Société

Shoah : ces musulmans qui protégèrent les juifs en terre d'islam

Rédigé par Samba Doucouré | Mercredi 27 Janvier 2016 à 20:00

À l’occasion de la Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste ce 27 janvier, Saphirnews propose une rétrospective historique sur l’attitude observée dans des pays musulmans envers les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, qui vient rappeler l'histoire méconnue des Justes musulmans en Europe, dans les pays du Maghreb ou encore en Turquie.



N’en déplaise au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, ce ne sont pas les musulmans qui ont suggéré l’extermination de six millions de juifs aux nazis. Des liens entre le fameux mufti de Jérusalem Amin Al-Husseini et l’Allemagne hitlérienne sont avérés, tout comme pour Rashid Al Al-Kaylani, ancien président du Conseil d’Irak. Ces personnages ne sont cependant pas représentatifs du positionnement de la majorité des musulmans.

Mohammed Amin Al-Husseini, notable de Jérusalem faisait partie des officiers qui ont tourné le dos à l’Empire ottoman durant la guerre de 1914-1918 afin de servir le grand projet nationaliste arabe. En 1921, il est nommé par les Britanniques comme grand mufti de Jérusalem, fonction suprême de la hiérarchie religieuse islamique de Palestine. Après avoir fomenté un soulèvement de la population contre l’occupant britannique, la puissance mandataire tente de l’arrêter en 1937. Contraint à l’exil, il atterrit à Berlin en 1941 où, auto-proclamé chef des « Arabes libres », Al Husseini va tenter de négocier auprès d’Hitler l’indépendance des pays arabes. Il collabore avec le régime nazi principalement en participant aux émissions de propagande à destination du monde arabe dans lesquelles des messages antisémites radicaux sont adoptés. Cependant, la portée de ces discours est extrêmement limitée dans le monde arabe où de nombreuses communautés juives sont intégrées depuis des siècles.

Les relations entre juifs et musulmans pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le souligne l'encyclopédie spécialisée dirigée par Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora, sont surtout marquées par le contexte des occupations britanniques et françaises au Moyen-Orient et en Afrique du Nord tandis que l’Europe est occupée par les Allemands. Les musulmans n’ont globalement pas manifesté d’hostilité envers les juifs. Si des prises de position en faveur de l’Allemagne nazie il y a eu, ce fut en général par opposition à la politique coloniale de la Grande-Bretagne et de la France.

Les nationalistes du Maghreb refusent de soutenir l'Axe

Les pays du Maghreb sont, pendant la guerre, sous la domination de la France pétainiste. En plus du régime inégalitaire qui prévaut sous la colonisation, les populations maghrébines doivent composer avec le régime de Vichy. L’abolition du décret Crémieux en 1940 retire la citoyenneté française aux juifs qui en bénéficiaient depuis 1870. Vivant sous le régime de l’indigénat, les musulmans n’ont, eux, jamais bénéficié d'une citoyenneté pleine et entière.

Très attentifs aux échos suscités par cette décision, les responsables des Affaires indigènes ont constaté avec déception que les populations musulmanes ne se réjouissaient pas de l’abolition des privilèges dont bénéficiaient les juifs. Le docteur Boumendjel, un des principaux leaders nationalistes algérien, dans une lettre aux responsables du judaïsme algérien, affirma que les musulmans « ne peuvent raisonnablement se ranger aux côtés de ceux qui tentent de pratiquer une politique raciale alors qu’eux-mêmes sont quotidiennement frappés au nom du racisme. Nos adversaires ne se doutaient pas qu’en infériorisant les juifs, ils ne pouvaient que les rapprocher davantage des musulmans ».

Au Maroc et en Tunisie, les juifs sous protection

En Tunisie, l’accès au trône du bey Moncef en juin 1942 ne fera pas les affaires du régime vichyste ni des allemands qui envahissent le protectorat en novembre 1942. Dès son intronisation, « Moncef Bey » fait un geste envers ses « sujets » en décorant une vingtaine de personnalités juives du Nishan Iftikhar, plus haute distinction tunisienne. Malgré les approches insistantes des généraux allemands, promettant une indépendance future de la Tunisie, le souverain refuse de soutenir l’Axe. Seuls quelques dizaines de Tunisiens s’enrôleront dans la légion arabe de la Wehrmarcht.

