Religions

Quand les mosquées chantent leurs minarets

Patrimoine culturel vs polémique politique

Rédigé par Leïla Belghiti | Jeudi 3 Décembre 2009 à 00:46

Une coupole de 18 tonnes s’est posée en douceur sur le toit de la future Grande Mosquée de Strasbourg, vendredi, jour de l’Aïd, assistée du regard de milliers de fidèles. Ils ne se doutaient pas que, quelques jours plus tard, le minaret prévu dans le plan de construction attirerait tout un brouhaha médiatique.



La coupole de la Grande Mosquée de Strasbourg a été posée le 27 novembre 2009, le jour de l'Aïd el-Kébir.
La nouvelle Grande Mosquée du Bas-Rhin verra sa construction s’achever vers novembre 2010. Une bonne partie de l’édifice a déjà été entamée. Estimé à environ 8,5 millions d’euros, le projet s’appuie sur l’aide des collectivités locales (loi de 1905), pour la partie culturelle, et principalement sur les dons des fidèles et les financements étrangers.

Ainsi, le ministère des affaires religieuses du Maroc promet d’offrir plus de 1 million d’euros. Les responsables de la mosquée attendent tout aussi impatiemment la venue de délégation koweitiennes et saoudiennes, le mois prochain, qui pourraient donner un coup de pouce non négligeable.

Si le lancement de la construction de la Grande Mosquée a été maintes fois ralentie lors de la municipalité précédente (UMP), l’actuel sénateur-maire Roland Ries (PS) lui a donné un sérieux coup d’accélérateur. « Cette coupole est un signe très fort pour la communauté musulmane car elle identifie bien l'édifice et va donner une visibilité de l'islam dans la ville», a-t-il déclaré vendredi. « Aujourd'hui, on a simplement un lieu de prière sans minaret, mais si la communauté le souhaite, elle aura son minaret », s'est engagé le maire dans un discours suivi d’applaudissements nourris de l’assistance.

La demande officielle pour la construction du minaret n'est pas encore déposée, « mais le projet avance bien », se réjouit le président de la GMS, Saïd Aalla. À Strasbourg, on ne fait pas les choses à moitié. L'architecte, Paolo Portghesi est un Italien à la renommée bien installée, lauréat du concours international pour la Grande Mosquée de Strasbourg (GMS), « Une mosquée pour l'islam européen », et a signé entre autres la splendide Grande Mosquée de Rome. « Paolo Portghesi devrait passer cette semaine, en vue de concrétiser le projet du minaret », nous explique Saïd Aalla.

Minaret : yes or no ?

C’était sans compter la polémique qui allait engrener les pays européens, notamment la France, sur la question des minarets initiée par les Suisses.

Mais quelques jours plus tard, Roland Ries confirme sa position : « Je n'ai pas d'hostilité, je suis même favorable à la construction d'un minaret pour cette Grande Mosquée, avec l'objectif d'assurer la visibilité, dans la cité, de l'islam (...) dans le respect des règles d'urbanisme, étant entendu aussi qu'il serait purement symbolique. On n'aura pas de muezzin qui appelle à la prière », a déclaré l’élu.

En plein débat sur l'identité nationale et les minarets, le moment n'est certes pas des plus opportuns pour la GMS. Mais son président se veut optimiste : « Il est fort possible que la polémique surgisse autour de ce minaret, mais nous avons une très bonne équipe municipale, il ne sert à rien d'attendre, il nous faut aller de l'avant ». « L'extrême droite n'est pas très influente, sauf en zone rurale où elle fait quelques percées, de plus elle n'a aucun siège à la municipalité», se rassure-t-il.

D'ailleurs, le minaret ne sera pas d'inspiration orientale et s'intégrera « parfaitement » dans le paysage urbain, selon M. Aalla. Et il n'y aura pas de muezzin, « évidemment ! ».

Le « non » aux minarets en Suisse, personne ne veut en entendre parler. «C’est un élément architectural et identificateur du lieu de culte. Le minaret de la Grande Mosquée de Paris existe depuis 1926. Y a-t-il déjà eu un appel à la prière depuis ? Non. On ne va pas faire exception à la règle » rappelle Fouad Douai, gérant de la SCI (société civile immobilière) en charge du chantier.

Minarets sans soucis

La ville de Strasbourg aura donc son minaret, tout comme Marseille ou Villeneuve d’Ascq (région Nord) qui inaugureront leur lieu de culte en 2011 pour la première, dans moins d’un an pour la seconde.

A Halluin, dans le Nord, le clocher de l’église Saint-Hilaire côtoie le minaret de la mosquée Tawhid.
À Villeneuve d’Ascq, le minaret, installé le 31 juillet, ne dépasse pas 18 mètres comme la plupart des mosquées cathédrales en France. Parfaitement intégrée dans le paysage architectural, la mosquée a su allier modernité et tradition. Sans l’impulsion de Jean-Michel Stievenard, ancien maire de la ville, celle-ci n’aurait sans doute jamais vu le jour.

« À l'époque, la revendication de quelques opposants, c'était de dire : "Au moins, qu'il n'y ait pas de minaret. " Pour moi, c'était inconcevable, comme une église sans son clocher ou un hôtel de ville sans son fronton », déclare l’ex-maire à la Voix du Nord.

Gérard Caudron, l’actuel maire PS avoue qu’il n’aurait « jamais accepté un minaret sans discuter », mais « maintenant la mosquée est là, elle ne me gêne pas et, pour tout dire, le bâtiment est assez réussi ».

En réponse à toutes ces polémiques, Hamza El Kostiti, élu Verts de la ville d’Halluin (Nord), n’hésite pas à brandir l’exemple de sa ville : « Le clocher de l’église Saint-Hilaire côtoie le minaret de la mosquée Tawhid. Pour moi, c’est cela la France : le respect des convictions de chacun. »