musulmans et chrétiens étaient solidaires pour la défense des minorités persécutées.

En collaboration avec Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans de France, leur rencontre a abouti à la rédaction de « L’Appel de Paris ». Ses initiateurs ainsi que les vice-présidents du CFCM, Anouar Kbibech et Ahmet Ogras, ont signé symboliquement devant la presse une déclaration solennelle destinée à marquer en France la fraternité interreligieuse vis-à-vis des chrétiens d'Orient. Une occasion pour le CFCM de rappeler une nouvelle fois que les musulmans rejettent massivement les actes criminels et barbares de l’Etat islamique (EI).

Des crimes contre l’humanité dénoncés

Dans « L'Appel de Paris », les actes odieux perpétrés par l’EI sont qualifiés de « pires crimes contre l’humanité ». L'incompatibilité des enseignements et valeurs de l’islam avec les actes du groupe terroriste qui se prévaut de l’islam y est martelée.

« L’islam de France condamne les actions contre les chrétiens et les minorités », assène Patrick Karam, également conseiller régional d'Île-de-France (UMP). Au Moyen-Orient, les chrétiens persécutés font face à des « gens perdus, fanatiques ou psychopathes », explique-t-il. Ce ne sont pas les « musulmans qui s’expriment », poursuit le président du CHREDO. A ses yeux, « défendre les chrétiens d’Orient, c’est aussi défendre les musulmans de France ».

L’homme rappelle plus tard dans la conférence de presse que ce « phénomène dépasse l’islam » et qu’ils ont donc choisi, lors de la rédaction de « L’Appel de Paris », de peser leurs mots pour ne pas faire d'amalgames, notamment en refusant l'usage du terme « islamique » pour désigner l’EI. Les hommes s’attaquant aux chrétiens et autres minorités y sont désignés comme des « barbares » et des « terroristes ». L’EI n’a « pas les caractéristiques d’un Etat ni la caractéristique d’islamique », tance dans ce sens Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), qui fustige « une usurpation d’identité ». « Nous sommes tous des chrétiens d’Orient », conclut-il.

Des prières du vendredi pour les chrétiens d’Orient

La formule pleine de solidarité est reprise par Ahmet Ogras, autre vice-président du CFCM et président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF). « C’est un acte symbolique, un acte de fraternité, un acte de solidarité, un acte d’humanité », salue encore Dalil Boubakeur.

Avec cette première déclaration, c’est « un travail sur le long terme qui commence aujourd’hui », promet M. Karam. Ainsi, les signataires de « L'Appel de Paris » annoncent que des prières pour les chrétiens d’Orient seront prononcées dans les mosquées de France, vendredi 12 septembre. La consigne d’une telle prière a déjà été formulée auprès de mosquées affiliées au RMF, proche du Maroc, qui dit recenser 550 mosquées. Tous les lieux de culte rattachés à une fédération composant le CFCM seront informés avant ce jour de grande prière. A la Grande Mosquée de Paris, une délégation de la CHREDO sera accueillie après le prêche.

A une autre échelle, une conférence internationale sera organisée en décembre prochain. Elle devrait réunir les grandes institutions musulmanes comme Al-Azhar, la plus haute autorité sunnite basée au Caire, ainsi que des représentants de la communauté chrétienne.

Effet grossissant du jihadisme

Dans le monde, les responsables musulmans ont déjà unanimement condamné les agissements de l’EI. En France, les associations musulmanes n’ont pas dérogé à la règle. Le CFCM a ainsi très rapidement condamné, par voie de communiqué, les exactions commises contre les chrétiens, tout comme des responsables musulmans régionaux et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF).

« L’Appel de Paris » n’est qu’une suite logique pour le CFCM dans sa dénonciation des injustices subies par les chrétiens d'Orient. Mais un paradoxe persiste aux yeux d'un journaliste du Figaro, qui rappelle que l’EI brandit l’islam pour justifier ses actes. « C’est un autre Coran que je ne connais pas. C’est un autre Prophète que je ne connais pas », lui répond Dalil Boubakeur.

Comme pour le thème de la radicalisation de Français qui décident de partir faire le « jihad » en Syrie, l’attitude des responsables musulmans est scrutée. Mais « la focalisation sur le jihadisme est à discuter. (...) Quand il y a une période de crise, il faut bien souvent des boucs émissaires. Il y a un effet grossissant de ce problème. Il faut étudier les raisons sociales et sociologiques », estime M. Boubakeur, rappelant que nombre de candidats au départ en Syrie sont des récents convertis.

La responsabilité des journalistes interrogée

Mais le sentiment que ces comportements sont liés à l’islam reste tenace dans les médias, ce que regrette le président du CFCM. « Nous vous demandons, amis de la presse, de nous aider. Aidez-nous. Aidez-nous. Un peu de calme, un peu de raison, un peu de responsabilité », assène-t-il devant un parterre de journalistes, ce mardi. Dalil Boubakeur avait besoin de lancer ce cri du cœur.

« L’information est parfois biaisée, fausse », rappelle-t-il à Saphirnews en donnant pour exemple l’information parue dans Libération affirmant que Mehdi Nemmouche prévoyait un attentat à Paris. Des révélations aussitôt démenties par les autorités. « C’est grave. Cela s’appelle de la désinformation sur l’islam. Effectivement, il y a des faits, il y a des tendances, mais ça ne s’est pas fait en un jour », dit-il.

« L'Arabie a pris une position officielle contre le terrorisme. Je vois que la Ligue arabe a pris position contre le terrorisme. Je vois que les pays occidentaux réagissent comme d’habitude, c'est-à-dire avec réflexion, avec du temps, avec des incertitudes (…). Une position qui ne peut qu’encourager les gens déterminés à faire du mal à l’Occident mais, en attendant, ils font du mal aux musulmans », estime encore Dalil Boubakeur.

Dans ce contexte, un rôle plus accru du CFCM dans la transmission de l’islam pour lutter contre le radicalisme est attendu. L’instance représentative du culte musulman en a fait l’un des points de sa « Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble », dévoilée en juin 2014.

Abderrahmane Dahmane, ancien conseiller technique à l'intégration de Nicolas Sarkozy, limogé après s'être insurgé contre le débat sur l'islam voulu par l'UMP, salue, quant à lui, le travail des associations de quartier qui, par le lien social qu’elles créent, luttent à leur manière contre le radicalisme, selon lui.

Bien que cette radicalisation dangereuse ne concerne qu'une minorité de personnes bien mal entourées ou conseillées, les responsables musulmans continueront à clamer le message de paix de l'islam, tout comme leur solidarité avec les populations persécutées au Moyen-Orient et ailleurs.

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