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Religions

Le Conseil théologique musulman de France, entre réalités et défis

Rédigé par | Vendredi 29 Mai 2015 à 21:55

           


Le Conseil théologique musulman de France (CTMF) a été lancé lundi 25 mai. Une trentaine de membres au bureau exécutif et au conseil d'administratif compose cette nouvelle instance. © Malik Akiana
Le Conseil théologique musulman de France (CTMF) a été lancé lundi 25 mai. Une trentaine de membres au bureau exécutif et au conseil d'administratif compose cette nouvelle instance. © Malik Akiana
Ces derniers mois, la réflexion sur l’émergence d’un conseil théologique à destination des musulmans de France se faisait à haute voix. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) avait émis le souhait d’en être le pilote… En mars, le président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) de Bretagne Mohamed Zaïdouni plaidait même à l’Assemblée nationale pour un conseil religieux capable de développer des avis adaptés au contexte français. Depuis, rien à l’horizon. Ce sera sans lui. La création d’un Conseil théologique musulman de France (CTMF) a été actée lundi 25 mai à l’occasion d’une réunion de lancement organisée dans la discrétion à Bobigny, en région parisienne.

En présence d’une quarantaine de théologiens, d’imams et d’acteurs de terrain venus des quatre coins de France, les initiateurs du projet ont présenté un organe qui, selon le communiqué final, « s’est fixé comme principal objectif d’aider les musulmans français à vivre pleinement à la fois leur citoyenneté française et leur religion, à travers essentiellement la consécration du recours aux positions médianes, dans la pratique et le rapport aux autres » ; ils appellent également « l’ensemble des musulmans français à travailler avec ce Conseil et à l’accompagner dans la recherche et la réalisation de l’intérêt des musulmans de France ».

La représentation des musulmans non souhaitée

« Aujourd’hui, il n’y a pas d’instance religieuse qui peut parler à tous les musulmans au-delà des différentes structures existantes. Nous avons le CFCM qui devrait assurer une représentation plutôt administrative mais qui n’a jamais assuré le travail théologique et d’orientation religieuse. Nous avons aussi les fédérations qui ont chacune son comité théologique comme Dar al-Fatwa au sein de l’UOIF mais, jusqu’à présent, les musulmans de France n’ont pas une instance indépendante de toute fédération », constate auprès de Saphirnews Ahmed Jaballah, directeur de l’Institut européen de sciences humaines (IESH) de Paris et membre du CTMF, en marge de la réunion inaugurale.

« On ne dépend pas d’une structure administrative officielle », assure-t-il. « Nous pensons que les musulmans de France ont besoin de cette voix qui peut les orienter, les éclairer face aux grandes questions qui se posent à eux ».

Le Conseil se veut « indépendant de toutes les organisations et institutions musulmanes existantes. (…) Il n’a pas vocation à représenter les musulmans de France et ne compte le disputer à personne ». Alors si une grande partie des membres du CTMF* sont membres ou proches de l’UOIF, « chacun adhère en son nom propre », affirme Mohammed Najah, imam à la mosquée de Vigneux-sur-Seine (Essonne). Interrogé sur le CFCM, Tareq Oubrou, membre fondateur de la CTMF, nous déclare que l’instance n’est pas dans une logique de « compétition parce qu'on est dans un répertoire de théologie. La vocation du Conseil est non pas d'être un syndicat qui va défendre les musulmans mais un organe qui tentera de les éclairer ».

Tareq Oubrou au CTMF. © Malik Akiana
Tareq Oubrou au CTMF. © Malik Akiana

Une « vision du juste milieu »

« La grande majorité des musulmans de France s’inscrit dans une vision de juste milieu et de modération, au-delà des tendances qui peuvent exister et nous voulons que ce Conseil soit dans cet esprit-là », fait part Ahmed Jaballah, qui évoque trois conditions pour être membre du CTMF.

