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Points de vue

Meurtre de Jo Cox : un terrorisme qui ne dit pas son nom dans les médias

Rédigé par Alain Gabon | Samedi 2 Juillet 2016 à 00:09

           


Meurtre de Jo Cox : un terrorisme qui ne dit pas son nom dans les médias
La couverture du meurtre de la députée Jo Cox commis par un membre de l’extrême droite nationaliste aux sympathies néonazies avérées qu'en ont fait les médias, la classe politique et la caste des pseudo-intellectuels et sous-penseurs de plateaux télévisés montre à l'évidence leur deux poids-deux mesures et prouve une nouvelle fois leur islamophobie latente.

En effet, outre la minceur de la couverture médiatique dédiée à cette affaire, pourtant gravissime et proche de nous, alors que tous se précipitèrent sans preuve aucune sur « l’hypothèse jihadiste » lors de la disparition du vol Egyptair Paris-Le Caire en mai dernier (hypothèse désormais écartée), alors que tous sans exception qualifièrent immédiatement Omar Mateen (le tueur de la discothèque gay d’Orlando) et Larossi Abdalla (le meurtrier du couple de policiers de Magnanville) de « terroristes » (ce qu’ils sont) en s’empressant de présenter ces deux tragédies comme des « attentats islamistes », dans le cas de Jo Cox, bizarrement, personne n’utilisa le mot en T.

Ni les médias ni les politiciens ni les intellectuels, pourtant d’habitude si bavards sur ce sujet, ne parlèrent de « terrorisme nationaliste d’extrême droite » même après que le meurtrier eut avoué sa motivation politique.

Un silence hypocrite

« C dans l’air » accomplit même l’exploit d’intituler son émission « Jo Cox : morte pour l’Europe », sans prononcer une seule fois en plus d’une heure le mot « terrorisme », ou « terroriste », ou même « attentat », alors que l’intitulé même de l’émission signifiait bien que la motivation du meurtre était politique et qu’il s’agissait donc d’un attentat terroriste de type extrême droite nationaliste.

Inutile de préciser, les Finkielkraut, Zemmour, Bruckner ou Rioufol, qui d’habitude se jettent comme une meute sur ce lexique pour dénoncer « l’islamisme », « l’islam radical », voire l’islam simplement « politique », chaque fois qu’un musulman est impliqué, brillèrent, eux aussi, par leur silence.

Tout comme nos politiciens, qui, de Manuel Valls à Eric Ciotti et à Marine le Pen, sont pourtant en permanence obsédés par la « menace terroriste », mais qui curieusement ne voient dans le cas de Jo Cox jusqu’au jour d’aujourd’hui aucun signe de « terrorisme » ni même de « radicalisation nationaliste ».

Ce silence hypocrite, ce refus forcément conscient, choisi et délibéré d’utiliser le mot « terrorisme » dans le cas de Jo Cox est compréhensible : l’une des raisons en est que nombre de ces individus, intellectuels et leaders de partis propagent eux-mêmes l’idéologie nationaliste, anti-immigration et racialiste qui est celle du tueur de Jo Cox.

Le dénoncer comme « terroriste nationaliste », et à fortiori relier cet attentat à l’idéologie radicale plus large qui est en fait essentiellement la leur, reviendrait donc à se pointer du doigt eux-mêmes comme en partie responsables (à travers leur discours, leur rhétorique, leurs éléments de langage, leurs programmes, etc.).

Un flagrant et révélateur deux poids deux mesures

Jusqu’à aujourd’hui, on continue donc à parler d’« homicide », à mentionner les « sympathies politiques » du « meurtrier » Thomas Nair, mais jamais il n’est qualifié, lui, de « terroriste », et encore moins relié à sa famille politique (l’extrême droite nationaliste), comme on le fait pourtant systématiquement avec « l’islamisme ». Soudain, il n’y a plus de responsabilité collective. On ne somme pas les partis, groupes, sympathisants et leaders nationalistes souverainistes de cette mouvance de « dénoncer » ce crime, de « faire entendre leurs voix », comme on le fait avec tous les musulmans à chaque attentat dit « djihadiste ».

Nous avions relevé ce flagrant et révélateur deux poids deux mesures à propos d’autres cas récents comme ceux d’Anders Breivik et de Dylan Roof.

Thomas Nair, qui est bien un terroriste nationaliste d’extrême droite dont l’idéologie est fortement similaire à celle des Le Pen et de Zemmour, confirme une fois encore que, pour nos médias, intellectuels et politiques, seuls les musulmans peuvent être des « terroristes », et sont susceptibles d’être nommés comme tels.

L’utilisation hautement sélective de ce mot, désormais exclusivement réservé à un type de terrorisme et un seul (celui d’inspiration « islamiste ») révèle ainsi sa nature manipulatrice, politisée et islamophobe.

Le « terrorisme » ? Chez nous, c’est « une fois tu le vois » (quand il est commis par un Arabe ou un musulman comme Mateen, Abdalla ou les Kouachi), « une fois tu ne le vois plus » (quand il est commis par un Blanc occidental de droite ou de gauche comme Breivik, Roof ou Nair).

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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.






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