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Politique

Retrouver le sens du politique : « A nous, religieux, de savoir prendre la parole »

Lettre de soutien aux évêques de France

Rédigé par Conseil théologique des musulmans de France (CTMF) | Mardi 1 Novembre 2016 à 18:00

           

« Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique. » Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France a fait paraître, jeudi 13 octobre, un plaidoyer à l'adresse de la société française à l'aube de l'élection présidentielle de 2017. Dans ce texte de haute importance, il s'agit pour les évêques non pas d’« alimenter la morosité par de sombres constats » mais d’« apporter résolument notre pierre, notre réflexion au débat que notre pays se doit d’avoir » (texte plus bas). Le Conseil théologique des musulmans de France (CTMF) a souhaité apporter son soutien à cette initiative au travers d'une lettre louant la parole d'apaisement des responsables catholiques, à l’heure où « la France, notre bateau commun, traverse une des périodes les plus difficiles et les plus délicates de son Histoire ».



Retrouver le sens du politique : « A nous, religieux, de savoir prendre la parole »
Le livret que vous venez de publier, intitulé « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique », est sans conteste un plaidoyer pour le vivre-ensemble, comme il n’y en a pas eu ces dernières années. Soyez-en remerciés, au nom de Dieu, de Ses Créatures, croyantes et non croyantes, et de la France, notre bien commun à tous. Le ton solennel que vous y employez correspond bien à la gravité de la situation et au climat de tension qui prévaut dans le pays et dans le monde aujourd’hui.

Nous souhaitons donc, en tant qu’institution religieuse musulmane française, apporter tout notre soutien à cette initiative qui, incontestablement, tombe à pic : la France, notre bateau commun, traverse une des périodes les plus difficiles et les plus délicates de son Histoire.

Les peurs les plus profondes, les incertitudes les plus criantes et les vicissitudes de la vie de plus en plus insaisissables font que les franges les plus fragiles de notre société, mais pas seulement, sont de plus en plus tentées par le repli sur soi, la méfiance et, par ricochet, le rejet de l’autre qui n’est autre que notre prolongation, comme nous l’enseignent nos traditions religieuses respectives. La violence du monde actuel y est, c’est établi, pour beaucoup. En effet, les différents conflits dans le monde, qui ne sont plus circonscrits dans un espace géographique précis, mais s’exportent – triste et macabre commerce – jusque dans les contrées les plus lointaines, créent de la méfiance, installent le soupçon et poussent à douter des intentions des voisins, voire des plus proches parents. Et ce n’est pas la France, victime à cinq reprises d’attentats terroristes d’une violence inouïe, plus de 250 morts, en moins de deux ans, et des centaines de blessés, qui fera figure d’exception dans cet océan de malheurs.

Ces sentiments et cet état d’esprit, de fait, ne doivent nullement être balayés d’un revers de main. Ce serait une erreur fatale, un écueil gravissime dans lequel vous n’êtes pas tombés. D’autant plus que certains jouent à les attiser à des fins, semble-t-il, purement électoralistes. Une écoute active, couplée d’une parole d’apaisement, s’imposait. Et c’est ce que vous avez su faire, avec intelligence et responsabilité, à travers votre livret.

L'unité pour remporter la guerre de la vie contre la mort

Plus que jamais, notre pays a besoin de magnifier l’unité de ses enfants pour faire face à cette adversité meurtrière et mortifère qui vole la vie à notre jeunesse et fait prévariquer certains de nos responsables politiques.

Vous avez eu raison de faire comprendre que jamais nous ne pouvons remporter la guerre de la vie contre la mort, de l’amour contre la haine en nous divisant. Rappeler cette réalité, pourtant si triviale, en ces temps troubles, est une obligation qui incombe autant aux femmes et aux hommes de foi que nous sommes qu’à toutes les consciences susceptibles d’être entendues par les autres.

La vie est faite d’éléments antinomiques, la présence de l’un étant synonyme d’absence pour l’autre. Division et union, amour et haine sont de cet acabit dichotomique. Ne nous y trompons pas. Notre pays ne peut se remettre des assassinats lâches et inhumains de nos concitoyens en prenant pour boucs émissaires les musulmans français.

Raison pour laquelle, nous vous exprimons avec la plus grande sincérité et avec émotion notre gratitude quant aux positions fermes et courageuses que vous avez prises dans votre écrit contre la stigmatisation de vos concitoyens de confession musulmane. Notre amour pour notre patrie exige de notre part, à nous, religieux, de savoir prendre la parole pour nommer les choses par leurs noms et proposer ce que nous pensons être un remède aux maux qui frappent notre société.

Retrouver le sens du politique : « A nous, religieux, de savoir prendre la parole »
Aujourd’hui, les statistiques semblent indiquer une baisse sensible des actes antimusulmans déclarés dans notre pays. Ce serait la victoire de la conjugaison des efforts des gens de bonne volonté, comme vous, et d’autres hommes et femmes soucieux du devenir de notre pays et de ses idéaux.

La responsabilité, l’amitié, la retenue et l’humanité dont vous avez su faire montre quand le père Hammel a été injustement et lâchement assassiné ont honoré l’institution ecclésiastique française, dans son ensemble. Mieux que cela, elles ont envoyé un message clair au monde et aux assassins qui pensent faire vaciller notre peuple : ils ne parviendront pas à nous diviser.

