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Palestine : Produits des colonies ? Suivez l’étiquette !

Rédigé par Andrea Paracchini | Vendredi 26 Avril 2013 à 06:00

Au regard du droit international, les colonies implantées dans les Territoires palestiniens occupés ne font pas partie de l’État d’Israël. Pourtant, en Europe, les produits qui en sont issus sont souvent vendus sous l’étiquette « Fabriqués en Israël ». En Grande-Bretagne, les consommateurs ont exigé la transparence et un étiquetage leur permettant d’opérer des choix en conscience. Retour sur une mobilisation à succès qui aujourd’hui inspire d’autres pays.



Quand vous achetez un paquet de dattes « Fabriqué en Israël », au moins la moitié d’entre elles viennent des colonies israéliennes. De même s’il porte la mention « Fabriqué en Cisjordanie ». Vous ne pouvez pas le savoir puisque rien, a priori, ne l’indique clairement sur le paquet. Si c’est le cas, c’est que vous êtes dans un supermarché britannique.

De l’autre côté de la Manche, une petite révolution a eu lieu il y un peu plus de trois ans. Un mouvement citoyen, qui a vu converger un ensemble large et hétérogène d’ONG, d'associations et de syndicats, soutenu par quelques députés, a réussi à obtenir que chaque consommateur britannique puisse savoir si ce qu’il achète a été produit par un agriculteur palestinien, un agriculteur israélien ou un colon.

L’histoire commence à la fin des années 1990, à l’époque où l’opinion publique britannique prend conscience de l’expansion des colonies au détriment des terres palestiniennes. L’imposant dispositif israélien qui protège ces colonies entrave lourdement la mobilité des Palestiniens, et leur empêche, entre autres, l’accès aux marchés pour la vente des produits de leur agriculture. Une situation que Palestine Solidarity Campaign (PSC), une ONG fondée en 1982, juge inacceptable. Dès 2001, elle appelle au boycott des produits israéliens pour faire pression sur le gouvernement de Tel Aviv.

Une campagne classique, jusqu’à ce que l’ONG ne commence à recevoir des messages de la part de certains consommateurs. « Les gens achetaient des produits estampillés “Fabriqué en Cisjordanie” en croyant aider les Palestiniens, explique la directrice Sarah Colborne. Mais ils se sont aperçus que, finalement, rien n’était moins sûr ! » Or, comme l’indication d’origine sur l’étiquette n’était pas transparente, impossible pour eux de faire un choix avisé.

Une bataille pour la transparence

C’est à partir de ce constat que la campagne change subtilement de cible. Et gagne en efficacité. « Ce n’était plus une campagne “contre” Israël mais “pour” plus de transparence vis-à-vis du consommateur ! », souligne Phyllis Starkey, parlementaire travailliste à l’époque, qui s’est alors engagée dans la mobilisation accompagnant ce tournant. Car derrière le PSC, de nombreuses structures, allant jusqu’à des groupes religieux comme les Jews for Justice for Palestinians et les Quakers, commencent, chacune de leur côté, à relayer ce plaidoyer.

De simples clients vont questionner les responsables de leur point de vente, des associations organisent des distributions de tracts devant les enseignes ou envoient des mailings aux responsables des supermarchés. Des actions coup de poing, beaucoup plus spectaculaires, ont même lieu, à l’instar des « raids » dans les supermarchés pour coller des étiquettes « Issu d’une colonie illégale » sur les produits suspects ou pour remplir des caddys de produits qui seront abandonnés à la caisse, si le supermarché n’est pas capable de garantir leur origine.

Les syndicats rejoignent le mouvement. « En 2006, le Trade Union Congress a adopté une résolution de soutien à nos actions », rappelle Bernard Regan, en charge des relations avec les syndicats à PSC. C’est ainsi un potentiel de 6 millions de salariés qui sont d’un coup sensibilisés à la question. « Nous, les élus proches de la cause, nous avons été invités à faire pression sur le gouvernement, se souvient Phyllis Starkey. Pendant ce temps, en coulisses, les ONG faisaient du lobbying auprès de la grande distribution ». Avec succès, puisque, sous la pression des consommateurs, les enseignes s’ouvrent au dialogue avec les ONG. « Certains directeurs ont même été emmenés en visite dans les Territoires occupés pour qu’ils constatent par eux-mêmes les effets des colonies sur les paysans palestiniens, rappelle l’ancienne élue. Mais c’était un sujet trop sensible pour que les chaînes de la grande distribution puissent l’aborder dans le cadre de leur politique RSE (responsabilité sociale des entreprises) ». Elles demandent donc que le gouvernement fixe un cadre pour de nouvelles règles d’étiquetage, qu’il choisisse les termes exacts à employer, pour que tous les supermarchés puissent s’y conformer.

