Société

2013, année noire de l’islamophobie en France

Rédigé par Christelle Gence et H. Ben Rhouma | Vendredi 20 Juin 2014 à 09:00

Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a rendu son rapport annuel et ses conclusions sont sans appel. Il fait état d'une explosion des actes islamophobes en 2013. Si l’année a été marquée par une meilleure prise de conscience des victimes à faire valoir leurs droits, la justice tarde à apporter une réponse forte à la hauteur des préjudices subis.



La multiplication des affaires l'avait laissé présager, le rapport annuel du CCIF l'a confirmé. En 2013, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a enregistré 691 actes islamophobes, un chiffre en augmentation de 47 % par rapport à l’année précédente. Cette « augmentation énorme, significative » est alimentée par « un climat extrêmement lourd, très hostile à l’encontre de la communauté musulmane », manifesté par une « recrudescence des discours de haine » de la part, entre autres, des politiques, a souligné Elsa Ray, chargée des relations presse du CCIF lors d'un point presse organisé jeudi 19 juin dans ses locaux de Saint-Ouen, en région parisienne.

Ces actes, pour 640 d’entre eux, concernent des individus, visés en raison de leur religion ou de leur appartenance supposée à la religion musulmane. Ce chiffre comprend 158 agressions physiques et 482 discriminations, des actes en progression de 53 % par rapport à 2012.

Le CCIF a particulièrement mis en avant, lors de la présentation de son rapport, que la très grande majorité des victimes sont des femmes (78 %) et qu’elles représentent aussi la quasi-totalité des personnes agressées. Celles qui portent le voile restent les premières cibles, comme en témoignent les agressions violentes qui se sont produites en été 2013 à Argenteuil, à Trappes ou à Reims.

Sur les 691 actes islamophobes recensés et vérifiés par le CCIF, 51 ont visé les institutions musulmanes (mosquées, lieux de prière, écoles musulmanes...), soit quasi un par semaine en moyenne. Autre fait souligné par le CCIF, 56 % des discriminations ont lieu dans des services publics (administrations, services de l’Etat, police, écoles, études supérieures).

Des victimes plus conscientes...

L’augmentation des chiffres par rapport à l'an passé s’explique par une progression des actes islamophobes. Mais ils sont aussi le résultat d’une meilleure prise de conscience des victimes à faire valoir leurs droits : elles hésitent de moins en moins à signaler les agressions dont elles font l'objet et à déposer plainte.

Selon le CCIF, le lancement, en novembre 2013, de son application mobile a contribué à l’augmentation des signalements, de même que l'ouverture d'antennes régionales qui permettent à l'association d’être au plus près des populations qu’elle défend et de mener des opérations de sensibilisation. Désormais, des signalements remontent de tout le pays, et « l’hégémonie de l’Île-de-France commence à s’estomper », précise Elsa Ray.

... face à une justice à la traîne

Cependant, « la réponse judiciaire n’est pas à la hauteur des enjeux », souligne Lila Charef, la responsable juridique du CCIF. « Sur le terrain, les enquêteurs n’accueillent pas ou ne prennent pas en charge correctement les victimes », qui sont souvent mises en cause. Dans certains cas, les forces de l’ordre se contentent de relever le numéro de la carte d'identité de l’agresseur, alors qu’un flagrant délit suppose une comparution immédiate. Les témoins présents ne sont pas convoqués.

« Compte tenu de la gravité des faits », insiste le CCIF, « les réponses judiciaires sont extrêmement timides, extrêmement faibles » et n’ont pas valeur d’exemplarité. D'autant que les actes rapportés, même s'ils sont en augmentation, ne reflètent pas l'exhaustivité du terrain. D'après une enquête de victimation réalisée par l'association entre avril 2013 et avril 2014 lors des dernières Rencontres annuelles des musulmans de France (RAMF), seules 22 % des victimes d'agressions islamophobes déclarent l'acte ou entament des démarches judiciaires.

Quels efforts déployer ?

« Les principales raisons du non-renvoi des actes sont, classiquement, le déficit d’information quant aux institutions et ONG présentes pour aider les victimes, ainsi que le manque de confiance dans la capacité des institutions à apporter une réponse satisfaisante à ces formes de préjudices », souligne-t-on. « La réalité de l’immense majorité des victimes demeure celle d’une souffrance silencieuse, isolée et sans recours accessible. »

Un des seuls points positifs de l’année 2013 soulignés est la reconnaissance par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) de l’islamophobie dans un rapport paru en avril dernier. Mais il reste encore tant à faire pour appuyer cette lutte.

Le CCIF préconise ainsi de déployer les efforts dans les années à venir dans « la prévention des discriminations par un travail d’éducation, de rappel et de sensibilisation à la question de l’islamophobie au sein des institutions et des services publics », « une remise en question du traitement politique et médiatique autour de l’islam et des musulmans », identifié par 75 % des musulmans interrogés comme étant la cause principale de l’islamophobie, ou encore « une meilleure quantification des actes, par une meilleure qualification des agents dans leur identification de la charge islamophobe des discriminations et violences ».