Répondre d’une « vision du juste milieu » - terme générique qui peut tout autant être repris parmi leurs détracteurs -, c’est aussi, pour Tareq Oubrou, de ne pas d’inscrire dans « des lectures inégalitaires entre les hommes et les femmes » ; pour le directeur de l’IESH, d’être « prêts à jouer le jeu démocratique ». « La fatwa ne sera qu’une partie de notre travail. (…) Nous allons très certainement diverger sur certaines questions mais la règle qui a été établie est qu’on doit prendre les décisions à la majorité. Les personnes, quelles que soient leurs positions, devront l’accepter », appuie-t-il.

« Il ne s'agit pas de cloner les avis, chaque personne a ses convictions mais nous devons graviter sur l'essentiel des pratiques de l'islam à un moment sensible de l'Histoire de France où il n’y a plus de repères pour les musulmans qui veulent pratiquer leur religion », et le CTMF, pour le recteur de la mosquée de Bordeaux, est « un essai de réponse à travers cet organe afin de mettre un peu d'ordre dans les pratiques et dans les réponses à des questions sur la violence, sur la femme… qui sont incomprises, mal expliquées. On a besoin de beaucoup de pédagogie et également de courage parce que nous gérons un pluralisme qui traverse notre communauté ».

« Orienter », « éclairer »… des mots qui reviennent souvent dans les discours entendus à l’inauguration du CTMF. « C'est l'ambition initiale de ce Conseil. Maintenant, la question qui se pose est : serons-nous à la hauteur de cet objectif ? Tout dépend des moyens, bien sûr, et de notre intelligence qu’on va avoir pour répondre au défi », indique Tareq Oubrou.

Le Ramadan, trait d’union ou de rupture ?

Première décision symbolique : l’adoption du calendrier lunaire sur la base des calculs astronomiques, signifiant ainsi que, sans attendre la « Nuit du doute », les dates du Ramadan 2015 sont actées pour le CTMF. « C’est un avis auquel on va appeler la communauté, tout en tolérant les autres (avis). On a des convictions, on va les défendre avec force mais on n’est pas un organisme coercitif, nous n'avons aucun pouvoir d’imposer », nous indique, pour sa part, Tareq Oubrou.

Pour lui, « il faut être courageux et essayer de créer un consensus autour des grandes questions telles que le début et la fin du mois de Ramadan, et de donner une vision assez moderne de l'islam ». Le Ramadan, mais pas que : « les questions de violence, du jihad, des inégalités hommes-femmes, du salafisme... il faut donner des réponses à cela. »

La veille, un collectif composé de prédicateurs proches de la tendance salafiste, a appelé à « l’union autour de la vision » oculaire. L’unité générale n’est pas pour demain.

La communication, un défi de taille

La communication, les participants à la réunion sont unanimes : elle est primordiale. « Il faut que le Conseil marche avec son temps et être à la pointe de l’information », juge Mohamed Bajrafil. La réunion s’est néanmoins faite en intégralité en arabe. Si le CTMF dit ne pas vouloir tomber dans les écueils du Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR) – la communication de ce dernier se fait essentiellement en arabe plutôt qu’en anglais ou en français –, la maîtrise du Web et des réseaux sociaux, devenus un facteur d’influence, est, pour lui, encore un challenge. Un enjeu auquel l'imam d'Ivry-sur-Seine est particulièrement conscient : « Il faut contrer l’islam de la forme. On rate tout si on ne passe pas par Cheikh Google ! »

La balbutiante structure, dont les statuts ne sont pas définitivement adoptés, saura-t-elle faire sa place auprès des musulmans ? « On ne prétend pas être LA référence mais nous voulons en construire une qui va l’être à la fois pour une majorité de musulmans et ceux qui s’intéressent au fait musulman en France », dit Ahmed Jaballah. Le chantier est ouvert, tout reste à faire pour acquérir une légitimité la plus large possible auprès des fidèles de l'islam.




Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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