Pendant plus d’un an, des directives sont discutées avec les services du gouvernement qui ne parviennent pourtant pas à statuer. Le mouvement décide alors de faire monter la pression. En mai 2009, Lawyers for Palestinian Human Rights (LPHR) fait circuler un avis mettant en garde les enseignes contre un risque de plaintes, si elles ne bougent pas. « D’autant plus qu’acheter des produits issus des colonies israéliennes dans les Territoires occupés pourrait être considéré comme un soutien tacite à un acte illégal », souligne l’association de juristes, rappelant la position des Nations unies sur les colonies.

En septembre de la même année, le Trade Union Congress en rajoute une couche, en votant le boycott des produits issus des colonies. Phyllis Starkey décide, elle, de profiter d’une séance de questions au gouvernement pour sortir de l’impasse. Le 2 décembre 2009, elle s’adresse à Jim Fitzpatrick, alors ministre de l’Agriculture et de l’Environnement, et accuse le gouvernement travailliste de lâcheté. Quelques jours plus tard, le Département (l’équivalent d’un ministère en France) pour l’environnement, l’alimentation et les affaires rurales (DEFRA) publie enfin un avis à destination des distributeurs sur l’application de la loi existante en matière de protection des consommateurs. L’origine « Israël » pour les produits issus des colonies étant ambiguë, il faut désormais distinguer entre « Produit de Cisjordanie (produit de colonies israéliennes) » et « Produits de Cisjordanie (produit palestinien) ».

Il reste du chemin

Trois ans et demi après, le bilan de la publication de cet avis est positif. « Bien que non contraignantes, les recommandations ont été volontairement appliquées par les principales enseignes du pays, se félicite Sarah Colborne. Et de fait, il est désormais très rare detrouver des produits issus des colonies dans les rayons d’un supermarché britannique ». Seule la chaîne Tesco continue d’en proposer, alors que The Cooperative, la cinquième plus importante entreprise de distribution du pays, a annoncé en 2012 avoir arrêté toute relation commerciale avec les entreprises qui exportaient des produits issus des colonies.

« On a compris plus tard que le gouvernement avait surtout peur que, quelle que soit sa décision, elle suscite des critiques, d’un côté ou de l’autre, voire des deux ! », estime Phyllis Starkey. Bien sûr, Israël a protesté, sans suite. « Puisque cet étiquetage permet à un consommateur qui voudrait acheter des produits israéliens authentiques de le faire en toute confiance ! », se satisfait-elle. C’est précisément là le point qui contrarie ceux qui, aujourd’hui, veulent aller plus loin.

En 2010, les syndicats, en collaboration avec PSC, ont lancé une nouvelle campagne baptisée « Achèteriez-vous des biens volés ? », afin d’encourager activement leurs adhérents, les salariés et les fonds de pension à boycotter les entreprises qui tirent profit des colonies illégales, de l’occupation et de la construction du mur. L’objectif est de miner les fondements de l’économie des colonies pour que leur maintien à coup de subventions devienne beaucoup trop cher pour Israël. Car, tant qu’il y aura des colonies, l’agriculture et le commerce dans les Territoires occupés ne pourront pas se développer et les Palestiniens ne verront pas leurs conditions de vie s’améliorer. « Mais, pour cela, il faudrait s’attaquer à bien d’autres produits que les denrées alimentaires, souligne William Bell, responsable du plaidoyer pour Israël et Palestine de Christian Aid. Et les autres États européens devraient, eux aussi, appliquer l’étiquetage ».

Certes, en octobre 2012, le Danemark a emboîté le pas au Royaume Uni et a instauré l’étiquetage. Mais, encore aujourd’hui, rien n’empêche Mehadrin, Agrexco, Adafresh et Arava – les grands exportateurs israéliens présents dans les colonies – de continuer à faire des affaires dans des pays comme la France. Et ce alors que les ministres européens des Affaires étrangères s’étaient engagés publiquement en mai 2012 à « mettre en oeuvre effectivement et pleinement la législation de l’Union européenne en vigueur et les accords (…) applicables aux produits issus des colonies ».

Dans une lettre adressée le 11 avril à Catherine Ashton, 13 pays européens, dont la France, ont appuyé l'initiative de la Haute Représentante de l'UE pour les Affaires étrangères visant à l’étiquetage des produits issus des colonies israéliennes, ceci afin que les « consommateurs ne soient pas trompés par de fausses informations et d’être en cohérence avec une politique constante de l’UE concernant les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés ».

La Plateforme des ONG françaises pour la Palestine s’est félicité, dans un communiqué publié mardi 23 avril, de cette prise de position, qu’elle estime être « un développement important pour le respect des droits des Palestiniens et dans le sens d’une politique européenne plus en cohérence avec ses propres déclarations » bien que la lettre ne stipule « pas la portée que devra avoir cet étiquetage, ni le type de produits concernés ».

L’organisation incite cependant les gouvernements européens à interdire purement et simplement l’importation de produits des colonies. « Nos gouvernements, dont le gouvernement français, ont des devoirs au regard du droit international, notamment celui de ne pas reconnaitre une situation illégale ou de ne pas participer au maintien de cette situation », conclut-elle. • La Rédaction

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