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Société

Juifs et musulmans, les chemins du dialogue explorés au Sénat

Rédigé par | Lundi 16 Mars 2015 à 10:45

           

Quelles causes à la rupture de liens entre juifs et musulmans en France pour quels remèdes ? Un colloque visant à promouvoir le dialogue judéo-musulman a été organisé jeudi 12 mars, au Sénat, sous le patronage de la sénatrice (EELV) Esther Benbassa et de Jean-Christophe Attias, animateurs de l’association Pari(s) du vivre-ensemble. Une trentaine d'interventions ont émaillé une longue journée de débats.



Une journée de débats autour du dialogue entre juifs et musulmans a été organisée au Sénat le 12 mars par Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa.
Une journée de débats autour du dialogue entre juifs et musulmans a été organisée au Sénat le 12 mars par Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa.
« Juifs et musulmans : retissons les liens ! » « Une journée de répit entre musulmans et juifs pour ouvrir le débat et crever les abcès », résume Esther Benbassa face au public venu jeudi 12 mars au Palais du Luxembourg pour écouter la trentaine d'imams, de rabbins, d'intellectuels et de responsables associatifs invités au colloque.

Onze ans après un événement similaire à la Sorbonne organisé en 2004, « dans le sillage de la seconde Intifada », par son association Pari(s) du vivre-ensemble, et deux mois après les attentats de Paris, il est urgent, pour les deux historiens, d'encourager le dialogue judéo-musulman. Encore faut-il identifier les causes de la rupture afin d'engager des pistes de réflexion en vue de retisser des liens solides entre ces deux populations.

Pourtant, et Esther Benbassa le rappelle, les juifs ont longtemps vécu « dans une certaine quiétude » dans le monde musulman. « Si on fait le bilan historique des relations entre juifs et musulmans en terres musulmanes, elles furent meilleures – mais pas sans ombres – que celles qu'avaient juifs et chrétiens en terres chrétiennes », introduit-elle dans son discours.

Esther Benbassa
Esther Benbassa

Poser des mots aux maux

Tous sont d’accord : le conflit israélo-palestinien cristallise les tensions entre juifs et musulmans en France. « Tant qu’il n’y a pas de paix juste et l’émergence d’un Etat palestinien, la haine va encore être entretenue dans nos communautés en France », lance Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, qui appelle à « mettre du bon sens dans le rapport à l’Autre » pour faire face à cette rupture. Les institutions dites représentatives des juifs de France doivent « opter pour plus de neutralité dans la politique israélienne et insuffler plus de sérénité dans les relations judéo-musulmanes », estime Esther Benbassa.

Ce conflit n’a néanmoins pas monopolisé les débats. Outre la méconnaissance, la rupture entre juifs et musulmans, pour Sihame Assbague, se trouve dans « un traitement politique et institutionnel différencié entre les deux communautés » et un deux poids-deux mesures dans la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie qui créent des « rancœurs ». Il n’y a « pas d’égalité et de justice pour tous les Français et c’est cela qu’il faut combattre ».

Rejoignant la porte-parole du collectif Stop le contrôle au faciès, Mehdi Belabass, maire adjoint d’Ivry (Val-de-Marne), affirme que c’est une « jalousie » qui se manifeste du côté musulman, avec une « envie de s’organiser » de la même façon que des instances juives, avec des structures « qui leur permettent d’intervenir efficacement dans le débat public ». « C’est insupportable d’être à la porte de tout », dit-il.

Mieux reconnaître « l’héritage des violences »

Il y a « des efforts à faire des deux côtés. (…) On sous-estime l’importance de la Shoah pour les juifs, mais on sous-estime aussi les conséquences du colonialisme et des discriminations » pour les musulmans, déclare-t-il. Ce n'est pas « une charité historique » qui est réclamée mais ne pas faire apparaître huit siècles de présence juive dans le monde musulman dans les livres d'histoire « contribue à une rupture mentale des communautés. L’Histoire doit être mieux enseignée », soutient Tareq Oubrou.

Shoah, colonialisme, esclavage… « On sous-estime l’héritage des violences. » « De tous côtés, il faut ne pas se donner trop d’excuses » et il s’agit de « chercher notre part de responsabilités », affirme Marc Cheb Sun, auteur du livre « D’ailleurs et d’ici », qui évoque « la concurrence des mémoires » comme une des sources de la rupture entre juifs et musulmans.