Mais, du vivre-ensemble, nous devons passer au faire-ensemble. La participation massive des Français musulmans aux différentes messes organisées partout en France à la mémoire de ce prélat, martyre d’une sauvagerie abominable, qui tue indistinctement, a été un premier pas qui doit être encouragé et continué. Cassons définitivement les cloisons qui nous séparent. Nos dogmes sont certes différents, mais il y a tellement de points qui nous unissent qu’il suffirait d’en mettre quelques-uns en application pour triompher définitivement des oppositions que souvent l’histoire des hommes a mises entre nous pour nous opposer.

Magnifier la miséricorde, la paix et la fraternité

Pour cela, nous devons magnifier la miséricorde, la paix, la fraternité, les chanter, les enseigner, les vivre, y appeler constamment. La paix et la sécurité ne sont jamais définitivement acquises. Ce sont des objectifs qui ne peuvent jamais entièrement s’atteindre sur terre, car, bien qu’ayant une part du bien en lui, l’homme fait souvent usage de la part du mal qui l’habite. Le combat pour la paix, le vivre-ensemble et la fraternité est de tous les instants.

D’autant que les menaces se multiplient de jour en jour dans notre monde villagisé. La crise syrienne montre combien certains humains par leur incurie et d’autres par leur sauvagerie manquent d’humanité. Que dire du traitement des migrants, dont on parle, parfois, avec les mots les plus désobligeants ? L’homme est un éternel voyageur, faut-il le rappeler ? Parfois, il voyage de son gré, parfois, voire souvent hélas, contre sa volonté. Pour sauver sa vie ou pour la gagner, il peut se trouver contraint de quitter, non sans regrets, sa patrie, sa demeure, les siens, bravant les dangers les plus graves.

La Bible, la Torah et le Coran, comme toutes les morales du monde, ont toujours enseigné de prendre en charge celui que les saintes Écritures musulmanes appellent le « fils du chemin », le voyageur, l’exilé, le refoulé. Ne perdons pas la face en en faisant un numéro. Quand l’édile d’une grande commune de notre pays fait placarder des panneaux dans sa ville avertissant de l’invasion des migrants, leur collant tous les sobriquets les plus nauséabonds, toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient de foi ou non, doivent se sentir touchés dans leur for intérieur et surtout se rendre compte que, au lieu de baisser les bras, c’est le moment de retrousser leurs manches et de mobiliser leur intellect pour résister à cette idéologie de haine qui gagne insidieusement les plus fragiles parmi les nôtres.

Quiconque suit avec attention les déclarations belliqueuses des états-majors russes et américains, ces dernières semaines, sait que nous sommes probablement à la veille d’un conflit militaire mondial sans précédent. Nous devons tous prendre notre bâton de pèlerin pour promouvoir la paix. Refusons la fatalité de la guerre et des dictatures et exaltons la culture de la justice, du partage et de la fraternité.

La tâche est ardue, tant les ménestrels de la division, de la stigmatisation et du rejet de l’autre sont nombreux. Une seule main ne peut jamais applaudir. Nous devons conjuguer nos efforts pour unir ceux qu’ils veulent désunir, rassurer ceux qu’ils veulent ahurir, mettre de la complexité là où ils veulent imposer la culture du simplisme.

Retrouver le sens du politique : « A nous, religieux, de savoir prendre la parole »

Veillons à ce que la laïcité ne soit ni transformée ni défigurée

Les musulmans de France, convaincus de l’urgence de la situation, sont prêts à se joindre à toute initiative qui ira dans ce sens.

Par ailleurs, comme vous le savez, la laïcité, ce patrimoine commun à tous les Français, a été conçue et mise en place non seulement pour que personne ne soit au-dessus des lois de la République, mais aussi et surtout pour qu’aucun citoyen ne soit victime d’ostracisme ni de traitement différencié en raison de ses croyances ou de son idéologie. Elle est venue, vous le savez mieux que quiconque, mettre un terme à un océan d’injustices et à des siècles de guerres qui ont endeuillé et entaché notre pays et son Histoire. Elle n’a jamais eu vocation à lutter contre les religions ni à régenter la manière de s’accoutrer des Français. Aujourd’hui, elle est invoquée tantôt pour ceci, tantôt pour cela, loin des nobles desseins susdits.

La vigilance et l’engagement contre la déformation et la transformation de ce patrimoine, que nous nous devons de protéger, en un instrument anti-religion s’imposent à toutes les bonnes volontés, qu’elles soient ou non croyantes. La laïcité est trop chère à notre pays pour la laisser devenir un enjeu électoral comme un autre. Veillons à ce qu’elle ne soit ni transformée ni défigurée. Ce serait un coup fatal porté à la stabilité et au vivre-ensemble.

Nous avons devant nous, vous en conviendrez, un énorme chantier qui consistera, comme toujours, à chercher à réconcilier les cœurs et les esprits. Votre écrit est un très grand pas vers cette auguste mission, c’est indéniable. Mais il serait naïf de notre part de penser que tout seul il peut avoir raison de cette hécatombe morale et philosophique. Jetons les bases des états généraux du vivre-ensemble hic et nunc. Nous ne pouvons plus attendre.

Pour en savoir plus sur le contenu du livret « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique »




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