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Société

L'interdiction de l'abaya à l'école annoncée, son application en question

Rédigé par Lina Farelli | Lundi 28 Août 2023 à 11:30

           

Gabriel Attal a annoncé l'interdiction du port des abayas dans les établissements scolaires pour la rentrée. Cette annonce, qui attend d'être formalisée dans une circulaire, pose des questions juridiques mais suscite d'ores et déjà de nombreuses réactions politiques.



© Département des Yvelines/CC BY-ND 2.0
© Département des Yvelines/CC BY-ND 2.0
« J’ai décidé qu’on ne pourrait plus porter l’abaya à l’école. » A quelques jours de la rentrée des classes, cette phrase est signée du ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, lors d'une interview sur TF1 diffusée dimanche 27 août. Les élèves ne devraient donc plus pouvoir porter les abayas mais aussi les qamis, quand bien même le statut religieux de ces tenues est contesté par des fédérations musulmanes.*

« Vous rentrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d'identifier la religion des élèves en les regardant », a justifié l'ancien ministre délégué aux Comptes publics. L'annonce intervient quelques jours après qu'une note relevant une forte hausse des atteintes à la laïcité à l'école pendant l'année scolaire 2022-2023, en particulier celles liées au port de signes et de tenues, a été dévoilée. Le Snpden, le principal syndicat de personnels de direction de l’Éducation nationale, qui attendait une réponse tranchée du ministère sur le sujet des abayas et les qamis, se déclare satisfait.

Tout en saluant l'annonce, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, a indiqué sur France Inter que son syndicat des personnels des collèges et lycées « sera extrêmement attentif à la façon dont la décision de Gabriel Attal va se décliner ». « Nous, ce qu'on voit sur le terrain, c’est que dans 95 % des cas, ces situations se dénouent par le dialogue. Ça permet d'éviter que ces élèves et ces familles quittent l'école publique et aillent dans le privé confessionnel. Il n'y aurait rien de pire que ça conduise au départ de ces élèves : là, ce serait une véritable défaite pour l'école de la République », a-t-elle ajouté.

L'application de l'interdiction en question

L'Éducation nationale avait signifié, dans une circulaire datée de novembre 2022, que les abayas, de même que les bandanas et les jupes longues, pouvaient être interdites à l'école si ces tenues sont « portées de manière à manifester ostensiblement une appartenance religieuse », et ce uniquement « après une phase de dialogue » préalable entre les élèves et la direction de l'école.

Le prédécesseur de Gabriel Attal, Pap Ndiaye, avait toutefois refusé de « publier des catalogues interminables pour préciser les longueurs de robes ». Une telle situation « nous emmènerait directement au tribunal administratif, où nous perdrions ».

Le nouveau ministre, décidé à marquer son passage rue Grenelle de son empreinte, ne semble guère prendre les mêmes précautions. « Je vais m'entretenir cette semaine avec les chefs d'établissement, leur donner toutes les clés pour faire appliquer cette règle », a-t-il fait savoir.

La publication d'une circulaire interdisant formellement les abayas est désormais attendue. « Au sens de la loi 2004, au même titre que la kippa, le voile islamique ou la grande croix cités par la circulaire d’interprétation de la loi du 15 mars 2004, tout port d’une abaya au sens de robe islamique et présentée comme telle (tenue ample et couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains, marquant une appartenance religieuse) est interdit », rappelle la Vigie de la laïcité. « Dès lors, il s’agit de savoir si le ministre parle bien de cela OU de tout port d’une robe couvrante pas même présentée comme marquant une appartenance religieuse ? Auquel cas, cela pourrait s’opposer à la loi de 2004. Nous serons donc attentifs à la circulaire qui sera transmise à ce sujet. »

Une annonce qui fait réagir

Si, dans les rangs de la droite, on se réjouit de l'annonce gouvernementale, la gauche apparaît plus divisée. Pour Chloé Ridel, porte-parole du Parti socialiste, appelée à réagir sur BFM TV, il est « étrange pour un ministre de l'Éducation nationale de lancer la rentrée scolaire sur cette annonce » alors qu'« il y a quand même plein d'autres sujets d'importance, comme l'inflation sur les fournitures scolaires et le manque de professeurs ».

Chez les élus de La France Insoumise, le ton est tout autre. « Jusqu'où ira la police du vêtement ? (...) À peine rentrée, la macronie tente déjà de prendre le RN par la droite », a dénoncé sur X la députée du Val-de-Marne, Clémentine Autain, qui a jugé jugeant la proposition du ministre « anticonstitutionnelle » et « contraire aux principes fondateurs de la laïcité. Symptomatique du rejet obsessionnel des musulmans ».

« Tristesse de voir la rentrée scolaire politiquement polarisée par une nouvelle absurde guerre de religion entièrement artificielle à propos d'un habit féminin. À quand la paix civile et la vraie laïcité qui unit au lieu d'exaspérer ? », a lancé Jean-Luc Mélenchon.

Une réaction aux antipodes de celle du secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel. « J'approuve cette décision. Les chefs d'établissement avaient besoin de consignes claires, même si cela concerne 150 établissements sur les 60 000 que comptent notre pays », a-t-il fait savoir sur Sud Radio. Un sujet qui a de quoi alimenter de nouvelles divisions autour des questions de laïcité au sein de la Nupes.

*Mise à jour : Après l'annonce du ministre, le Conseil français du culte musulman (CFCM) craint « un précédent extrêmement grave, dangereux et discriminatoire », voici pourquoi.

Pour l'historienne Valentine Zuber, « une nouvelle réglementation serait surtout un aveu d’impuissance de la part des pouvoirs publics et de ceux qui les représente à l’école ».

Lors d'une interview accordée à Saphirnews en décembre 2022, la directrice d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE-PSL) a estimé « dangereux et surtout vain de vouloir préciser encore la réglementation, avec une liste "complète" des signes ou vêtements qui seraient susceptibles d’être interdits à l’école », elle s'en expliquait ici.






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