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Points de vue

On est là, le cri d'alarme des jeunes musulmans

#OnEstLà, un appel de Belgique

Rédigé par Collectif #OnEstLà | Lundi 23 Novembre 2015 à 09:00

           

« Nous, citoyens belges de confession musulmane, faisons partie de la solution. » C'est le cri d'alarme de jeunes musulmans en Belgique après les attentats du 13 novembre qui signent cet appel qui paraît ce jour sur Saphirnews.



Daesh est devenu un problème de politique et de sécurité intérieures, avec des implications directes situées au cœur de la capitale belge et européenne. Face à ce drame, nous voulons d’abord adresser nos condoléances aux familles et aux proches des victimes. Face à ce drame, nous voulons réitérer notre ferme condamnation d’actes inqualifiables qu’aucune idéologie, aucune religion, aucune cause ne peut justifier. Les réponses ne peuvent plus être uniquement axées sur un discours de politique sécuritaire qui nous montre ses limites.

Aujourd’hui, la Belgique a besoin d’un plan national d’alliance sociale contre la haine. Toutes les haines. Nous devons faire de la résolution de ce problème une cause nationale. Faire bouger les lignes nécessite bien plus qu’une minute de courage politique. Nous avons plus que jamais besoin de femmes et d’hommes politiques qui accepteront de mettre en place un changement drastique dans notre rapport à la diversité, dans notre façon de partager les ressources disponibles entre tous les citoyens. Nous avons besoin de responsables qui ont conscience qu’une politique juste doit être appliquée même si elle s’avère impopulaire et à risque pour leur carrière. L’avenir de nos sociétés mérite mieux que le court-termisme, les effets d’annonce et les déclarations incantatoires qui visent uniquement à rassurer le téléspectateur.

Dans ce contexte, le monde politique et les services de sécurité ne sont pas seuls. Ils peuvent et doivent compter sur les acteurs des différentes communautés de notre société, les mondes de l’éducation, de l’entreprise, des arts et de la culture. Ils peuvent et doivent également compter sur les citoyens belges de confession musulmane. Parmi eux, de nombreuses voix s’élèvent depuis des années, refusant une société ségréguée, une société qui a mal à sa diversité qu’elle n’arrive pas à assumer.

Les efforts de sensibilisation et de mobilisation communautaire se sont accrus depuis les attentats de janvier. Pourtant, ils restent, dans bien des cas, inaudibles. A quelques exceptions près, ils sont entendus mais pas nécessairement écoutés; ils sont reçus, mais seulement intercalés entre deux rendez-vous plus importants, voire de façon officieuse. Nous n’avons de cesse d’aider à décrypter la situation, d’évaluer les pistes d’actions, de faire des recommandations et des propositions en vue de faire décroître le risque de radicalisation.

Mais tout ceci atteint inévitablement ses limites tant que les communautés musulmanes ne sont pas associées étroitement aux solutions. Que la société le veuille ou non, les citoyens belges de confession musulmane font totalement partie de la solution. Et ils n’ont de cesse de dire leur disponibilité et leur volonté de faire bouger les lignes. Soyons donc tous partenaires du changement en osant le pari de la confiance réciproque pour ne plus élaborer des mesures contre nous ou pour nous, mais avec nous.

« Faire-ensemble »

Deux axes de travail sont aujourd’hui prioritaires.

1) Eradiquer les sources socio-économiques de la radicalisation. Les personnes approchées par les réseaux de recrutement de Daesh sont, en général, en rupture identitaire avec la société. Questionner leur capacité à s’intégrer revient à poser le problème à l’envers. Il faut aussi considérer la capacité de notre société à intégrer alors qu’elle persiste à renvoyer leur altérité à la face des personnes issues de la diversité. Nous devons reconnaître que les politiques mises en place depuis dix ans en matière d’égalité des chances peinent à niveler le niveau vers haut.

L’ethnostratification commence dès la maternelle. Elle se poursuit au cours de la scolarité et touche son paroxysme aux portes de l’entreprise. A force d’avoir envoyé des centaines de CV, de s’entendre dire qu’il faut de l’expérience, qu’il manquerait telle ou telle compétence, les jeunes issus dela communauté musulmane tombent dans l’autocensure. Et cela en fait des proies idéales pour des recruteurs d’un autre genre. Pas de ceux qui offrent un emploi et des perspectives d’avenir mais bien de ceux qui offrent un job à court terme, semant la mort et la désolation.

D’aucuns crieront certainement à la victimisation afin de botter en touche sur les questions qui fâchent à propos de l’inclusion socio-économique. Pourtant, ils savent mieux que quiconque que tout ceci est largement documenté, notamment via le monitoring socio-économique. Le manque d’inclusion suffit à créer les conditions d’une frustration susceptible d’être exploitée par Daesh.

2) Promouvoir un islam d’ici. D’importants chantiers s’ouvrent aux communautés musulmanes. Celles-ci ne pourront faire l’économie d’un débat en vue de réformer l’Islam pour le sortir de ces grilles de lecture qui les cloisonnent doublement. D’une part, entre elles et, d’autre part, vis-à-vis du reste de la société. Il faut refuser l’idée même qu’une religion soit (ab)usée au point d’en faire un prétexte de séparation entre populations. L’islam a pour vocation de libérer l’homme et de le rapprocher de ses semblables, quelles que soient leurs convictions et leurs choix de vie.

Notre principal défi est de développer une lecture de nos textes loin de toute ingérence étrangère. Cette évolution de la théologie doit s’atteler à faire évoluer les positions sur des thématiques essentielles telles que l’égalité homme/femme, la lutte contre toutes les formes de discrimination et de haine, la pluralité des opinions philosophiques et religieuses, la participation politique ainsi que notre responsabilité individuelle et collective en matière de développement économique, culturel et social.

Il faudra faire preuve d’encore plus d’ouverture. Ceci impliquera de faire avancer le dossier de la formation des imams qui dans bien des cas, sont mal préparés à accompagner le cheminement de nos jeunes. Nos imams et leaders communautaires doivent abandonner les postures purement théoriques et dichotomiques et les encourager à devenir des citoyens utiles pour eux-mêmes et pour la société. Ils doivent devenir des agents de cohésion sociale, des facilitateurs de "faire-ensemble". Ouvrons les mosquées aux jeunes et aux femmes. Trop souvent, ils manquent dans la gestion des lieux de culte privant ainsi les communautés musulmanes d’idées et de sensibilités nouvelles.

Il faudra enfin questionner à nouveau le rôle des institutions représentatives des musulmans dont la marge de manœuvre limitée et leur absence dans les débats de société ne contribuent pas à en faire des acteurs positifs pour le changement. Nous devons réconcilier foi et citoyenneté active si jamais ces deux notions avaient été opposées l’une vis-à-vis de l’autre. Pour résoudre tous ces défis auxquels ne font pas face les seuls musulmans, mais l’ensemble de la société, #OnEstLà.

Les signataires

Taoufik Amzile (économie), Michael Privot (islamologie), Hajib El Hajjaji (lutte contre l'islamophobie), Zaki Chairi (jeunesse), Ismael Saidi (culture et arts), Malika Hamidi (sociologie), Zehra Gunaydin (santé), Rachida Aziz (mode), Saida Isbai (syndicalisme), Hafida Hammouti (enseignante de religion islamique), Dyab Abou Jahjah (auteur/chroniqueur), Khaddija Haourigi (travail social), Tewfik Sahih (politiques de l’emploi), Leila Ben Allal (journalisme)





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