Points de vue

Un dîner français

Rédigé par William Barylo | Samedi 15 Février 2014 à 15:41



C’est l’histoire d’une photo prise entre amis
Une photo parmi tant d’autres
Un instantané que j’ai gardé
Un sursaut du cœur spontané
Une photo système D
Où les sujets ne sont autres que les acteurs
De véritables liens d’amitié

Je me souviens très bien de ce jour, un samedi très certainement, vers le milieu de l’été 2012. Il me fallait faire une photo pour cette campagne qui s’annonçait. Une campagne contre la haine, contre les préjugés, contre les esprits obtus.

Ce que je voulais faire était une campagne pour. Certes, je suis opposé aux injustices. Mais à quoi bon dénoncer, si je ne puis proposer de suite ni d’alternative ? Se défendre est une chose. Mais à quoi bon rendre les coups pour tout de suite s’arrêter ? Tout comme dans ma spiritualité, il est dit de rendre un mal par un bien, je voulais donner. Donner de l’amour, de la solidarité, de la convivialité, du partage. C’est ce que je voulais montrer. Montrer non pas ce à quoi je m’opposais, mais ce à quoi j’aspirais. Plus encore, j’allais montrer un morceau de notre société dans sa colorée réalité.

Quelle scène de vie saurait retranscrire au mieux ces valeurs que je souhaitais défendre, exposer et proposer... si ce n’est un repas ? L’idée en poche, quelques coups de fil, quelques mails et, très vite, une fois le lieu décidé, je partais à travers les dédales du RER armé de ma grosse valise de matériel. Nous avions tout un après-midi. Et nous avions utilisé l’intégralité.

Une des photos réalisées par William Barylo, en vue de la campagne « Nous sommes la Nation », lancée par le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) en novembre 2012. Celle-ci n'a finalement pas été retenue, mais son auteur a voulu faire partager sa genèse.
Cette photo est issue d’un tri rigoureux où se mêlaient les paramètres de netteté, de lumière, de choix de focale, d’expression des gens, à travers des dizaines d’essais partis dans ma poubelle numérique. De quelques dizaines, il n’est ressorti que celle-là. Pour ses sourires, ses regards... mais l’essentiel n’est pas sur l’image.

L’essentiel allait au-delà : des hommes et des femmes, de diverses cultures et spiritualités, réunis non pas autour d’une table (ça, c’était pour la mise en scène), mais autour d’un projet commun. Pas d’acteurs, seulement des amis avec leur humanité pour toute expérience professionnelle, et la satisfaction du devoir accompli pour seul salaire. Certains ont traversé des dizaines de kilomètres, venant de villes ne figurant même pas sur les plans du RER... pour une cause commune, dans une intention commune, pour se réunir dans ce restaurant qui nous a servi de décor, pour une image à la destinée incertaine.

Cette photo n’a pas été retenue pour la campagne. Elle fait partie de ces rivières de gigaoctets d’archives qui n’ont pas suivi le cours du fleuve du consensus principal. Mais qu’à cela ne tienne ! Il y a des moments plus mémorables que d’autres, qui sont destinés à rester dans les cœurs plutôt que sur les capteurs...

... Mais comme en rangeant quelques dossiers je l’ai retrouvée, je ne pouvais pas ne pas la partager !

William Barylo est doctorant à l'EHESS, à Paris, sous la direction de Nilüfer Göle. Sa recherche « L’'islam, moteur de l’engagement citoyen ? » tente de comprendre les perceptions de la foi, de l’engagement et de la citoyenneté parmi les bénévoles musulmans engagés dans des charités en Europe. Il est l'auteur d'un film documentaire « Musulmans polonais : l'inattendue rencontre ». Il travaille actuellement à Londres.