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Points de vue

Égypte : Que la société civile se mobilise enfin

Par Tariq Ramadan*

Rédigé par Tariq Ramadan | Samedi 31 Août 2013 à 06:00

           


La situation en Égypte est grave et l’avenir paraît sombre. Tout peut arriver. Même si le spectre d’une guerre civile n’est pas encore d’actualité, il faut envisager tous les scénarios et agir en conséquence. Il semble que le pouvoir (les civils comme les militaires) sont divisés quant à la stratégie à mener.

D’aucuns veulent éradiquer les Frères musulmans et leur organisation, d’autres veulent les soumettre à des conditions de survie sans pouvoir, permettant ainsi de maintenir l’illusion d’un avenir pluraliste et démocratique. Tous jouent la carte de la réduction de leurs opposants aux seuls "Frères musulmans" et en les diabolisant sous les vocables "terroristes" et "extrémistes". La répression pousse à la radicalisation, et elle justifiera, à posteriori, la répression elle-même. Un cercle vicieux que l’on a déjà vu dans l’histoire contemporaine de l’Égypte.

Les opposants au coup d’État, et à leur tête les Frères musulmans, se sont mobilisés pacifiquement et ils continuent de manifester malgré l’état d’urgence et la répression. Leur résistance de plusieurs semaines a été non violente et doit le rester malgré les provocations des militaires et des policiers dont on connaît les stratégies. Exécutions de masse ou ciblées, soudoiement de délinquants (connus sous le nom de baltaguiyya) afin qu’ils attaquent les manifestants, avec, de surcroît, la multiplication des incendies d’églises coptes pour diviser et nourrir les factures sectaires (Sadate et Moubarak avaient usé de la même stratégie).

Il reste qu’au moment même où ces manifestations continuent dans la non-violence, la société civile, toutes tendances confondues, opposée à la violence et aux militaires doit se mobiliser et former un front uni autour de positions communes claires, courageuses tout en étant réalistes.

Une coalition nationale doit se former avec des femmes et des hommes de la société civile – des laïcs, des islamistes, des coptes, des femmes, des jeunes activistes – qui sont prêts à ouvrir les voies d’un dialogue avec les autorités en demandant :

1. L’arrêt de la répression
2. La libération des prisonniers politiques, leaders et membres de partis, qui aurait pour conséquence, de fait, l’arrêt des manifestations
3. La détermination des étapes qui devraient restituer le processus politique aux civils avec la fixation négociée d’échéances politiques et électorales.

La société civile doit aujourd’hui s’exprimer et refuser la réthorique mensongère qui veut faire croire que l’armée serait opposée aux seuls islamistes. Ce qui est en jeu est l’avenir démocratique de l’Égypte et celui-ci ne pourra être avec l’armée aux commandes. Il appartient aux civils de faire leur autocritique en même temps que de travailler ensemble pour sortir de la crise.

Être un observateur passif et non violent de la violence, c’est faire le choix indirect de la violence.

* Tariq Ramadan est, notamment, professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford (Royaume-Uni) et senior research fellow à l’université de Doshisha, à Kyoto (Japon). Il est également directeur du Centre de recherche sur la législation et l’éthique Islamiques (CILE), à Doha (Qatar). Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Dernier ouvrage paru : L’Islam et le Réveil arabe (Presses du Châtelet, 2011).
Première parution de cet article le 18 août 2013 sur www.tariqramadan.com





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