« Enseigner moins la Shoah ne règlera pas la question », ajoute-t-il. « Le but n’est pas de donner moins aux juifs, mais il ne faut pas léser les autres communautés », dira plus tard Sihame Assbague. Sous Vichy, la France a déporté 73 000 juifs vers les camps d’extermination, rappelle Esther Benbassa : « la culpabilité » que l’Etat porte envers les juifs explique aussi le traitement « privilégié » de cette population dans la République.

Juifs et musulmans, les chemins du dialogue explorés au Sénat

Le dialogue interreligieux en question

Gare à l’essentialisation des « communautés », affirment le professeur Philippe Cassuto et le sociologue Omero Marongiu-Perria. Celui-ci, qui plaide pour une autocritique musulmane, pointe « le phénomène d’essentialisation de l’Autre » consistant à « ne plus le voir dans sa diversité et à le réduire à des caractéristiques ».

Autre constat abondamment relevé au colloque : le dialogue interreligieux est nécessaire mais insuffisant pour relever les défis qui se jouent dans la société. Pour Mohamed Bajrafil, imam de la mosquée d’Ivry, il faut inviter plus de chercheurs que d’imams et de rabbins pour mieux cerner les causes de rupture entre groupes d’individus. Il s’en prend aussi aux politiques, « irresponsables dans leurs discours et qui n'ont pas le SMIC, le savoir minimum indispensable à la conversation ».

Karim Benaissa, président de l’Union des associations musulmanes de Créteil, témoigne des bonnes relations interreligieuses dans sa ville. « Juifs et musulmans, renforçons notre amitié pour qu’elle soit fraternité », lance-t-il.

La citoyenneté au cœur de débats

Troisième table-ronde pour un nouveau thème : « Juifs, Musulmans, croyants ou non, tous citoyens. » Le malaise dans la salle s’installe lorsque Martine Cohen, sociologue au CNRS, prend la parole. Elle explique alors qu’antisémitisme et islamophobie - sans les « hiérarchiser » - ne peuvent être mis « sur le même plan d’égalité » car le premier, « actif des populations musulmanes », est source de violences sans pareilles avec le second.

Selon elle, le mythe du complot juif est « fondé sur 100 % de fantasmes et zéro réalité » alors que le mythe d’Eurabia est, lui, « fondé sur le fait qu’il existe des groupes musulmans qui veulent islamiser l’Europe »... Des propos qui ont heurté Samia Hathroubi, qui invite la chercheuse à lire l’ouvrage de Raphael Liogier sur « Le mythe de l’islamisation » afin de « remettre les pendules à l’heure ».

« Ce qui peut aussi aider à retisser les liens, c’est de travailler sur l’égalité et la justice sociale » ainsi que la citoyenneté, pour la représentante de FFEU (Foundation For Ethnic Understanding). Même son de cloche pour Samy Debah, président du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), pour qui la question centrale est aussi celle de la citoyenneté, qui pose la question des discriminations, elles-mêmes génératrices d’exclusion.

Le poids de la responsabilité étatique

« Il faut distinguer antisémitisme et islamophobie, mais pas pour les mêmes raisons » que celles de Martine Cohen. Aujourd'hui, l’antisémitisme « vient du peuple » principalement – et « il faut le combattre »« mais l’islamophobie est une discrimination qui est entretenue par nos institutions, c’est un racisme d’Etat » comme fut le racisme antijuif par le passé, affirme Samy Debah.

Juifs, musulmans ou non, « on est dans le même bateau », déclare la journaliste Rokhaya Diallo. Parce que la majorité des Français n’est ni juive ni musulmane, la lutte contre les racismes doit être l'affaire de tous. « On détourne la responsabilité de l’Etat. C’est la République qu’il faut questionner et sa capacité à traiter tout le monde de la même manière », déclare-t-elle.

Laïcité à l’appui, « on a le droit d'être ce qu'on est », avec des identités plurielles, conclut le philosophe Joël Roman, et « il y a une responsabilité des dirigeants politiques à le rappeler ». Le chemin est encore long pour renouveler, sur des bases solides, les relations judéo-musulmanes. Des journées d'échanges, de débats et de rencontres y contribuent et sont appelées à se multiplier en France.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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