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Points de vue

9 novembre 2016 : l’Amérique islamophobe a gagné

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Mercredi 9 Novembre 2016 à 16:17

           


9 novembre 2016 : l’Amérique islamophobe a gagné
NEW YORK. − C’est dans une de ces cafétérias typiquement américaines que je retrouve Linda. J’avais beaucoup entendu parler d’elle par mon ami Phil, juif américain, grand défenseur des droits de l’homme engagé dans l’interreligieux depuis 30 ans, proche de toutes les grandes figures musulmanes d’Amérique du Nord, après une carrière de journaliste au Washington Post.

Linda nous avait donné rendez-vous tout près de la New York University, où j’intervenais auprès de deux enseignants d’un type particulier. L’un était rabbin, l’autre imam ; et leur cours s’intitule « L’interreligieux ».

Nous voilà attablés tous les trois. À l’époque où je rencontre pour la première fois Linda, elle n’est pas la star médiatique et des réseaux sociaux qu’elle est aujourd’hui. Elle est une figure montante des activistes musulmans de New York. Son phrasé de Brooklyn ne trompe pas.

Née aux États-Unis de parents palestiniens, Linda n’est pas théologienne, elle ne parle que très peu de religion, contrairement à beaucoup de stars musulmanes américaines. Tout son discours est centré sur les luttes civiques. Linda va vite, elle court, est sur plusieurs fronts, toujours en mouvement. Un jour, elle s’attelle sur le dossier des jours fériés dans les écoles musulmanes ; un autre, elle rencontre les membres de la communauté hispanique et de la communauté afro-américaine pour faire converger les luttes ; un autre, elle est sur un plateau de télévision pour parler islamophobie.

J’ai continué à suivre Linda et à échanger avec elle sur les actualités de nos pays respectifs. Comme une grande partie des militants, chercheurs, figures médiatiques aux États-Unis, Linda s’est très tôt engagée en politique avec le slogan #MyMuslimVote. D’abord aux côtés de Bernie Sanders. Elle riait en me parlant de ce duo qu’ils faisaient aux yeux du monde, un vieux juif social-démocrate avec une femme musulmane voilée. Puis, sans grande conviction, aux côtés de Hillary Clinton, mais elle disait qu’elle ne pourrait plus regarder dans les yeux ses enfants si Donald Trump passait.

Malgré les peurs claires et fondées de voir l’homme qui leur promettait la déportation, Hind, Nadia, Ambereen, Symi, Phil ont tous cru jusqu’à la fin que la victoire était possible. Phil plaisantait que lui, le juif athée, était prêt à s’en remettre à Dieu le dernier jour.

Aujourd’hui, les espoirs de mes amis se sont écroulés, les pires frayeurs de voir une Amérique misogyne, islamophobe, raciste gagner se sont révélées réalité.

Hillary, figure de l’establishment, politicienne sans convictions, n’aura pas convaincu.

À la suite des résultats, Linda a très vite été sur les réseaux sociaux, sur les plateaux, comparant l’élection du 45e président des États-Unis à un Brexit américain. Je ne sais pas si l’élection de Trump signifiera la fin de l’interventionnisme américain sur tous les fronts comme le Brexit a pu signifier le retrait de la Grande-Bretagne de l’Histoire du continent européen.

Je sais une chose, en revanche, c’est qu’une fois de plus ces deux résultats viennent déjouer tous les pronostics, ceux des médias mainstream, ceux des instituts de sondage.

Les Britanniques, en tout cas l’establishment, ceux qui sont plus près des centres de pouvoir que des périphéries, étaient tellement sûrs de rester dans l’Union européenne qu’ils n’avaient même pas planché sur un plan B. Ils ne pouvaient y avoir que de plan A. On avait oublié de consulter le peuple, le vrai, celui dans la rue.

Je me suis endormie cette nuit en pensant à toutes ces Linda, ces Raquel, ces David, ces Phil, tous ces amis qui tentent de rendre l’Amérique meilleure, moins inégalitaire, moins raciste, moins misogyne, moins xénophobe. Je me suis réveillée avec leurs mines défaites, décomposées, groggy, assommées de voir que le combat n’était pas linéaire.

Quelques minutes après les résultats, certains recevaient des messages de haine leur sommant de quitter l’Amérique, comme Donald Trump le promettait aux musulmans.

Souvent, on me dit que j’exagère, que les frasques et phrases d’exclusion, de haine des politiques ne sont que des relents populistes pour gagner des voix. Souvent, on me dit que j’exagère, que je ne devrais pas prendre à la lettre ce qui est dit, qu’après tout ce ne sont que des mots pour flatter les relents xénophobes des uns et des autres.

Les électeurs de Trump, pourtant, ont très bien compris ses appels et ont voté en conséquence.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Samia Hathroubi
Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les débuts... En savoir plus sur cet auteur



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