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Société

La contre-attaque judiciaire du lycée musulman Averroès contre le préfet des Hauts-de-France

Rédigé par | Jeudi 14 Décembre 2023 à 07:30

           

Le groupe scolaire Averroès de Lille ne digère absolument pas la décision préfectorale retirant au lycée le contrat d'association avec l'Etat. Ses responsables se lancent en conséquence dans une offensive judiciaire dont ils espèrent sortir victorieux avec l'aide de trois avocats qui ont ensemble dénoncé « une cabale politique » contre l'établissement lillois.



Eric Dufour, le chef d'établissement du lycée Averroès de Lille, s'est rendu à Paris mercredi 13 décembre pour une conférence de presse expliquant les recours judiciaires à venir visant la préfecture de Lille.
Eric Dufour, le chef d'établissement du lycée Averroès de Lille, s'est rendu à Paris mercredi 13 décembre pour une conférence de presse expliquant les recours judiciaires à venir visant la préfecture de Lille.
La décision « brutale » prise par la préfecture du Nord de résilier le contrat d’association du lycée Averroès de Lille avec l’Etat est une épreuve source de grand stress pour l’ensemble de la communauté éducative du groupe scolaire. A tel point, nous dit-on, qu’une cellule psychologique se met en place pour les personnels enseignants et administratifs ainsi que pour les élèves qui vivent tous difficilement l’affaire. Mais l’heure est à l'offensive plutôt qu'à l’abattement pour les dirigeants du lycée privé.

Son chef d’établissement, Eric Dufour, a fait le déplacement, mercredi 13 décembre à Paris, pour une conférence de presse avec ses avocats, Me William Bourdon, Me Vincent Brengarth et Me Paul Jablonski, au cours de laquelle la mesure préfectorale a été largement dénoncée comme une décision « politique » d’un Georges-François Leclerc « désigné comme le vassal » du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

« Nous sommes face à une cabale organisée politiquement contre un établissement dont l’excellence a largement été reconnue mais qui finalement dérange aussi par l’identité qu’il porte », affirme Me Vincent Brengarth.

Des griefs « imaginaires et artificiels »

« On s'attendait véritablement, compte tenu de l'intensité de la médiatisation qui est faite autour de la résiliation de ce contrat d'association, que les griefs soient d'une amplitude et d'une importance telles qu'ils seraient non seulement objectifs mais manifestes. » Sauf qu’il n’en est rien aux yeux des avocats : ces griefs, « pour lesquels des réponses ont été apportées » notamment dans un rapport d’observation adressé en novembre au préfet et à la commission consultative pour l’enseignement privé, sont « imaginaires et artificiels ». « On défie qui que ce soit de démontrer que ces griefs ne reposent sur autre chose que du vide et du sable », surenchérit Me William Bourdon.

Me Paul Jablonski évoque un exemple parmi d’autres. Le nom du prédicateur musulman Hassan Iquioussen apparaît dans les griefs. Or « il n'est jamais intervenu dans l'établissement et aucun de ses ouvrages – à supposer qu'il (l'imam) en ait car à ma connaissance, il n'en a aucun – n'a jamais figuré dans le CDI de l'établissement ».

Dans la lettre expliquant la décision du préfet et que l’établissement n’a reçu que le matin même de la conférence de presse, « rien de nouveau sous le soleil » sur le fond. Son contenu relève surtout de « la paraphrase très bavarde » d’un préfet qui « a confondu la quantité avec la qualité » mais qui aurait assuré à son arrivée au poste son intention d’avoir « la peau de ce lycée », estime Me William Bourdon. « C'est véritablement un habillage purement technique d'une mesure profondément discriminatoire », déclare, pour sa part, Me Vincent Brengarth.

Une procédure en urgence contre une décision lourde de conséquences

Les avocats, qui ont deux mois pour contester la décision du préfet, comptent ainsi introduire un recours au fond devant la justice administrative mais aussi un recours en référé suspension « dans les jours qui viennent ».

La résiliation du contrat, si elle est effective, prendra effet à compter de la rentrée 2024-2025 mais cette procédure d’urgence sera introduite car « la décision pose beaucoup de difficultés pour l'établissement dès aujourd'hui puisque les enseignants, qui sont des agents publics, ne pourront plus exercer dans ce lycée à partir du moment où le contrat d'association avec l’Etat sera résilié. Or ils ont besoin d’une certaine sécurité pour savoir où ils seront affectés l'année prochaine, ce qui implique que nous devons obtenir le plus rapidement possible la suspension de cette décision illégale », argumente Me Paul Jablonski. Autrement, « ils n'ont pas de garantie d'emploi », abonde Eric Dufour, qui précise que ce sont « 36 familles » qui sont impactées.

« Ce sont aussi nos élèves qui doivent décider dans les jours et les semaines qui viennent s'ils doivent quitter ou non l'établissement. Je rappelle que dans la plupart des institutions privées dans notre région, essentiellement catholiques, les recrutements (pour l’année prochaine) sont déjà largement terminés, comme le nôtre d'ailleurs. S'ils devaient partir, ils doivent trouver des institutions qui voudraient bien les accueillir », note le chef d’établissement.

