Points de vue

Ramadan : N’y a-t-il pas parmi vous un homme raisonnable ?

Rédigé par Ammar Rouibah | Vendredi 27 Juin 2014 à 12:47



C’est une communauté musulmane déchirée qui a accueilli le mois béni de Ramadan 2013, notamment sur la question du début du mois.

Pour cette année 2014, des fédérations et des associations, y compris l’UOIF, ont pris note des voix qui se sont élevées en 2013 et qui reprochaient « le déficit pédagogique et de communication » auprès de la communauté pour expliquer le bien-fondé du recours au calcul scientifique pour déterminer le début et la fin du Ramadan. De fait, ce travail pédagogique d’explication et de débat avec argumentations a été entrepris cette année auprès des responsables associatifs, des imams et le grand public en Île-de-France et dans d’autres régions.

Le but de ces échanges, ouverts à l’ensemble des acteurs, y compris ceux qui sont farouchement opposés au recours au calcul, est de discuter sur deux points essentiels : le fondement théologique du recours au calcul scientifique et quelle action adopter pour éviter la situation de l’année passée et garder ainsi l’unité des musulmans.

Rester conforme à notre foi, à notre éthique et aux finalités de notre adoration

De ces discussions, il ressort que ce choix n’est pas de l’hérésie et que la position de ces fédérations n’est pas d’imposer un choix qui serait valable à l’exclusion de tous les autres. D’autres choix sont possibles et acceptables, mais il nous semble que ce choix-là est celui qui présente le plus d’avantages et le moins d’inconvénients pour les musulmans de France, tout en étant parfaitement conforme à notre foi, à notre éthique et aux finalités et buts de notre adoration.

C’est pour cette raison que nous le proposons et que nous nous en expliquons. D’autres pays avant nous l’ont adopté depuis longtemps : la Turquie, l’Allemagne, les États-Unis, le Canada et les pays des Balkans...

Ceux qui prétendent que la communauté musulmane serait attachée au folklore de la Nuit du doute et pas du tout gênée par la méconnaissance des dates du Ramadan à l’avance, que les musulmans ne seraient pas prêts à adopter le calcul scientifique pour déterminer à l’avance leurs dates, ceux-là n’interrogent jamais la masse des musulmans qui jeûnent et travaillent et ne fréquentent pas vraiment les mosquées et milieux musulmans.

Ceux qui les côtoient savent que les musulmans souffrent chaque année de l’absence de programmation possible des événements du calendrier musulman, mais ils ne se plaignent pas car ils pensent humblement que remettre en question ce « suspense » de la Nuit du doute relèverait sans doute d’un manque de piété.

Des positions jurisprudentielles qui évoluent dans le temps

Je termine par citer quelques exemples de positions juridiques qui étaient aussi minoritaires à un moment de l’Histoire, mais, puisque l’environnement a changé, les positions ont évolué, ce qui est assez commun dans le droit musulman, ces positions sont devenue la règle et la norme.

• Les plus jeunes parmi nous oublient que la question de la nationalité était un sujet de débat entre ceux qui l’interdisaient aux musulmans de France en se fondant « sur le Coran et la Sunna » et que le fait d’avoir la nationalité n’était autre que l’alignement à des « mécréants » ! C’était il y a 25 ans : qui, parmi nous, aujourd’hui tient toujours ce discours ? D’ailleurs, à cette époque, on refusait même de faire la prière derrière un imam qui avait la nationalité française, accusé d’avoir renié sa foi et choisi le camp ennemi !

Faire accepter ce choix était le fruit d’un travail collectif de plusieurs savants et à leur tête cheikh Fayçal Mawlaoui − paix sur lui. C’est grâce à ce travail animé par la foi et la volonté de servir les musulmans que ces savants ont expliqué cette question et que la nationalité n’est aujourd’hui plus un sujet de gêne et de culpabilisation pour les musulmans de France

• Le sermon du vendredi en français. Personne ne pose de questions sur la validité de la prière de vendredi (jumu’a) si le sermon est en français.
Il y a quelques années, le sermon en français était interdit, toujours « selon le Coran et la Sunna » et l’argument était que ni le Prophète ni ses successeurs n’avaient fait la prière de jumu’a en langue autre que l’arabe et qu’il y avait « consensus » sur cette question. Donc pas de sermon en français !

Demandez aux plus âgés d’entre vous, ils vous présenteront les arguments avancés par ceux qui refusèrent d’introduire le français dans le sermon. Ce sont les mêmes arguments avancés aujourd’hui pour refuser le calcul scientifique.

Un des témoins de cette époque me raconta que, la première fois où il a commencé le prêche du vendredi en français, des fidèles se sont levés pour quitter la mosquée après qu’il eut fini la partie arabe et commencé le deuxième sermon en français. Cette « innovation blâmable » était « une grande fitna » et « une cacophonie » et dévoilait une volonté de « trahir un principe fondamental de l’islam » et de « faire plaisir aux autorités politiques ». Étrange, l’on entend les mêmes accusations 25 ans après à propos du choix des calculs astronomiques pour la détermination du mois de ramadan.

• La participation citoyenne était bel et bien un sujet interdit au motif religieux. La prise de conscience et le travail de pédagogie ont fait que cette question n’est plus un sujet de débat, car les musulmans français sont passés de la phase d’interrogation au devoir de participation, et du simple votant au stade d’élus, représentants de la République. Certes, il reste encore du travail à accomplir, mais le principe est définitivement entériné.

Avancer la prière de vendredi (jumu’a) de son heure en été. C’est un avis minoritaire dans les écoles juridiques, mais néanmoins fondé et valable ; ce choix aujourd’hui est largement adopté par les mosquées de France, car il répond à un besoin pratique des musulmans.

En conclusion, la détermination des dates des mois lunaires, y compris le Ramadan, en recourant au calcul scientifique, est un avis juridique fondé qui trouvera naturellement son chemin au sein des musulmans de France. Cet avis est conforme aux enseignements de l’islam, car c’est le meilleur moyen de rester fidèle à l’esprit de la vision du croissant lunaire dans notre contexte contemporain.

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Ammar Rouibah est un acteur associatif.