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Points de vue

Le succès ultime d’Israël pourrait bien signer la fin de son régime colonial

Par Omar Barghouti*

Rédigé par Omar Barghouti | Samedi 12 Octobre 2013 à 06:00

           


Alors que de nombreux analystes font aujourd’hui référence aux accords d’Oslo, signés il y a 20 ans par Israël et l’OLP, comme à un échec total, de mon côté je les vois plutôt comme un grand succès, mais seulement pour l’oppresseur, Israël. Oslo a en fait, atteint nombre des objectifs pour lesquels il a été conçu par ses auteurs israéliens.

En premier lieu, il a permis d’éliminer ou pour le moins de saper gravement la légitimité du mouvement de libération national palestinien en cooptant un de ses éléments clé, et en en faisant l'outil le plus efficace et stratégique d’Israël, pour neutraliser la résistance palestinienne dans le cadre de son système d’oppression sophistiqué. Il a ainsi permis à Israël de se blanchir des violations des droits de palestiniens tels que définis par le droit international. Israël a utilisé avec efficacité la façade de « négociations de paix » d’Oslo pour couvrir son impitoyable stratégie de dépossession et de nettoyage ethnique d’un nombre croissant de Palestiniens de leur terre ancestrale.

Au lieu de conduire à une paix juste en accord avec le droit international, Oslo a fourni la couverture nécessaire à Israël lui permettant de brutaliser de façon continue les Palestiniens - et d'autres Arabes - tout en satisfaisant son insatiable appétit de construction de colonies réservées aux juifs dans les territoires occupés, aussi bien qu'à l'intérieur du territoire de 1948, comme autant de zones « Arabrein ».

Les Accords d’Oslo n’ont pas seulement complètement omis toute référence au droit international et aux droits de l’Homme, ils ont ignorés les droits les plus importants et inaliénables du peuple palestinien, en particulier le droit à l’auto-détermination et le droit des réfugiés à rentrer dans leurs maisons et sur leurs terres, desquelles ils sont été déracinés de force par les milices sionistes, et plus tard par l’Etat d’Israël, pendant la Nakba (la catastrophe) de 1947-49. Les réfugiés palestiniens, qu’ils se trouvent en Palestine historique ou dans la shatat (la diaspora), constituent une absolue majorité du peuple palestinien – plus des deux tiers selon les estimations de 2012 du Bureau Central Palestinien des Statistiques, ainsi que l’enquête de 2010-2012 réalisée par l'association Badil sur les réfugiés palestiniens et les personnes déplacés à l’intérieur du territoire de la Palestine historique.

Le fait que les réfugiés forment une majorité absolue du peuple palestinien et leur souffrance de plusieurs décennies en exil, font de la reconnaissance des droits fondamentaux des réfugiés palestiniens tels que sanctionnés par les Nations Unies le test incontournable de la moralité pour quiconque recherche une solution juste et durable au conflit colonial israélo-palestinien en accord avec le droit international.

Mettons de côté les droits moraux et légaux, la négation des droits des réfugiés palestiniens assure la perpétuation du conflit. Il n'est donc pas étonnant qu’Oslo, bien loin d’encourager une solution juste et non violente du conflit colonial, n'a fait qu'encourager le régime israélien à poursuivre son agression, ses guerres sans fin et ses atrocités à l’encontre des Palestiniens, des Libanais et d' autres Arabes, et cela en toute impunité. Oslo a aussi ignoré le droit fondamental des Palestiniens citoyens d’Israël à l’égalité totale, le droit le plus important en droit international, en effaçant de fait ces Palestiniens de la définition même du « peuple palestinien » utilisé dans les Accords.

Oslo, « le Versailles palestinien » ainsi que l’a appelé Edward Saïd, a permis à Israël de jouir d’une reconnaissance diplomatique sans précédent et, par conséquent d’un essor économique. Les « dividendes de la paix » ont rendu florissante l'économie d'Israël depuis 1993 , avec un PIB par habitant qui est passé d’environ 13 800 dollars à plus de 32 000 dollars. Durant la même période, dans les territoires occupés de Cisjordanie, le PIB par habitant est à peu près resté le même, autour de 2 000 dollars, et celui de Gaza rongée par la misère a baissé de 1 230 dollars à 1 074 dollars.

Dans la même période, Israël a également démultiplié sa reconnaissance internationale qui a atteint environ 160 pays, récoltant ainsi bien plus de bénéfices commerciaux que l’économie palestinienne captive et dépendante de l’aide extérieure.

En Cisjordanie occupée, une Autorité Palestinienne largement asservie, dépourvue de tout mandat démocratique valide, a principalement agi en sous-traitant de l’occupation israélienne, au service de ses besoins en matière de « sécurité », en la libérant de ses obligations de gestion pour la population occupée,des services municipaux, d' éducation, de santé, d'hygiène publique et autres dans la plupart des territoires occupés. Grâce aux accords d’Oslo, le financement de l'occupation Israélienne a été pris en charge, à travers l’Autorité Palestinienne, par l’UE, les États Unis et d’autres pays, ce qui en fait probablement l’occupation la moins chère des temps modernes.

Tous ces dividendes d’Oslo mis à part, en dévorant plus qu’il ne peut avaler, et en oubliant comment s’arrêter, Israël a peut-être involontairement donné un coup fatal à son projet colonial. Cependant, il lui faudra du temps avant de pouvoir entièrement ressentir et reconnaître l'érosion . Israël a sapé la possibilité d’établir un État palestinien souverain, enterrant ainsi, la soi disant solution à deux États, uniquement destinée à légitimer son règne colonial avec un tampon palestinien d’approbation.

Au sommet de son succès économique et diplomatique, Israël est en train de devenir rapidement le paria du monde, au niveau populaire, tout comme l’était l’Afrique du Sud sous l’Apartheid.

Cela fait vingt ans que la direction palestinienne sert officiellement de feuille de vigne à l'occupation, et cela doit prendre fin. Cela fait vingt ans que la communauté internationale se fait complice du régime d'occupation et permet de maintenir un système d'occupation de colonisation et d'apartheid. Cette complicité doit être combattue fermement et intelligemment par les Palestiniens, les Arabes et toute personne de conscience à travers le monde – y compris les juifs israéliens anticolonialistes – qui soutiennent la liberté, la justice et l’égalité pour le peuple palestinien. Dans ce contexte, le mouvement BDS global conduit par les Palestiniens offre une forme de résistance et de solidarité efficace et stratégique qui s'élargit rapidement, et est aujourd’hui reconnu par les dirigeants israéliens comme une menace stratégique. (1) Il est grand temps de briser les chaînes honteuses que sont les Accords d’Oslo et de faire tomber leurs masques.

(1) En juin 2013, le gouvernement de Netanyahu a accepté de déplacer la responsabilité de gestion du problème du mouvement BDS du ministère des Affaires étrangères (le principal ministère de propagande) au ministère des Affaires stratégiques.

* Omar Barghouti est un membre fondateur de la campagne palestinienne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Le 13 septembre 2013 marque les 20 ans du processus d'Oslo. L'Agence Média Palestine, en partenariat avec l'Alternative information Center, a estimé que cela devrait être l'occasion d'une véritable réflexion politique non seulement sur le bilan de ces vingt longues années, mais aussi sur les différentes perspectives d'avenir que l'échec des promesses de ce processus ouvre pour la région. Plusieurs personnalités ont contribué par leurs analyses à ce petit brainstorming, publiées sur Médiapart.

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