Du côté du Maroc, le sultan Mohammed Ben Youssef montre lui aussi de la sollicitude pour ses « sujets » juifs. Contraint de valider les lois raciales promulguées par l’État français en 1940, il introduit toutes sortes de dérogations et d’exceptions. L’expulsion des juifs résidant des quartiers européens est limitée aux familles propriétaires depuis septembre 1939. L’obligation de déclaration des biens s’applique uniquement au patrimoine dépassant les 5 000 francs, meubles et bijoux étant exempts. Les écoles de l’Alliance israélite universelle conservent leur fonctionnement et peuvent même recruter des enseignants juifs renvoyés des lycées français.

L'Albanie, un refuge en Europe

Parmi la liste des 24 000 « Justes parmi les nations » décorés au nom du peuple juif, 73 sont originaires d’Albanie. Cet État d’Europe de l’Est, majoritairement musulman, est le seul pays européen à dénombrer plus de juifs après la guerre qu’avant le début du conflit. Un millier de juifs, originaires pour la plupart de Yougoslavie et de Grèce, se réfugient en Albanie au début des années 1940. L’Allemagne nazie prend le contrôle du pays en septembre 1943.

Malgré les injonctions allemandes, les Albanais n’appliquent pas l’ordre d’enregistrer les juifs. Seules deux familles juives sont arrêtées et déportées. Les Albanais pratiquent la besa qui signifie littéralement « tenir la promesse », un code de l’honneur issu de la foi musulmane telle qu’ils l’interprètent à l’époque. L’un des cas les plus notables est celui rapporté par le célèbre photographe Gavra Mandil dont la famille a été sauvée par Refik Veseli, un apprenti dans une boutique de photographie à Tirana.

Une soixantaine de musulmans « Justes parmi les nations »

Les Veseli sont la première famille albanaise à être reconnue Juste parmi les nations en 1987. Si plusieurs dizaines d’Albanais ou Bosniens ont été décorés, ce n’est pas encore le cas pour les Arabes. Pour l’instant, seul l’Egyptien Mohamed Helmy a été reconnu à titre posthume en 2013. Il avait caché une famille à son domicile en Allemagne. Khaled Abdul-Wahab a été le premier Arabe proposé pour le titre de Juste en 2007 pour avoir protégé 24 personnes dans sa ferme en Tunisie. Son nom n'est toujours pas inscrit dans le Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem.

En France, l'Algérien Si Kaddour Ben Ghabrit, fondateur et recteur de la Grande Mosquée de Paris a également apporté sa contribution. Durant l'occupation nazie, il délivre des fausses attestations d'appartenance à la religion musulmane pour des juifs séfarades tel que le chanteur Salim Halali. Cette histoire a fait l'objet en 2011 du film « Les Hommes libres » d'Ismaël Ferroukhi puis, en 2012, du livre L'étoile jaune et le croissant de Mohammed Aïssaoui.

Le rôle salvateur de la Turquie en faveur des juifs

La même année que la sortie de Les Hommes Libres, le film Turkish Passport de Burak Arliel apporte un éclairage sur l’histoire trop peu connue du sauvetage de centaines de juifs par des diplomates turcs en poste dans les ambassades et consulats dans plusieurs pays européens. Ces derniers ont accordé la citoyenneté turque aux juifs en leur délivrant un passeport, ce qui leur permit d'avoir une protection consulaire salvatrice lors de contrôles et rafles en tous genre. Parmi ces héros discrets, on compte Fikret Sefik Ozdoganci, vice-consul à Paris, qui avait organisé en 1944 le départ de nombreux trains en direction de la Turquie, pays neutre où les juifs sont assurés d'être en sécurité.

Bien d'autres histoires sont encore certainement à découvrir. La transmission de cette mémoire aux générations présentes est capitale et vient participer à l'apaisement des relations entre juifs et musulmans par l'entre-connaissance.