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Société

Contre le radicalisme, une fondation de l’aumônerie musulmane des prisons

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mercredi 10 Octobre 2012 à 00:00

           

Le radicalisme religieux en prison fait la une des journaux français après l’interpellation, samedi 5 octobre, d'une dizaine de personnes converties à l'islam et soupçonnées de faire partie d’un cellule terroriste. Plusieurs suspects se seraient en effet radicalisés pendant leur séjour en prison, appuyant ainsi l'idée que le milieu carcéral serait un terreau propice à la formation d’islamistes radicaux. Pour endiguer ce phénomène, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, souhaite une présence accrue d’aumôniers français dans les centres de détention. Abdelhak Eddouk, qui officie à la prison de Fleury-Mérogis en région parisienne, nous livre son point de vue et propose ses solutions.



Abdelhak Eddouk, aumônier musulman de la prison de Fleury-Mérogis, en région parisienne.
Abdelhak Eddouk, aumônier musulman de la prison de Fleury-Mérogis, en région parisienne.

Saphirnews : Selon vous, la prison est-elle un terreau propice à la radicalisation de l'islam ?

Abedlhak Eddouk : Il y a en prison des détenus à l’idéologie radicale mais ils ne représentent qu’une petite minorité et ont été emprisonnés pour ces raisons.

Quelle influence peuvent-ils avoir sur les autres détenus ?

A.E : Il peut y avoir une certaine influence car ces détenus restent une minorité agissante. Pour eux, ils détiennent la vérité et la prison ne va pas les empêcher de propager leurs idéologies. Mais connaître l’impact de leur influence est très difficile car il n’y pas d’études là-dessus. Ce qui est sûr, c’est que si dans la prison il y a un aumônier qualifié avec des moyens, leur influence ne pourra pas avoir d’effets.

A la prison de Fleury-Mérogis, avez-vous déjà eu affaire personnellement à des détenus qui suivaient une idéologie radicale ?

A.E : Notre mission, en tant qu’aumônier est de répondre à la demande de spiritualité des détenus et non pas d’aller à la recherche des radicaux. Mais face à des individus ayant un tel comportement, on essaie d’expliquer, de déconstruire leurs idéologies et de donner plus d’éclaircissements.

Il faut savoir que la prison est le lieu de toutes les radicalisations mais on fait plus attention à l’islam car c’est un sujet d’actualité. Ma crainte est que l’on pense que tous les détenus de confession musulmane sont susceptibles d’être des radicaux.

Quel rôle joue la prison dans le processus de radicalisation des détenus ?

A.E : Elle peut favoriser la radicalité car c’est un lieu d’enfermement, de fragilité et de rupture. Ces trois éléments peuvent mettre n’importe quel individu face à la radicalisation.

Que peut faire l’administration pénitentiaire ?

A.E : Elle ne peut rien faire. Depuis des années, même des siècles, toutes les sociétés ont du mal à gérer la question de l’enfermement. Cela dépasse tout le monde. L’administration pénitentiaire doit gérer la présence dans la prison. Mais le problème de la radicalisation concerne toute la société. La solution ne se trouve pas seulement au sein de la prison. Il faut anticiper les choses bien avant la présence des individus en prison qui pourraient être touchés par une radicalisation.

Qui sont ces individus quand on parle de « radicalisme islamique » ?

A.E : On peut définir un certain profil : on parle d’anciens délinquants ou de jeunes qui découvrent la religion. Il faut étudier la situation pour la comprendre et trouver des solutions. La prison doit préoccuper tout le monde. Il ne faut pas attendre un événement tragique. On s’attaque aux conséquences mais la religion n’a rien à voir. Pour la plupart des détenus, la religion apporte de l’apaisement. Il ne faut pas s’attaquer à la religion, elle n’est pas responsable si des personnes se tournent vers la radicalisation.

Quinze nouveaux postes d’imams sont inscrits au budget 2013 du ministère de la Justice, comment accueillez-vous cette nouvelle ?

A.E : Je ne sais pas à quoi correspondent ces quinze postes budgétaires. Est-ce des créations de postes ou est-ce des aumôniers déjà en poste qui vont être intégrés dans ce budget ? C’est toujours bien mais aujourd’hui, nous sommes entre 150 et 160 aumôniers alors que pour faire face à la demande, nous devrions être le triple de ce chiffre. La prison de Fleury-Mérogis aurait besoin de 15 à 20 aumôniers alors que nous sommes six aujourd’hui.

Quel est le statut des aumôniers dans les prisons ?

A.E : La plupart d'entre eux sont bénévoles et perçoivent une rémunération comprise entre 100 et 750 € maximum. Ce n’est pas un salaire et donc il n’y a aucun avantage social. La majorité d’entre eux ne se rendent pas tous les jours à la prison, y compris les retraités. Mais la question de la rémunération des aumôniers ne peut résoudre qu’en partie le sort de la prison.

Quel est le facteur principal qui permettrait d’améliorer la pratique du culte musulman dans les prisons ?

A.E : Disposer d’aumôniers qualifiés, c'est-à-dire ayant une formation religieuse pour apporter une réponse efficace aux détenus. Les aumôniers doivent aussi avoir une connaissance du monde carcéral. Connaître l’univers de la prison est très important au risque de ne pas supporter ce monde. S’il y a un seul détenu radical, un aumônier qualifié est important pour pouvoir déconstruire son idéologie.

Mais dès qu’on dispose d’aumôniers qualifiés, la problématique financière se pose. Comment inciter ces personnes bien formées qui ont déjà un travail à côté et une famille à se rendre en prison sans un salaire attractif ? Aujourd’hui, en France, nous n’avons pas encore atteint le moment ou ces responsables qualifiés sont à la retraite. Actuellement, ils sont actifs.

Que faut-il faire concrètement pour que les aumôniers qualifiés soit plus nombreux dans les prisons françaises ?

A.E : Il faut prendre le recul et établir une feuille de route, sans précipitation. Il existe déjà quelques formations religieuses dans des établissements mais il manque une formation spécifique au monde carcéral. Il faut ensuite régler le problème financier interne. Aujourd’hui, la réalité fait que l’Etat français ne veut pas financer le culte et l’argent venu de l’étranger suscite beaucoup de réticences.

Comment faire alors ?

A.E : Il est toujours possible de trouver des financements. J’avais lancé plusieurs pistes après les attentats de Montauban et de Toulouse. Je propose la création d’une fondation pour l’aumônerie musulmane des prisons qui sera chargée de collecter les dons associatifs. En organisant une collecte dans les mosquées, un vendredi par an, on peut arriver à gérer l’aumônerie musulmane dans les prisons. Je pense que c’est aujourd'hui la proposition la plus concrète.





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