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Points de vue

Vingt ans après Oslo : vingt ans de colonisation

Par Denis Sieffert*

Rédigé par Denis Sieffert | Lundi 14 Octobre 2013 à 00:00

           


Pouvoir écrire chaque semaine sur les événements du monde est un privilège. Ce peut être aussi une épreuve quand il faut se relire à la lumière de l’histoire. D’où cette interrogation inquiète : il y a vingt ans, qu’ai-je dit des « Accords d’Oslo » ? N’avais-je pas été trop optimiste ? Un optimisme auquel invitait l’ambiance de l’époque. En septembre 1993, nous n’étions sans doute pas complètement débarrassés de cette propension à chercher un sens à l’Histoire. Trois ans plus tôt, le mur de Berlin s’était effondré. Deux ans plus tôt, l’apartheid avait été aboli en Afrique du sud, et en 1994, Nelson Mandela allait devenir président. Cinq ans plus tôt, la jeunesse palestinienne s’était soulevée dans un mouvement de révolte qui avait fini par gagner la sympathie du monde.

En septembre 1988, Yasser Arafat, déployant toute la séduction dont il était capable, avait souhaité un théâtral « Chana tova » à l’occasion du nouvel an juif. En novembre, à Alger, il avait proclamé symboliquement « l’établissement de l’Etat arabe de Palestine sur les terres palestiniennes ». Au mois de mai 1989, il avait été reçu à Paris comme un chef d’Etat. Si bien que, malgré la guerre du Golfe de janvier et février 1991, une logique positive semblait se dérouler inexorablement, confirmée par la prometteuse conférence de Madrid.

Pourtant, ce que j’écrivais dans Politis le 2 septembre 1993 était tout sauf enthousiaste. Il y est question de « bantoustans » et de territoires « sillonnés par des colonies de peuplement dont la protection justifiera l’omniprésence militaire », et d’un accord « lourd de toutes les crises futures ». Il est question de « l’irrédentisme du Hamas renforcé par l’intransigeance israélienne ». « Il n’y a pas d’Etat (palestinien), et il n’y en aura pas de sitôt », écrivions nous, avant de conclure que « les raisons de désespérer ne manquent pas ». Mais, paradoxalement, cette analyse ne conduisait pas à une prise de position négative. J’approuvai, sinon les Accords d’Oslo, du moins leur approbation par Arafat.

Et cela au nom d’un argument à minima : « Imagine-t-on se qui se serait dit si les Palestiniens (comprendre la direction de l’OLP) avaient refusé ? ». Une sorte de pari pascalien. Hélas, ce sont bien les craintes qui se sont vérifiées. Et au centuple. En trois circonstances au moins Israël aurait pourtant eu l’occasion de faire basculer les événements du bon côté. D’abord, en février 1994, après le massacre du tombeau des Patriarches commis contre des musulmans en prière par l’extrémiste juif Baruch Goldstein. Israël aurait pu démanteler la plus symbolique, et la plus belliqueuse des colonies, au cœur d’Hébron.

Au lieu de cela, ce sont les Palestiniens qui ont été réprimés. Puis, début 1996, au lendemain de l’assassinat d’Itzhak Rabin. Shimon Peres avait alors derrière lui une opinion majoritairement favorable pour hâter le processus de paix et ouvrir la négociation sur le statut final. Au lieu de cela, il a préféré ordonner l’assassinat d’un dirigeant du Hamas, provoquant la plus sanglante des campagnes d’attentats anti-israéliens. Puis il a choisi de se lancer dans une nouvelle aventure militaire désastreuse au Sud-Liban.

Au cours de l’été 2000 enfin, à Camp David. Le premier ministre travailliste Ehud Barak aurait pu mener une vraie négociation. Au lieu de cela, il a préféré sommer Arafat de signer une carte qu’il savait inacceptable parce qu’elle entérinait un quasi doublement du nombre des colons depuis la signature d’Oslo. S’ensuivit une campagne de dénigrement dont les mots résonnent encore à nos oreilles : « Nous n’avons plus de partenaire pour la paix. »

A cet instant sans doute, le fragile espoir qui avait pu naître des Accords de 1993 s’est-il définitivement envolé, emportant avec lui à la fois le chef historique du mouvement palestinien et la gauche israélienne. On connaît la suite : Ariel Sharon, l’opération Remparts, le mur, deux offensives militaires contre Gaza, encore une guerre au Liban, et un face à face mortifère entre une droite israélienne de plus en plus radicale et un Hamas survalorisé.

Mais, au-delà de ce que l’on pourrait appeler, avec une certaine naïveté, les « occasions manquées », il y a la réalité d’une extension coloniale qui n’a jamais cessé. C’est cette colonisation qui donne peut-être la clé d’interprétation des Accords d’Oslo. Comme si tout, finalement, n’avait été conçu que pour se donner le temps de construire les colonies qui ont fini par rendre sans objet toute négociation future. Au point, que la solution « à deux Etats » paraît aujourd’hui bien compromise, sinon déjà impossible. Bien sûr, il faut se garder de trop rationaliser l’Histoire. On ne connaîtra jamais les intentions véritables de Rabin. Et, à partir de juin 1996, Israël a été dirigé par des adversaires d’Oslo — le travailliste Ehud Barak compris. Pour se résumer, on peut dire que les Accords d’Oslo portaient en eux les ferments de leur échec. On peut dire aussi que l’Histoire n’est jamais écrite.

Même avec de mauvais accords, elle aurait peut-être pu prendre une autre direction. Si par exemple, les Etats-Unis et l’Union européenne n’avaient pas manifesté autant de partialité et de lâcheté. Aujourd’hui, le conflit est en cours de reconfiguration. La suite dépend en partie des révolutions arabes. Et il se poursuivra dans tout l’espace qui va de la Méditerranée au Jourdain. Oublions donc les Accords d’Oslo.

* Denis Sieffert, directeur et éditorialiste de l'hebdomadaire Politis. Le 13 septembre 2013 marque les 20 ans du processus d'Oslo. L'Agence Média Palestine, en partenariat avec l'Alternative information Center, a estimé que cela devrait être l'occasion d'une véritable réflexion politique non seulement sur le bilan de ces vingt longues années, mais aussi sur les différentes perspectives d'avenir que l'échec des promesses de ce processus ouvre pour la région. Plusieurs personnalités ont contribué par leurs analyses à ce petit brainstorming, publiées sur Médiapart.

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