Un « deux poids, deux mesures » manifeste

Pour Me Paul Jablonski, il y a clairement « une rupture d'égalité » car « le lycée Averroès subit depuis une dizaine d’années des contrôles extrêmement poussés de divers organismes. Des contrôles pédagogiques mais également un contrôle de la Chambre régionale des comptes (CRC), ce qui n'est jamais arrivé dans l'histoire des contrôles des établissements privés ». « Il n'a d'ailleurs pas donné grand-chose » car « il n'y a que deux rappels au droit pour des points mineurs » dans le rapport final.

« À la différence, d'autres établissements privés ne sont jamais contrôlées par la CRC et ne font l'objet de contrôles de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche que de façon extrêmement ponctuelle. Nous avons eu ce contrôle-là en 2020 et il a donné un rapport qui est d'ailleurs extrêmement positif ». Mais « il nous a été communiqué que très récemment, en novembre 2023, à notre demande parce que nous avons fait une démarche en justice pour l’obtenir », indique l’avocat du barreau de Lille. « Tous les griefs formulés par le préfet y sont démontés. »

Me William Bourdon évoque le cas de lycées catholiques dont des enquêtes journalistiques « ont montré qu’il y avait des projets pédagogiques souillés par des éléments de langage homophobes, racistes, parfois antisémites ». « Avez-vous eu connaissance de mesures prises aussi brutalement dans les établissements qui continuent à ronronner dans une idéologie parfois mortifère et toxique ? Le double standard est donc ici parfaitement objectivé », déclare-t-il.

Averroès « à des années-lumière d'une quelconque posture de victimisation »

Interrogé sur « le contexte islamophobe » dans lequel s’inscrit l’affaire selon les termes de députés de La France Insoumise (LFI) qui ont dénoncé « le traitement manifestement discriminatoire qui est fait au lycée privé Averroès », Me William Bourdon déclare que « le lycée est à des années-lumière d'une quelconque posture de victimisation et ce n’est certainement pas dans ce champ-là qu’on se place ».

« Le terme d’islamophobie en tant que tel n’a pas de consécration juridique. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il y a un aspect profondément discriminatoire dans la mesure prise par rapport à d’autres établissements et c’est pour nous un argument technique que nous allons faire valoir »
, ajoute Me Vincent Brengarth.

Cette décision s'inscrit tout de même, pour son confrère parisien, « dans une forme de nouveau maccarthysme à la française » ainsi que « dans cette espèce de scénarisation qui fait florès depuis des années et qui a conduit à des stigmatisations tout à fait insensés » envers des citoyens musulmans, ce qui a poussé des responsables religieux « à dénoncer cette logique de surenchère dans laquelle malheureusement différents responsables publics et politiques de ce pays sont entrés. Ce dossier en est malheureusement l'exemple caricatural ».

Une confiance appuyée en la justice administrative

Une résiliation définitive du contrat d’association, qui impliquerait la perte d’environ un demi-million d’euros, fait courir le risque d’une fermeture à terme de l’établissement. « On n'a pas l'intention de laisser tomber le groupement scolaire donc il fera tout ce qui est en son pouvoir pour essayer de réunir des fonds pour le fonctionnement », bien qu'il soit question « de millions d'euros », signale Eric Dufour. Il craint davantage de la résiliation du contrat un impact négatif sur la qualité et l'excellence de l’enseignement si les professeurs sont amenés à partir. Mais comme ses avocats, il se dit à ce stade confiant pour obtenir satisfaction auprès de l'appareil judiciaire, qui a déjà donné raison plusieurs fois au lycée contre le conseil régional des Hauts-de-France.

« C'est une décision de nature politique, ce qui nous rend confiant sans excès de confiance du fait que les juridictions administratives de ce pays, le Conseil d’Etat, ont censuré un certain nombre de décisions ces derniers mois notamment sur le fondement qui va être le cœur nucléaire de notre argumentation, à savoir l’absence de proportionnalité (…) qui doit nous permettre d'obtenir la suspension de la décision et son annulation », affirme Me William Bourdon.

« En refusant d'admettre de façon officielle son caractère politique, la préfecture s'engage dans une voie dans laquelle nous sommes tout à fait à l'aise puisque c'est une voie qui va nous permettre de produire la totalité des pièces et de contester les griefs reprochés par l'administration », assure également Me Vincent Brengarth.

Et Eric Dufour de déclarer aux journalistes : « Nous sommes sûrs de notre bonne foi et puisque nous en sommes sûrs, nous continuerons d'exercer, sereinement s'il est possible dans le contexte actuel, notre métier, notre mission publique d'éducation et nous tâcherons d'obtenir encore cette année les meilleurs résultats au baccalauréat et au diplôme national du brevet, ce qui sera pour moi le plus grand démenti à toutes ces accusations. »

Mise à jour mercredi 10 janvier : Des recours ont été déposés, mardi 9 janvier, devant le tribunal administratif de Lille afin de suspendre la décision prise par le préfet des Hauts-de-France.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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